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My first partners meeting

Par Florence Henriet

L’étape de l’association est un moment clé dans la carrière d’un avocat. On en a rêvé, on s’est battu pour obtenir ce statut avec des méthodes différentes selon les personnalités de chacun. Et puis un beau jour, on participe enfin à cette première réunion d’associés, fort de ce nouveau titre.

La participation aux réunions d’associés formalise un nouveau rôle et de nouvelles responsabilités. Les attentes de la communauté de décideurs varient d’un cabinet et d’un associé à l’autre. Cette expérience est d’autant plus difficile que la plupart des jeunes associés accèdent à ces postes sans bénéficier de véritable formation. Dans un article sur le sujet1, la Harvard Business Review affirmait : « Ils volent en solo. Ils improvisent ». C’est notamment pourquoi de plus en plus de cabinets tentent de remédier à cette situation inconfortable. Chez Herbert Smith Freehills, par exemple, on accompagne les jeunes associés pendant leurs premiers mois grâce au parcours « partners induction ». Martin Le Touzé, associé depuis 2020, raconte « Les 26 nouveaux promus dans le monde ont eu l’opportunité de participer à des réunions mensuelles articulées autour de retours d’expérience, de conseils pour la gestion des collaborateurs et des clients ».

RÉFLÉCHIR DIFFÉREMMENT

Pour la totalité des jeunes promus interrogés, leur nouveau statut n’est pas tant un aboutissement que le début d’une nouvelle aventure professionnelle. « Le point de départ d’une nouvelle ère » pour Valérie Munoz- Pons chez August Debouzy. « Le début d’une nouvelle phase », pour Alexandre Bochu chez Gide. « Le démarrage d’une nouvelle ambition », pour Sonia Cissé chez Linklaters. Soutenu par ses deux nominating partners, Antoine Juaristi et Régis Oréal, Martin Le Touzé se souvient avec émotion de ce coup de fil mémorable du senior partner de la firme en plein confinement en Normandie. « Après 12 ans de collaboration, votre activité a été passée au crible, comme vos chiffres, votre personnalité, on sait qu’on est sur la bonne voie mais il subsiste toujours une petite appréhension », explique-t-il. Cette nouvelle étape est également celle où l’on réfléchit différemment. La course à l’association est un parcours finalement assez solitaire. Mais une fois le Graal obtenu, on est associé à des sujets plus larges qui concernent l’intégralité du cabinet au-delà de sa propre pratique. « Au cours des dernières années, j’étais focalisée sur mon activité. En devenant associée, mon champ de vision s’est élargi, il est moins autocentré, plus collectif », confirme Valérie Munoz-Pons. Les trois principaux domaines dans lesquels les associés doivent s’impliquer davantage s’articulent autour de l’élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie, la gestion financière (incluant taux de facturation et rémunération des collaborateurs) et la culture du cabinet. « Assister aux réunions des associés, c’est la porte ouverte vers ces sujets », confirme Sonia Cissé. Elle ajoute : « Être associé donne des moyens supplémentaires, c’est une nouvelle façon de travailler, une nouvelle indépendance ». « Les rémunérations des collaborateurs, les taux de facturations sont des questions importantes. Y être associée, c’est participer concrètement au développement du cabinet », complète Virginie Coursière-Pluntz chez PDGB.

COMPRENDRE LE PAYSAGE

Devenir associé, c’est comme une prise de poste dans un nouveau groupe. Il est nécessaire d’observer pour comprendre ce qui se joue, mais aussi ce qui s’est joué. « Au cours de son premier partners meeting, il ne faut pas hésiter à préparer une prise de parole éventuelle, à demander à son associé mentor si on attend une action particulière de notre part. Au début, il faut être dans l’observation des jeux de rôles et des jeux de pouvoirs », conseille Alexandra de Saint Phalle, ancienne avocate et directrice juridique, qui accompagne aujourd’hui de jeunes associés dans le cadre de leur prise de poste. « Il faut écouter, voir comment ça se passe et quels sont les codes, puis au fur et à mesure on prend la parole », complèteVirginie Coursière-Pluntz. Les cultures des cabinets d’avocats sont très différentes dans leur approche en matière d’association. Il y a les paternalistes qui définissent des attentes spécifiques et entourent leurs nouveaux associés avec bienveillance dans les meilleurs des cas, ou morgue dans les pires. Au risque de les laisser dans une position de « super collaborateurs » pendant des années. Il y en a d’autres, moins interventionnistes, qui jettent leurs nouveaux promus dans la piscine sans leur donner les règles du jeu. Du « fais comme moi » au « sois toi-même », les injonctions peuvent être contradictoires. « Laurent Modave et Olivier Dauchez m’ont emmené dîner quelques jours après l’élection, raconte Alexandre Bochu, promu associé chez Gide en juillet dernier. Ils m’ont expliqué comment cela allait se passer et m’ont rassuré sur le fait que mon intégration dans l’association se ferait naturellement ». Le poids de la politique, les alliances entre les associés, parfois dû des filiations professionnelles ou des affinités personnelles, et les dynamiques de certains groupes sont autant de réalités que les réunions d’associés peuvent révéler. « Opter pour faire le lien entre tous et éviter à tout prix d’hériter de situations qui ne vous appartiennent pas » est l’un des conseils de Sonia Cissé qui tient à préciser qu’elle a été accueillie avec « beaucoup de soutien et énormément de bienveillance » au sein de la communauté des partners de Linklaters.

