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L’héritage Archibald Andersen

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°58 - Janvier / Février 2019

Le nom est presque devenu un mythe. Celui au sein duquel les grands associés fiscalistes et corporate de la place ont été formés. Celui qui a beaucoup inspiré mais qui n’a jamais été égalé. Celui qui manque aujourd’hui dans le paysage. Car au-delà du prestige de la marque,c’est un état d’esprit qui avait été créé. Un sentiment d’appartenance à une maison qui transcendait les ego. Une famille dont les membres continuent à s’entraider, dix-sept ans après la fermeture des bureaux français. La « LJA» a réuni certains d’entre eux pour une séquence « souvenirs ».

En France, tout a débuté en 1993. L’année de la fusion entre la branche juridique et fiscale du fameux cabinet d’audit Arthur Andersen et le non moins réputé cabinet d’avocats SG Archibald. « La réunion de deux cultures d’excellence qui a donné naissance à la marque Archibald Andersen », introduit Éric Fourel. Mais tout ne s’est pas fait en un jour. Car au début, les équipes étaient un peu réticentes à ce rapprochement. « Nous n’étions pas très demandeurs, se rappellent Alain Decombe et Olivier Fréget, qui exerçaient alors chez SG Archibald. En tant qu’avocats, nous ne recherchions pas à nous marier avec des gens du chiffre. Mais Andersen était à part. Des professionnels exceptionnellement doués, comme René Proglio, et un vrai partnership. »

Du côté d’Andersen, les circonspections étaient un peu similaires. « Il y a eu un échange d’otages durant les premières semaines. Je faisais partie des quelques juristes à avoir été envoyés dans les locaux de l’avenue de Messine pour aller rencontrer “les autres”, plaisante Jean-Pascal Amoros. Certains d’entre nous faisaient un vrai complexe d’infériorité par rapport à la cinquantaine d’avocats d’Archibald qui étaient très titrés, polyglottes, et qui travaillaient nuit et jour. » Thomas Jahn et Simone Aicardi sont par exemple cités comme deux personnalités impressionnantes pour les nouveaux venus.

Comme dans toutes les fusions, certains profils ne sont pas parvenus à s’adapter aux nouvelles règles du jeu. Une partie de l’ancienne génération d’Archibald a fait ses valises pour rejoindre d’autres structures. Mais la plupart des professionnels choisissent de tenter l’aventure. Et l’osmose se crée rapidement.

Des valeurs de réussite partagées

« Les valeurs d’Andersen, déclinées au sein d’Archibald Andersen, ont été essentielles pour fédérer tout le monde », précise Frédéric Donnedieu de Vabres. Et, comme seuls savent le faire les Américains, elles ont été très marketées avec des concepts pour le moins détonnant quand ils sont appliqués à des avocats. Le « stewardship » par exemple, c’est-à-dire la transmission générationnelle. « Nous considérions n’être que de passage dans le cabinet et avions pour mission de créer pour la génération suivante », poursuit l’associé qui a d’ailleurs dirigé le bureau français de la firme pendant ses cinq dernières années. Autre ligne de conduite pour le moins inspirante : « being maverick », c’est-à-dire aborder la matière différemment, se réinventer, se challenger et laisser de la place à l’initiative. Enfin, « think straight, talk straight », une devise qui constitue l’une des meilleures façons de s’assurer une clientèle fidèle.

