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Pitcher le client, mode d’emploi

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°59 - Mars / Avril 2019

Comment les cabinets d’avocats doivent se présenter aux clients lorsqu’ils répondent à une sollicitation ? Quels sont, aujourd’hui, les éléments qui font la différence et qui emportent la décision ? Faut-il mettre en avant les valeurs du cabinet, les actions menées dans le cadre d’une politique de non-discrimination ? La mise à disposition d’outils technologiques est-elle un plus ? Liste non exhaustive des choses à faire et à ne pas faire.

L’exercice du pitch consistant, pour un cabinet d’avocat, à formuler une proposition de prestation juridique et une offre financière pour un dossier spécifique, est en train d’évoluer. « Il y a quelques années, les cabinets venaient nous rencontrer pour nous présenter une belle plaquette sur papier glacé. Aujourd’hui, tout le monde le fait. Il faut donc pouvoir se distinguer avec d’autres critères », retrace Bénédicte Wautelet, directrice juridique du groupe Figaro. Si l’exercice consistait alors, pour caricaturer, à « montrer ses muscles » en convainquant le client du fait que le cabinet était le meilleur sur la place, il a désormais bien changé. Avec l’assouplissement du système des panels (voir LJA Mag n° 54), les pitchs réalisés en vue d’opération spécifique, souvent en contentieux, prennent de l’importance. Ils demandent néanmoins un lourd investissement de la part des cabinets, sans certitude de ce que le dossier leur sera confié. « Il y a vingt ans, les pitchs étaient relativement rares. Aujourd’hui, la majorité des entreprises demandent un pitch dès que l’enjeu du dossier est supérieur à 15 000 euros », observe Charles-Henri Gridel, Head of business developpement Europe et Moyen-Orient chez Herbert Smith Freehills. Il constate que la qualité des prestations offertes par les cabinets a tendance à devenir homogène. En conséquence, les clients, pour départager les cabinets qui proposent des prestations similaires, demandent à rencontrer les équipes d’avocats, collaborateurs compris.


La règle d’or : parler au client, parler du client

« Au départ,les réponses aux appels d’offres étaient des déclinaisons des brochures des cabinets, se souvient Florence Henriet, consultante et auteure du Guide des cabinets d’avocats d’affaires. Le cabinet doit partir de la réalité de l’entreprise pour détailler son offre. Il est impératif de contextualiser la réponse. » Julien Nataf, directeur des affaires juridiques pour l’Europe du fonds d’investissement immobilier Ivanohé Cambridge, partage cet avis : « Comme lors d’un entretien d’embauche, il faut bien connaître l’entreprise à laquelle on propose ses prestations. » Il explique que lorsque son entreprise choisit de nouveaux cabinets, avec lesquels elle souhaite travailler, l’équipe juridique qui écoute le pitch se place aussi dans la position des opérationnels. « Un avocat qui fait une présentation trop juridique ne sera pas apprécié par l’équipe d’investissement, il doit montrer son côté deal maker. » Outre l’environnement d’affaires dans lequel évolue le client, une bonne connaissance des rouages de l’entreprise est également nécessaire. Charles-Henri Gridel confirme que s’il y a quelques années, les directeurs juridiques avaient la haute main sur le choix des avocats, le service des achats intervient désormais de plus en plus. Il s’agit aussi pour l’avocat impétrant de bien connaître les rapports de force qui existent dans l’entreprise. « Il y a souvent des approches différentes entre la direction des achats et la direction juridique », relève-t-il.

Mettre le client en avant, c’est ce que les entreprises font depuis longtemps, et, une fois n’est pas coutume, les avocats ont plusieurs années de retard en la matière. « Mais ce n’est pas de la faute des avocats, qui ont été trop longtemps dans un carcan parce qu’on leur restreignait le droit à la publicité. À force de vous faire couper les ailes, elles ne poussent plus et les réflexes subsistent, comme ceux de parler uniquement de soi ! » estime Sébastien Robineau, ancien associé fondateur du cabinet Homère. Ayant récemment raccroché la robe pour devenir consultant au sein de RBO consulting, il déplore le fait que les avocats commencent souvent par parler d’eux au lieu de prendre en compte les besoins du client.

