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Parler à la presse : mode d'emploi

Par Anne Portmann

La place grandissante du droit dans la société et au sein du débat public incite de plus en plus les journalistes, spécialisés ou non, à solliciter l’expertise juridique des praticiens, qu’ils soient avocats ou juristes d’entreprise. Comment se comporter lorsqu’un journaliste vous contacte ? Petit guide non exhaustif de ce qu’il faut faire et ne pas faire.

Délais, confidentialité, contenus précis, dans le fond, les impératifs de la presse sont assez proches de ceux des juristes. Sans prétendre encadrer une relation professionnelle qui relève aussi de la personnalité de chacun, voici quelques rappels et bonnes pratiques pour savoir s’entretenir avec des journalistes.

Les journalistes juridiques et leurs contraintes

Les journalistes juridiques ont un champ d’intervention plus large que leurs confrères de la presse judiciaire, qui couvrent d’abord les procès (souvent en matière pénale). Qu’ils travaillent au sein de titres spécialisés ou généralistes, ils ont généralement une expertise pointue dans leur domaine. Inutile donc de leur apprendre les bases de la matière. Ils attendent de vous avant tout de l’expertise, non des généralités. Commencez donc par vous renseigner sur leur lectorat pour adapter votre discours en conséquence.

Les journalistes sont soumis à des contraintes temporelles, de par la périodicité des publications au sein desquelles ils travaillent, mais aussi à des limitations en termes de format. En vous sollicitant, ils préciseront la forme de l’article qu’ils souhaitent écrire : article de fond avec citations, interview sur un point précis, portrait, reportage ou autres. Soumis au secret des sources, ils ne répondront pas à vos questions sur la façon dont ils ont eu accès à une information, ou sur la manière par laquelle ils vous ont identifié comme la personne à contacter.

Soyez clair sur votre disponibilité et vos compétences

Qu’ils écrivent pour la presse généraliste ou spécialisée, sur support papier ou numérique, les journalistes ont toujours des impératifs de bouclage, qu’ils vous signaleront. Si vous pensez que vous ne pourrez pas répondre à leurs questions dans le délai imparti (ou si vous ne voulez pas le faire), signalez-le d’emblée pour que le journaliste puisse solliciter quelqu’un d’autre, ou pour qu’il cherche un autre sujet d’article. Il est inutile, et peu apprécié, d’attendre le dernier moment pour réagir. Au contraire, si vous indiquez au journaliste votre indisponibilité rapidement, il n’hésitera pas à reprendre contact avec vous pour d’autres articles. Il appréciera également, si vous déclinez la proposition, que vous l’orientiez vers une autre personne spécialiste de la question.

Honnêteté et simplicité

Les journalistes spécialisés ne sont pas nés de la dernière pluie. Privilégiez un échange direct en cherchant à démontrer votre expérience réelle. Inutile de monopoliser la conversation pour faire valoir des généralités sans répondre à la question posée. Si vous ne savez pas, dites-le pour pouvoir mieux briller sur la question suivante.

La réponse aux enquêtes classements est également à considérer avec attention. Pour autant qu’il y ait des critères objectifs aux rankings mis en place dans certaines rédactions, il demeure toujours une part de subjectivité. Restez aimable et professionnel avec le journaliste, sans lui faire savoir dès le début de l’interview qu’il vous fait perdre votre temps. Inutile de lui raconter que vous avez mené l’intégralité du deal M&A si vous vous êtes contenté de la due dil. Les informations sont ensuite recoupées par le professionnel.

Quant au vote sur l’Avocat de l’année, dans 50 % des cas les avocats votent pour eux-mêmes ajoutant une longue explication sur leurs compétences et leur savoir-faire. Évitez ! Soyez confraternel.

