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Perquisitions et défense du secret professionnel

Le sujet de la défense du secret professionnel de l’avocat est récemment revenu dans le débat public, à la faveur, notamment de la loi pour la confiance judiciaire, qui a modifié les règles procédurales et suscité quelques inquiétudes parmi les robes noires. La LJA a souhaité faire le point avec les coordonnateurs de l’équipe des délégués aux perquisitions du barreau de Paris.

Ils sont vingt et un en tout. Vingt et un membres et anciens membres du conseil de l’Ordre, délégués du bâtonnier pour assurer « la défense de la défense », selon la formule de Vincent Nioré, qui a longtemps exercé ces fonctions au sein du barreau de Paris. Associé du cabinet Stas et associés, il est aujourd’hui vice-bâtonnier et responsable du service des perquisitions. C’est désormais sa consoeur Camille Potier, AMCO, et associée au sein du cabinet Chatain Associés, qui coordonne le service. Elle a été aux côtés de Vincent Nioré pour forger la pratique et la jurisprudence sur le sujet. « Je ne vais plus aux perquisitions, faute de temps, mais je fais encore les audiences du JLD », précise le vice-bâtonnier. C’est à Paris qu’a lieu l’essentiel des perquisitions chez l’avocat, que ce soit dans les cabinets ou à leur domicile. En 2022, les délégués du bâtonnier ont été en soutien de leurs confrères au cours de 22 perquisitions en cabinet et 16 au domicile (liées aux perquisitions en cabinet), qui concernaient, au total, 24 avocats, en se rendant au total dans 40 lieux différents. Ils ont épaulé leurs confrères pour 17 audiences JLD, deux audiences article 56 -1 -1 du CPP (depuis l’entrée en vigueur de la réforme) et ont formé deux recours devant le président de la chambre de l’instruction. La moitié des perquisitions intervient en droit commun et l’autre moitié en droit économique et financier. Il peut y avoir quelques placements en garde à vue de l’avocat concerné, mais c’est désormais assez anecdotique, et toujours lorsqu’il s’agit d’une infraction de droit commun. « Nous sommes sollicités tous les 15 jours, environ. En province, il y a une à deux perquisitions dans l’année », détaillent Camille Potier et Vincent Nioré, qui, à la Maison du Barreau, viennent de dispenser une formation sur les perquisitions aux confrères volontaires MCO qui ont rejoint l’équipe des délégués du bâtonnier en 2023. « Compte tenu du volume que représentent, d’une part les perquisitions en elles-mêmes, mais aussi des audiences JLD et de la nouvelle possibilité de recours devant le président de la chambre de l’instruction, nous devions nous étoffer », relève Camille Potier. Au-delà des chiffres bruts, le temps mobilisé sur ces questions équivaut à 50 journées dans l’année, soit presque deux mois. « En décembre dernier, j’ai eu trois perquisitions en une journée », se souvient-elle. Lorsque domicile et cabinet sont perquisitionnés, ce qui est le cas dans 40 % des dossiers, les opérations commencent systématiquement, tôt le matin, par le domicile. Elle poursuit : « Des perquisitions sont par exemple organisées sur une journée entière, entre le domicile principal, la résidence secondaire et le cabinet du confrère, ce qui représente en fait deux jours, car deux délégués sont présents ». Les délégués viennent en binôme, dans la mesure du possible, pour rétablir un équilibre, les magistrats étant toujours par deux, qu’ils soient du Parquet ou de l’instruction. « Être à deux leur permet de réaliser simultanément des opérations dans deux pièces différentes », raconte-t-elle. Les délégués du bâtonnier peuvent aussi échanger sur la position à tenir lorsque les magistrats veulent saisir une pièce. C’est souvent technique et complexe. « Les délégués se lèvent très tôt et peuvent finir très tard. De plus, sur certaines opérations, c’est très tendu. Être à deux permet de conforter et d’affiner la position à tenir face aux magistrats et aux enquêteurs ». C’est aussi plus efficace lorsqu’il y a beaucoup de documents à passer en revue. Aux nouveaux membres de l’équipe, les deux avocats décrivent la pratique sur le terrain. Ils revoient le cadre légal, la manière dont ils doivent réagir. Les délégués du bâtonnier peuvent, bien sûr, contester la saisie en cas d’atteinte au secret professionnel, mais aussi, par exemple, parce qu’une pièce ne rentre pas dans le cadre de l’autorisation donnée par le JLD, qui vise des faits commis à une certaine période. « Nous ne sommes pas les avocats des avocats, nous ne sommes pas les avocats d’une partie, nous sommes les avocats des principes, ce qui est l’exercice le plus risqué », résume Vincent Nioré.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PERQUISITIONS