Mais au-delà de concepts marketing, c’est surtout une façon de travailler ensemble qui a été initiée, favorisant le partage et la culture du collectif. « Chez Archibald Andersen, l’esprit de partnership était réel. Chacun avait la possibilité de s’exprimer et de participer à la prise de décision », se souvient Jean-Pascal Amoros. « Il y avait une culture du projet, ajoute Patricia Lemarchand. Les idées proposées pouvaient être mises en œuvre sans difficulté, chacun apportait sa pierre à l’édifice. » L’impression que tout était possible. Le « Yes we can » des années 90…

« Le cross-selling fonctionnait réellement, ajoute Alain Decombe. Je me souviens avoir reçu des dossiers d’un auditeur californien, que je ne connaissais pas, qui vantait auprès de son client la qualité des avocats d’Archibald Andersen. Difficile, voire impossible, d’imaginer une telle situation dans les firmes d’aujourd’hui. » Et ce n’est pas l’argent qui motivait ce partage des dossiers. « C’était une culture du don et du contre-don, explique à son tour Claire Acard. On était chez nous. On passait le dossier à la famille, sans arrière-pensée d’y gagner quelque chose personnellement. ».

Choyer les talents

La force de la firme est aussi d’avoir su mettre en scène les talents. « À mon arrivée chez Archibald Andersen, je suis entrée dans une autre dimension, se rappelle Stéphanie Auféril. J’ai immédiatement eu le sentiment d’appartenir à une marque qu’il fallait porter tous ensemble. » D’autant plus que seule la méritocratie avait sa place dans la carrière des avocats. Les jeux politiques n’entraient pas en ligne de compte dans le processus de décision des promotions. Au bout de quatre ou cinq ans, le collaborateur performant accédait au rang de manager. « Il y avait une sacralisation de cette étape, raconte Frédéric Donnedieu de Vabres. Les promus étaient “présentés” à Chicago au top management, lors d'une grande messe au cours de laquelle étaient transmis deux messages essentiels : “vous n’êtes plus des managers mais des futurs associés” ; “apprenez à perdre du temps avec vos clients et avec vos équipes car vous créerez de la valeur en réfléchissant collectivement”. » Patricia Lemarchand se rappelle : « Sortant du cabinet Borloo, quand je suis arrivée à Chicago pour être présentée, j’ai presque eu l’impression d’entrer dans une secte ! Je me souviens avoir traversé la galerie avec tous les portraits des présidents d’Arthur Andersen. Mais au bout d’une semaine, j’étais transformée et acquise à la marque avec toutes ses valeurs. » Et Jean-Dominique Daudier de Cassini d’ajouter : « L’esprit américain, le partnership, l’encadrement : toute cette émulation pouvait être ressentie comme une pression au départ. Mais l’intégration des équipes était très forte et permettait de fédérer toutes les personnalités au service du collectif ».

Avec ce décorum et cette mise en scène digne des plus grands films hollywoodien, y aurait-il eu chez les avocats d’Andersen un léger sentiment de supériorité ? « Pas du tout ! Lorsqu’on arrivait à Chicago, on était accueillis par “Simply the Best”, la chanson de Tina Turner ! », répond Jean-Pascal Amoros en plaisantant. Frédéric Donnedieu de Vabres reconnaît à son tour « une pointe d’arrogance dans les équipes ». Mais Eric Fourel de justifier : « Ce qui faisait cette arrogance, c’était la culture de l’entrepreneuriat, du projet, de la recherche de la problématique client dans son entièreté. Il ne faut pas négliger ce culte absolu de l’exactitude technique. Notre terreur était de commettre une erreur. Nous étions intraitables entre nous, durs avec les collaborateurs comme nos aînés avaient été cinglants à notre égard. Avoir grandi à cette école-là crée inévitablement un sentiment de supériorité. »