Horizontalité et transparence

Si les clients acceptent de faire appel à de grands cabinets avec une forte valeur ajoutée, ils exigent surtout de la transparence. Il est de bon ton, pour l’avocat qui prétend être joignable en donnant son numéro de téléphone portable, de jouer vraiment le jeu et de ne pas être en permanence sur répondeur. Et ceci vaut également pour les collaborateurs effectivement en charge du dossier. Il est également bien vu de dévoiler un peu les coulisses du cabinet pour que le client se rende compte du mode de fonctionnement. « C’est comme lorsque vous allez dans un grand restaurant où vous payez très cher, compare Sébastien Robineau, vous aimez que le chef vienne vous expliquer ce qu’il y a dans votre plat et comment il a été préparé. » Julien Nataf confie : « Lors d’un pitch, nous apprécions que l’avocat nous détaille le séquencement de l’opération envisagée, c’est un signe de bonne maîtrise du dossier. » L’opération est alors délicate, car le cabinet doit être en mesure d’apporter un début de réponse à la problématique posée par le client, mais sans donner tout de suite une solution qui pourrait être reprise en interne ou par un concurrent s’il n’était pas choisi.

Il est en tous cas impératif de mentionner dans le pitch qu’une fois choisi, le cabinet donnera au client l’accès à l’information sur son dossier. Pour ce faire, on peut lui offrir un accès à un extranet où il retrouvera, en temps réel, tout ce qui concerne son dossier : temps passé, événements, facturation, etc., ce qui a également le mérite de prévenir les contestations d’honoraires. Proposer un site sur lequel le client, non seulement peut consulter le dossier, mais encore déposer des pièces complémentaires permet de remettre ce dernier au cœur de la relation. « Le client pourra se réapproprier le dossier, il sera un partenaire de l’avocat », analyse Sébastien Robineau. « Aujourd’hui, certains cabinets proposent de mettre à disposition de leurs clients une plateforme permettant un accès à toute la documentation de la transaction pendant les négociations, avec un système de signature électronique. C’est une initiative intéressante », estime Julien Nataf. Les nouveaux pitchs doivent également assurer au client que l’avocat va véritablement s’impliquer dans le dossier, main dans la main avec l’équipe. Cette tendance fait notamment florès chez les entrepreneurs issus de la nouvelle économie, qui attendent de leur cabinet qu’il prenne des risques, estime Florence Henriet. « Ce qu’ils attendent, ce n’est pas qu’un avocat leur présente un aéropage de solutions possibles à leur problématique, mais leur dise “si j’étais à votre place, voici ce que je ferais”. » Dans le même esprit, elle constate que la forme est essentielle. « Les clients sont en attente de pragmatisme. Une importante entreprise, dans le cadre de son appel d’offre, avait ainsi exigé que les répondants s’engagent à ce qu’un executive summary de trois pages maximum soit attaché à chaque consultation. »

Parler de soi, mais comment ?

La présentation par le cabinet de son track record, c’est à dire de son expérience passée dans le secteur juridique sollicité et dans la zone géographique concernée est bien sûr incontournable. Mais impossible désormais pour les cabinets d’affirmer sans démontrer. Il faut prouver ce que l’on avance dans le pitch grâce à des réalisations concrètes.

Certains cabinets s’équipent d’ailleurs d’outils numériques centralisés qui regroupent les différentes opérations et les CV des avocats qui y ont participé. « Ils facilitent considérablement la préparation des pitchs, qui, une fois sur deux, doivent se faire en anglais de surcroît », note Charles-Henri Gridel.

S’agissant de la tarification, les clients réclament des cabinets qu’ils limitent leurs hypothèses de travail afin de pouvoir réellement comparer les prestations des uns et des autres. « Il y a encore des avocats qui n’ont pas de vision servicielle en ce qui concerne leurs honoraires ou les modalités de facturation », regrette Bénédicte Wautelet, qui fait valoir que sans forcément donner un montant, l’avocat peut, à tout le moins, expliquer sa manière de facturer et anticiper en proposant plusieurs formules.