Depuis quelques années, le volume de perquisitions est resté stable. Un petit recul a été noté en 2020-2021, pendant la période du confinement. Mais en 2022, les opérations ont bien repris. « Avec l’entrée en vigueur de la loi confiance, le 1er mars 2022, les perquisitions sont désormais ciblées en fonction du critère introduit par la loi de raisons plausibles », se réjouit cependant Vincent Nioré. La modification de la loi a ainsi permis de mettre fin à la pratique dévoyée des perquisitions « à filet dérivant », c’est-à-dire faites pour n’importe quel motif. La loi a aussi introduit le filtre du JLD, qui donne l’autorisation de procéder à la perquisition. Auparavant, c’était le magistrat instructeur saisi du dossier lui-même qui prenait la décision de perquisitionner l’avocat, le JLD n’avait à donner son autorisation que lorsque le parquet était à la manoeuvre. Une évolution intéressante, mais dont les conséquences sont difficilement mesurables : « Nous ne sommes pas sûrs qu’un JLD ait jamais refusé, du moins jusqu’à présent, une perquisition », souligne Vincent Nioré. En tout cas, le JLD intervient désormais en amont de l’opération, en donnant l’autorisation de perquisitionner et en aval, comme juge de la contestation des opérations. De plus, ses décisions sont susceptibles d’appel dans les 24 heures. Concernant les perquisitions administratives, les deux avocats révèlent qu’elles sont devenues marginales, voire inexistantes. Si l’Autorité de la concurrence ou l’AMF veulent perquisitionner un avocat, la procédure devient très complexe et est donc en pratique peu utilisée. Une réforme de 2020 impose que la perquisition soit menée par un magistrat. C’est donc le JLD qui est aux côtés du personnel de l’Autorité, mais sa présence pose un problème d’impartialité puisque c’est le même magistrat qui autorise les opérations, mène la perquisition et la contrôle. Et c’est encore lui qui, après, est juge de la contestation. Une QPC sur ce point a d’ailleurs été rejetée par le Conseil constitutionnel avec une réserve d’interprétation où les sages soulignaient qu’il ne devait pas s’agir du même JLD. « Les textes sont mal écrits, estiment Camille Potier et Vincent Nioré. Il y a des renvois d’articles sans réflexion et une absence de définition du périmètre de chacun ». En la matière, il existe aussi une surenchère de voies de recours, puisque l’avocat perquisitionné peut former appel contre l’ordonnance du JLD autorisant la perquisition, faire appel des saisies elles-mêmes devant le premier président, tandis que le délégué du bâtonnier peut contester la perquisition devant le JLD dont la décision pourra faire aussi faire l’objet d’un appel. En conséquence, aucune mesure n’est jamais menée dans les cabinets. « Depuis l’entrée en vigueur du dispositif, il n’y a jamais eu de perquisitions administratives chez l’avocat, et ces dispositions sont restées lettre morte. La complexification de la règle de droit dissuade d’y avoir recours, se félicite Vincent Nioré. Lorsque la profession se bat pour réguler la matière de l’intrusion, on aboutit à accroître les droits de la défense. Le bouclier, ce sont les droits de la défense ».