Le tsunami Enron

En 2001, alors qu’Archibald Andersen vient tout juste d’être rebaptisé Andersen Legal et que tout va pour le mieux, quelques bruits commencent à percer sur des questions de responsabilité dans des dossiers d’audit. Le nom d’Enron, fameux client de la firme, circule. Frédéric Donnedieu de Vabres était aux premières loges. Il se souvient : « Le 8 janvier 2002, nous avions une réunion du comité de management d’Andersen, présidée par Aldo Cardoso, un homme d’un grand self control. Au bout de trente minutes, il a reçu un coup de téléphone lui indiquant que les autorités avaient la preuve de la destruction de documents. Je l’ai vu devenir livide. C’était le début de la catastrophe. » Les équipes parisiennes sont prises au dépourvu et perdent leurs repères. « On s’attendait à une vague de quelques centimètres venant du bout du monde. En réalité, cela a été un tsunami auquel personne ne s’attendait et qui a tout emporté », se souvient Anne Vaucher. Le château de cartes s’écroule brutalement. « Un vrai naufrage », ajoute Marie-Hélène Raffin. Et les lois SOX puis LSF, votées quelques mois plus tard, enfoncent définitivement le clou en instaurant une séparation entre les métiers du conseil et de l’audit sur les mêmes clients. C’est la fin d’Archibald Andersen.

L’esprit perdure

« L’explosion du réseau a été vécue de manière dramatique par les équipes, se souvient Anne Vaucher. C’était une épreuve personnelle pour chacun de nous. Il ne s’agissait pas d’un échec, car nous n’avions pas le sentiment d’être fautifs. Mais nous nous sentions tous un peu orphelins. » Les équipes s’organisent alors chacune de leur côté. Certains ont fait le choix de rejoindre un Big, d’autres ont fondé leur structure, enfin quelques-uns ont opté pour un cabinet de lawyers classique. La plupart d’entre eux ont pris des positions majeures sur la place parisienne. Car au-delà des associés entrepreneurs ayant créé de très belles boutiques, comme PLM Avocats, Fréget-Tasso de Panafieu ou Claris, cette réunion d’anciens a permis de rassembler l’ancienne directrice de Taj, le patron d’EY, d’Arsene ou encore de Dechert… Tous unis par la même ambition : faire perdurer les valeurs d’Archibald Andersen dans leurs structures. « J’essaie modestement de conserver l’héritage d’Andersen, notamment le stewardship, qui est essentiel », reconnaît Alain Decombe. « Chez ASBV, on tente d’avoir cette vue holistique des sujets. Ne pas penser petit, aborder la question dans une stratégie globale », détaille Anne Vaucher.  Et Olivier Fréget d’ajouter : « Tout ce à quoi nous avions réfléchi du temps d’Andersen, les autres continuent de le découvrir de nos jours : le cross-selling, le partnership, le marketing et ses limites … Nous étions très innovants, avant-gardistes. C’était un moment unique. On ne le refera jamais. »

« Quel que soit le cadre dans lequel on exerce aujourd’hui, on a tous gardé cette culture de la pluridisciplinarité », tempère Eric Fourel. Chacun a en effet continué à allier le chiffre et le droit sur les dossiers. « Dans les faits, cette collaboration existe, particulièrement en matière de restructuring. Et elle se fait souvent entre anciens d’Andersen », reconnaît Jean-Dominique Daudier de Cassini. L’esprit de partage perdure sans aucun doute entre les membres de la famille dissoute. Les avocats de la place n’étant jamais passés par « l’école de l’excellence » dénoncent d’ailleurs, avec une pointe de jalousie, la solidarité qui existe entre eux. « On sait qu’ils choisiront toujours de sous-traiter ou de travailler en partenariat avec quelqu'un de leur ancienne maison », explique l’un d’eux.  Marie-Hélène Raffin en témoigne : « Mon réseau d’anciens me donne le sentiment de n’avoir jamais quitté la communauté de travail dans laquelle j’exerçais antérieurement. »

Et si certains tentent aujourd’hui de faire revivre la marque, l’initiative est quelque peu critiquée par les anciens. Car l’époque est passée. « Le nom importe peu, ce sont les valeurs qui sont les plus importantes », explique Frédéric Donnedieu de Vabres. Elles perdurent à travers tous les anciens qui les essaiment dans leurs structures respectives. Jean-Pascal Amoros s’en réjouit : « Le modèle n’est pas mort. Mais va-t-il nous survivre ? À nous de les transmettre aux plus jeunes. »

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