PARTICIPER À LA DÉFINITION DE LA STRATÉGIE DU CABINET

Dans la grande majorité des cas, les niveaux de responsabilité et d’influence augmentent lorsque l’on devient associé. Et c’est souvent en réunions d’associés que tout se passe. « Devenir associé, c’est l’accès à la prise de décision collective », note Virginie Coursière-Pluntz. Toutefois « prendre des décisions à 30, ce n’est pas aussi simple que ce que j’aurais imaginé », complète Martin Le Touzé. « On essaye de voir comment appliquer les stratégies globales de la meilleure façon en tenant compte des différences/contraintes culturelles et celles liées au marché national », explique Sonia Cissé. Il y a pourtant des exceptions qui confirment la règle, que ce soit dans les grands cabinets gérés par un petit groupe de personnes où la plupart des associés n’ont pas beaucoup d’influence, ou dans des cabinets marqués par des associés fondateurs encore très présents. Le jeune associé réalise alors assez vite qu’il peut encore être sous la coupe d’associés plus seniors, fondateurs ou pas du cabinet, d’un partnership mondial qui ne valide pas toujours les orientations souhaitées par les uns et les autres. Il faut donc faire preuve de patience. Mais pas trop longtemps, non plus. « On peut se dire qu’on va être discret, mais il faut aussi réaliser qu’il s’agit de participer aux décisions et de les assumer », lance Alexandre Bochu. « Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes associés également du fait de nos personnalités, on regarde qui vous êtes et quelle différence vous apportez », complète Sonia Cissé.

MANAGER ET LEADER

Dans ses relations en interne, le jeune associé doit garder à l’esprit que sa nouvelle position va sans doute avoir un impact sur ses relations avec ses amis encore collaborateurs. Il devra être en phase avec les décisions prises en réunions d’associés. Alexandra de Saint Phalle recommande de « rester à l’écoute tout en apprenant à prendre du recul, à ne pas se transformer en bureau des pleurs, à séparer vie amicale et professionnelle ». Dans la guerre des talents qui sévit aujourd’hui, être un bon manager est un atout indispensable. Pourtant « le choix des associés n’est pas encore suffisamment fondé sur les capacités managériales », remarque Christophe Roquilly, professeur, directeur de l’EDHEC Augmented Law Institute. Le jeune associé a pourtant des cartes à jouer pour répondre aux aspirations des nouvelles générations, à ce besoin d’être à la fois inspiré et autonome. C’est le cas pour Virginie Coursière-Pluntz qui prête une attention particulière aux « drivers des nouvelles générations ». « Il faut prendre soin des gens avec qui vous travaillez, ne pas oublier que rien n’est possible sans équipe. Après l’élection, la première chose que j’ai eu envie de faire a été d’aller les voir pour les remercier et partager ce moment avec eux », souligne Alexandre Bochu. Quant au fossé creusé par son nouveau statut, « tant qu’ils continuent à me chambrer, c’est que ça va », sourit-il.

LES RELATIONS CLIENTS ET DÉVELOPPEMENT DU CHIFFRE D’AFFAIRES

Les réunions des associés sont également l’occasion de faire un tour des dossiers en cours et des nouveaux clients. La position de nouvel associé exige parfois qu’il démontre de sa capacité à développer le chiffre d’affaires du cabinet. « Les attentes sont différentes vis-à-vis des récemment promus. Certains vont trouver normal d’investir dans le nouvel associé en lui demandant un chiffre d’affaires moins important. D’autres, pas du tout. Chacun arrive avec sa vision de ce que vous devez être plus ou moins rapidement », explique Virginie Coursière-Pluntz. On attend souvent de ceux qui étaient encore quelques mois plus tôt des collaborateurs qu’ils agissent comme des associés du jour au lendemain. Avant qu’ils n’aient les compétences et leur propre portefeuille clients. Développer des clients existants est bien sûr une piste à ne pas négliger pour les jeunes promus. Et l’association est un soutien. Virginie Coursière-Pluntz explique : « Le titre apporte une vraie légitimité avec les clients ». « Il faut s’assurer que vos associés sachent ce que vous faites. Il suffit parfois de pousser la porte du bureau d’à côté pour travailler sur un nouveau dossier », souligne Martin Le Touzé. « Je crois à cette symétrie dans le traitement des dossiers : considérer que les autres avocats du cabinet sont des clients internes et en prendre grand soin », appuie Valérie Munoz-Pons. Quelques associés chevronnés de grands cabinets ont formulé trois conseils, confiés à nos confrères du site Law.com : « Ne vous comportez pas comme si vous étiez dans les Hunger Games, offrez beaucoup de cafés à vos associés et pensez comme un chef d’entreprise ! »