LES PÉNALISTES DANS LE VISEUR

Selon le service d’où est issu le magistrat qui réalise la saisie, l’approche est différente, remarquent pourtant les délégués du bâtonnier. « Le PNF est assez habitué aux perquisitions des avocats qu’il pratique aujourd’hui avec parcimonie. L’opération est anticipée et réfléchie. Mais les magistrats du PNF ont aussi une vision très offensive des textes et considèrent que le secret professionnel de l’avocat attaché au conseil ne leur est pas opposable. Certains d’entre eux restreignent le secret de la défense à la matière pénale, en dépit de la lettre du texte et de son interprétation par la jurisprudence », constatent Camille Potier et Vincent Nioré. Ils regrettent, à cet égard les textes de la loi confiance qui viennent ajouter à la confusion. « Ce texte différencie secret de la défense et secret du conseil, et distingue le secret du conseil de la défense du secret du conseil pour l’assistance juridique, dans une rédaction un peu maladroite. Cela aboutit à des discussions ubuesques et à une fragilisation du secret de l’avocat en général car on s’éloigne des fondamentaux lorsque l’on discute du point de savoir si ce sont des éléments qui relèvent du conseil ou de la défense », affirment-ils. Camille Potier et Vincent Nioré constatent que si les avocats fiscalistes sont parfois perquisitionnés pour leur fiscalité personnelle (une fois tous les 2 à 3 ans), ce que le barreau fiscal a connu en 2012-2013 n’existe plus. « Clairement, c’est le barreau pénal qui est le plus en danger actuellement ». Ils trouvent que le regard de l’autorité judiciaire sur l’avocat pénaliste est sévère, alors que l’exercice de la défense est de plus en plus difficile. « Défendre une clientèle pénale, c’est l’exercice le plus compliqué qui soit », lancent-ils avec sérieux. Et de regretter les accusations de faux formées à l’encontre de certains de ses confrères. « Il n’y a jamais eu de perquisitions sur un faux qui aurait été commis par un avocat civiliste, fiscaliste ou en droit de la famille », note Vincent Nioré en précisant qu’actuellement 5 dossiers sont en cours contre des pénalistes. « Les accusations émanent trop souvent de la section financière du Parquet de Paris ».

EXTENSION DU PÉRIMÈTRE DE PROTECTION DU SECRET

Depuis l’entrée en vigueur de la loi confiance, le champ de l’intervention du délégué du bâtonnier a changé. Il doit désormais être présent devant le JLD lorsque les pièces saisies, dans une entreprise, sont relatives au secret professionnel de l’avocat. Et le tiers perquisitionné peut même contester leur saisie devant le JLD. La difficulté, c’est qu’à l’origine, cette mesure s’accompagnait de la possibilité pour les justiciables saisis d’appeler leur avocat pour les assister lors des opérations. Mais l’amendement a été rejeté par le Sénat. « Il faut déjà que le justiciable ait conscience de cette possibilité, ce qui sera rarement le cas, sauf si des directeurs juridiques de société sont présents. Ensuite, la pièce contestée doit être placée sous scellé fermé », indiquent Camille Potier et Vincent Nioré. La contestation doit être réalisée sur place, lors des opérations, et c’est à ce moment que l’avocat de la défense devrait être présent aux côtés du justiciable, estiment-ils. La difficulté, lors de la contestation ultérieure, c’est que le délégué n’est pas au courant de ce qui s’est passé en amont et arrive devant le JLD en rencontrant des difficultés à véritablement apprécier le caractère de gravité de l’atteinte au secret. « Cette mesure fait vraiment sens, car il n’est pas normal qu’une pièce couverte par le secret puisse être saisie chez le client sans difficultés. Il aurait toutefois fallu maintenir un dispositif complet, avec la présence de l’avocat » déplore Camille Potier, qui considère que même si cette nouvelle mission est intéressante, elle reste encore très jeune. Sur les deux dossiers dont ont été saisis les délégués jusqu’ici, l’un a donné lieu à une décision d’irrecevabilité, faute de scellé fermé, et l’autre à la restitution du document. La loi confiance a enfin introduit la possibilité de faire appel des décisions du JLD, devant le président de la chambre de l’instruction. « Le délégué du bâtonnier est donc présent sur les perquisitions de droit commun, là où, actuellement, on refuse la présence de l’avocat de la défense. Nous avons, de plus, fait juger, avec Camille Potier que lors de l’audience de contestation JLD, la présence de l’avocat de la défense est indispensable. Une évolution législative permettant la présence de l’avocat de la défense en perquisition, aux côtés de son client serait donc la suite logique de cette avancée », note Vincent Nioré. L’annonce faite par le garde des Sceaux sur la possibilité de perquisitionner de nuit en matière criminelle, pourrait, de plus, être l’occasion pour le vice-bâtonnier, même s’il est opposé aux perquisitions de nuit, d’obtenir la présence de l’avocat de la défense en perquisition. « La jurisprudence est dans ce sens depuis 2013, mais ça traîne et c’est insupportable ! », regrette-t-il.