Demander à se relire

La possibilité laissée à l’interlocuteur de se relire dépend de la pratique du journaliste, mais aussi des délais de bouclage. Pour rappel, c’est une politesse que vous fait le journaliste. Certains refusent d’ailleurs catégoriquement la pratique, notamment dans le secteur de la presse généraliste quotidienne, très contrainte en matière de délais. La presse spécialisée, plus technique, est davantage encline à faire relire les citations pour que l’auteur en vérifie l’exactitude. Il est cependant malvenu de corriger des phrases de contexte ou des titres parce qu’ils ne vous conviennent pas. De même, les citations peuvent être amendées si la rectification a une réelle valeur ajoutée. N’apportez aucun élément additionnel dans la citation, celui-ci peut être placé dans la partie éditoriale de l’article et risque donc de désorganiser totalement le plan du papier. Inutile également de profiter de la citation pour vanter les mérites de votre équipe ou de votre cabinet, la censure sera immédiate. De même, attention à ne pas abuser des éléments de langage, que le journaliste sait détecter et qu’il cherchera, au maximum, à éliminer. Soyez naturel. Dans la majorité des titres, un article n’a pas vocation à faire de l’autopromotion. N’hésitez pas à parler avec l’auteur de l’article et veillez à respecter la longueur des citations qui vous sont attribuées.

Exclusivité et embargo

Dans le milieu de la presse, où la concurrence est intense, certains journalistes peuvent exiger l’exclusivité de l’information. Il vous appartient alors de peser le pour et le contre et de déterminer si vous privilégiez un média en particulier. Cette option peut vous permettre de négocier une bonne place dans le journal pour votre actualité et lui assurer ainsi une belle visibilité.

La pratique de l’embargo, en général bien respectée dans la presse, permet une diffusion uniforme de l’information. Elle peut néanmoins être refusée par les journaux exigeant les exclusivités.

Solliciter un journaliste

Juristes et avocats ne doivent pas s’interdire de solliciter les journalistes. S’ils connaissent bien la publication, ils peuvent être à même d’identifier les sujets qui peuvent intéresser les titres, en vue d’une intervention ou d’une tribune, mais aussi simplement de les alerter sur un évènement ou une situation qui pourraient intéresser la place. Les journalistes peuvent aussi, grâce au secret des sources, garantir l’anonymat de leur interlocuteur en cas de besoin. Toujours à la recherche de sujets, les journalistes sont très preneurs de suggestions si vous souhaitez témoigner sur un dossier ou une décision intéressants.

Quels avantages, quels inconvénients, pour les avocats et pour les juristes ?

Parler ou écrire à la presse est une opportunité de se faire connaître, de mettre en avant son expertise et ses qualités. Cela permet aux avocats d’accroître leur notoriété auprès d’éventuels prospects et aux juristes de promouvoir leurs compétences auprès de leur direction générale. Mais l’exercice n’est bien sûr pas sans danger. Il peut arriver que des journalistes peu scrupuleux tentent de « piéger » leur interlocuteur et de reprendre leurs citations hors contexte. L’écueil est cependant facile à éviter en s’assurant de la fiabilité du journaliste et en construisant une relation basée sur la confiance mutuelle. Un journaliste spécialisé n’est pas un ennemi, il peut vous être très utile pour vous construire une réputation sur un marché.

Les personnes sollicitées peuvent aussi « tester » leur interlocuteur en lui délivrant une information de moindre importance pour jauger son attitude.

Faut-il recourir à des communicants ?

La question du recours à des communicants est assez épineuse dans le domaine juridique. La plupart d’entre eux sont en effet assez peu formés à ces sujets. Il existe cependant sur la place des agences de communication spécialisées, qui connaissent très bien les impératifs et les besoins des journalistes juridiques. Si les communicants internes aux cabinets d’avocats connaissent en général parfaitement leur métier, la situation est parfois bien différente en entreprise. Les services de communications manquent de formation juridique pour juger de l’importance du sujet et ne comprennent pas toujours l’insistance des journalistes pour s’adresser au service juridique, avec lequel ils n’ont pas l’habitude de travailler, plutôt qu’à la direction générale. Dans certains cas, le service juridique de l’entreprise aura donc tendance à privilégier des acteurs de la communication de crise, externes, qui sont eux rompus aux relations avec les journalistes. 

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