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Pourquoi choisir ces cabinets nouvellement créés ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Pour savoir ce que pensent les clients des jeunes cabinets, notamment des boutiques de niche, mais aussi quand et pour quelles raisons recourir à leurs services, la LJA est allée sonder les principaux intéressés. Décryptage de leurs attentes.

Pas facile pour un directeur juridique de prendre le risque de confier l’un de ses dossiers stratégiques à un jeune cabinet, dont la marque n’est pas encore installée dans les classements de lawyers internationaux. Notamment dans les grandes entreprises, car les conseils d’administration imposent bien souvent des critères de sélection des cabinets partenaires assez restrictifs. Blanche Savary de Beauregard, directrice juridique de Mistral AI, observe à cet égard que, depuis plusieurs années, les organes de direction influencent souvent le choix des conseils. « Une société en hyper croissance ayant un actionnariat étranger, notamment américain, ou en pré-IPO valorisera incontestablement le prestige et la marque d’une firme. Le directeur juridique aura souvent les mains totalement liées, étant obligé de faire appel à des Big Four ou à de grands cabinets internationaux », indique-t-elle. Le positionnement commercial de la société peut aussi avoir une forte influence sur le choix des conseils. Car si celui-ci est mono secteur, se faire conseiller par une boutique ayant une approche sectorielle similaire, qui sera capable de répondre à un grand nombre d’enjeux de son client et de l’accompagner sur du long terme, souvent au quotidien, sera tout à fait pertinent.

Mais qu’est-ce qui fait vraiment la différence pour les clients des boutiques ? D’abord, la disponibilité des associés fondateurs. « Les équipes qui composent ces petites structures sont généralement restreintes, l’associé est très présent et réactif sur les dossiers et le suivi plus personnalisé », indique Charlotte Sorin-Voinis, directrice juridique adjointe de Bpifrance Investissement.

C’était d’ailleurs l’argument de poids lorsque Dominique Bompoint a fondé sa boutique, en 2013, après une belle carrière en firmes internationales. Avec le succès qu’on lui connaît.

Charlotte Sorun-Voinis le reconnaît : « L’intuitu personae est primordial. Étant attachés aux associés et non à la marque de leurs cabinets, nous n’hésitons pas à continuer à faire appel à leurs services s’ils retrouvent leur indépendance et sommes même ravis de les accompagner dans leurs projets entrepreneuriaux ». La direction juridique de Bpifrance Investissement a recours, en interne, à un système de panel, lui permettant d’être agile quant au choix des avocats avec lesquels elle est désireuse de travailler selon la nature et les enjeux du deal. Deux à trois cabinets sont généralement sélectionnés sur le panel, puis un pitch est organisé. Le choix final de l’avocat ne dépend pas exclusivement du montant des honoraires proposés, les juristes étant par exemple sensibles au fait que l’avocat ait su identifier de manière fine les problématiques spécifiques de l’opération au stade du pitch.

Les clients cherchent également dans ces boutiques des conseils très pragmatiques, avec une prise de risque assumée par les avocats. Or certaines firmes établies ont pour politique de toujours rester à 100 % dans une zone de sûreté pour éviter la mise en cause de leur responsabilité. « Le niveau d’adhésion de l’avocat au produit doit être suffisamment fort pour qu’il mesure, de manière optimale, le niveau de risque objectif du projet et celui que nous sommes prêts à prendre in fine, explique Blanche Savary. Les clients, et particulièrement ceux de la tech, souhaitent travailler avec des avocats qui ne soient pas très risk adverses et adoptent un mode de communication adapté à leur activité. Or, les fondateurs de boutiques sont plus à même d’aider à la prise de décisions dans une zone grise, avec des risques identifiés ». Soit ces avocats seront capables de donner leurs recommandations à l’écrit parce qu’ils ne craignent pas de se « mouiller », soit ils dispenseront leurs conseils à l’oral, en tenant compte de la réalité des secteurs hyper innovants où certains risques ne seront jamais totalement maîtrisés.

Des sujets novateurs ou très pointus

C’est surtout la connaissance approfondie d’un secteur particulièrement novateur, au croisement de plusieurs spécialités du droit, qui permettra à ces avocats plus fraîchement installés de se démarquer de leurs homologues. Par exemple, les entreprises de la tech, notamment celles liées à l’intelligence artificielle, traitent constamment de sujets pointus, qui demandent de faire appel à des avocats très spécialisés dans leur secteur, mais avec plusieurs cartes dans leur jeu en termes de maîtrise de branches du droit, et possédant un fort esprit d’innovation. « Les cabinets composés de fondateurs assez jeunes ont souvent cette culture et cet état d’esprit, explique Blanche Savary. Dans les cabinets d’affaires internationaux, la stratégie est particulièrement affirmée au niveau de la firme globale et il est parfois compliqué d’en créer une quelque peu disruptive ». Quelques marques y sont pourtant arrivées, à l’instar de Gide, qui a créé son offre de services Gide 255, dédiée aux nouveaux enjeux juridiques de la transformation numérique, en 2018. Sans oublier Allen & Overy bien sûr, qui est une firme ayant un rôle moteur dans le développement des nouvelles technologies juridiques. Pourtant, pour la directrice juridique de Mistral AI : « Souvent, les grands cabinets ont plus de mal à être agiles sur ces sujets très pointus, à vraiment mettre en avant des avocats qui connaissent bien les technologies en tant qu’utilisateurs et comprennent donc le produit de l’intérieur ».