La concurrence sur les fees est devenue beaucoup plus importante et les cabinets doivent se démarquer avec d’autres choses. « Le taux horaire et la composition des équipes sont bien sûr déterminants dans notre choix, mais désormais d’autres éléments peuvent entrer en ligne de compte, ajoute Julien NatafNous recherchons aussi des avocats qui nous accompagnent dans la gestion juridique de nos immeubles et qui peuvent, pourquoi pas, nous faire bénéficier, à l’instar des notaires, de services de data room permanente électronique répertoriant l’ensemble de la documentation liées à l’immeuble. Ce service faciliterait grandement la revente de l’immeuble et permettrait au cabinet d’avocats qui le propose de partir avec un avantage certain pour nous conseiller à la revente. » Proposer des outils technologiques donne l’impression que le cabinet évolue dans son temps, ils permettent ainsi de véhiculer une image positive. Mais attention, le cabinet qui utilise un outil de legaltech et qui s’en vante auprès du client devra ajuster son offre tarifaire en conséquence.

L’aspect technique et tarifaire devra être agrémenté, selon Sébastien Robineau « de multiples sujets qui font écho chez le client ». La garantie de la diversité au sein du cabinet, par exemple. « Il est vrai que lorsque sur le site Internet du cabinet, je ne vois que des photos d’associés masculins du même âge, je me dis qu’il y a naturellement des améliorations nécessaires », confesse Bénédicte Wautelet. Charles-Henri Gridel estime quant à lui qu’il est préférable d’aller à un oral de présentation avec une équipe qui illustre la diversité du cabinet. Sébastien Robineau considère que le cabinet doit renvoyer une image sociétale qui reflète ses valeurs, mais qui doit être sincère. Pas question de se disperser et de soutenir tous azimuts des causes diverses et variées. « Chaque structure doit trouver son créneau », pense-t-il. Mais il conseille de faire attention à la façon dont le cabinet communique. « C’est très bien de faire un speech sur les valeurs du cabinet », reconnaît Bénédicte Wautelet. « La difficulté est que chaque entreprise a sa définition du RSE », tempère Charles-Henri Gridel. Les sujets de conformité sont également au goût du jour. « Je vois désormais apparaître, dans les cahiers des charges des entreprises, des demandes à l’avocat de ne pas inviter des personnes en lien avec le dossier, car au-delà d’une certaine somme, l’entreprise devra faire une déclaration. C’est une conséquence plus ou moins directe de la mise en place de programmes anti-corruption préconisés par l’AFA. » Il peut aussi être demandé au cabinet de justifier de la conformité au RGPD, ou de prouver qu’il bénéficie d’outils performants en matière de cybersécurité. Mais le plus souvent, les clients partent du principe que ces éléments, qui relèvent des prérequis obligatoires, sont garantis par l’avocat.

Il faut également prendre garde aux signes négatifs qui sont envoyés par le cabinet, parfois malgré lui. « Nous attachons beaucoup d’importance aux ressources allouées par le cabinet à nos dossiers et à leur bien-être. Recevoir des documents à 3 heures du matin nous fait ressentir que le cabinet fonctionne à flux tendu et cela peut affecter la qualité du service rendu », reconnaît Julien Nataf. Pour son entreprise, qui travaille à l’international, il est important de faire appel à des cabinets qui peuvent travailler dans d’autres pays. « Il est indispensable qu’il y ait une communication très fluide au sein du réseau auquel appartient le cabinet, avec un associé référent en France. » Là aussi, les rivalités entre les différents bureaux internationaux se ressentent et sont rédhibitoires. « On sent tout de suite s’il règne une bonne ambiance au sein de la firme », dit Bénédicte Wautelet.

Quelque chose en plus

Selon Sébastien Robineau, ce qui fait la différence, c’est la capacité à créer avec le client une relation particulière. Celle qui lui fait voir l’avocat sous un autre jour que celui de l’homme de loi. Il donne ainsi l’exemple d’un site internet allemand, qui présentait la photo des membres du cabinet en posture très corporate, mais lorsque l’on passait la souris sur l’image, ils apparaissaient vêtus de leur tenue de sport préféré. « C’est une sorte de face B », estime-t-il. « Les clients demandent de l’authenticité, de la sincérité et le critère premier de leur choix relève du ressenti. Les équipes juridiques se demandent si elles ont envie de travailler pendant deux ans avec ces personnes », constate Charles-Henri Gridel. Dans ce cadre, que faut-il penser de la fameuse carte des associés d’Arsene, qui se sont littéralement mis à nu pour présenter leurs vœux à leurs contacts ? Difficile de faire plus sincère et authentique. 

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