Cette sur-spécialisation a toutefois un revers. « Les associés fondateurs de boutiques de niche ont souvent des expertises très pointues, par exemple sur les sujets qui ont trait aux produits ou à la compliance, et seront privilégiés sur ce type de dossiers, tandis que les grands cabinets seront appréciés pour leur expérience plus vaste sur de la market practice plus corporate, explique Blanche Savary. Il peut être difficile de faire appel aux boutiques sur des sujets corporate, parce que souvent, il faudra montrer le même genre de muscles et avoir une réputation similaire au cabinet qui se trouve en face ». Le choix de l’avocat est donc adapté en fonction de ceux qui sont présents autour de la table. Ainsi, si des cabinets anglo-saxons ont été choisis pour mener les négociations, il en sera de même en face.

Charlotte Sorin-Voinis indique pour sa part adapter « le choix de son avocat en fonction du type de dossiers (capital-risque, capital développement, fonds, boursier, restructuring, etc.), de la taille du ticket d’investissement, des compétences sectorielles nécessaires et des parties prenantes à l’opération. » Ayant une palette de deals très diversifiée, la directrice juridique adjointe de Bpifrance Investissement reconnaît plutôt faire appel à ces cabinets de niche « pour les opérations de petite ou moyenne taille, pour les dossiers avec des problématiques spécifiques ou dans des secteurs très spécialisés. ». La nécessité de réaliser des audits dans le cadre des opérations d’investissement pourrait être un frein au fait de recourir à une petite structure, qui n’est pas toujours dotée des équipes adéquates. Mais Charlotte Sorin-Voinis précise « qu’il est possible de faire appel à un cabinet transaction services pour les audits, la rédaction et la négociation de la documentation contractuelle étant alors assurée par l’avocat choisi qui fera le lien, au besoin, avec ce cabinet ».

L’argent, le nerf de la guerre

Les clients sont assez habitués à cette particularité, assez française, d’avoir le choix entre différents types de structure. Et même sur des matières qui ne se prêtaient historiquement pas au modèle de boutique, comme l’arbitrage international par exemple, ils ont rapidement fait confiance aux associés fondateurs. Il ne faut bien sûr pas s’y tromper : les directeurs juridiques ont aussi fait jouer la concurrence pour négocier les tarifs. Et c’est précisément sur ce point que ces fondateurs de boutiques ont joué leur carte, afin d’être plus attractifs que les gros cabinets. Plus agiles et flexibles, notamment sur les fees en raison de coûts de structures inférieurs à ceux des grandes firmes, ces nouveaux cabinets ont un levier de négociation plus important. Un enjeu de taille compte tenu des budgets resserrés dans les sociétés en raison de la conjoncture. Car le décalage entre le monde des cabinets d’avocats d’affaires et celui des juristes d’entreprise, tant en matière de conditions de travail que de rémunération, est de plus en plus important. Les honoraires des avocats atteignent parfois des so ammets, qui ne sont parfois plus en adéquation avec le service rendu, ce qui peut leur porter préjudice, incitant les clients à se tourner vers de plus petits cabinets qui leur coûteront bien moins cher.

Et comme les cabinets d’affaires nouvellement créés ne sont pas tous full services et multisecteurs, mais plutôt des boutiques de niche dédiée à une matière ou à une approche sectorielle, leurs fondateurs sont obligés d’étendre leur expertise. « Il est plus économique de faire appel à un avocat multicartes, qui s’intéresse à de nombreux sujets, que de faire intervenir plusieurs partners de spécialités différentes sur un dossier, indique Blanche Savary. Et, in fine, je ne suis pas sûre que le travail délivré soit meilleur dans un cabinet international, car toutes les clauses d’un contrat auront été renégociées une multitude de fois par chacun d’eux ». Et de conclure : « Au-delà des honoraires, ce qui fait vraiment la différence dans le choix des cabinets, c’est le rapport qualité/prix. Sont recherchés, la transparence sur le travail délivré et le fait de ne pas avoir l’impression d’acheter un mémo inadapté à sa situation et calqué sur le dossier similaire d’un autre client ».