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L’essor des nouveaux cabinets d’avocats en France depuis cinq ans

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Le secteur juridique en France a connu une croissance remarquable ces cinq dernières années, marquée par une vague de créations de cabinets d’avocats. Ces nouvelles structures reflètent une évolution dans les pratiques et les besoins juridiques.

Près de 300 cabinets d’avocats d’affaires ont été créés en France depuis 2019. La réalité est sans doute bien supérieure. En effet, les créations de cabinets ne font pas toujours l’objet d’une communication formelle, notamment quand il s’agit de la création de cabinets en région.

Mais d’où viennent ces avocats entrepreneurs ? Quelles sont leurs motivations ? Est-ce une particularité française ? Les cabinets hexagonaux installés auraient-ils encore du mal dans le concept de transmission ? Cette faiblesse donnerait-elle des ailes au subconscient entrepreneurial des avocats ? Est-ce un besoin de plus d’agilité ? Autant de questions sur lesquelles la LJA a enquêté.

« L’atomisation du marché est une spécificité française, analyse Rémy Blain, managing partner d’Addleshaw Goddard. Par rapport à un marché comme Londres où la hiérarchie des cabinets est plus forte et le marché plus fermé, en France nous bénéficions d’une réelle ouverture des clients pour les nouveaux cabinets. Surtout quand ils connaissent les équipes ».

En grande majorité, les créateurs de cabinet sont issus d’un spin-off de leur cabinet d’origine. Ils ont eu l’habitude de travailler ensemble, se font confiance et ont la même vision de leur métier – à tout le moins dans les premiers temps. Certaines structures peuvent être prolifiques en termes de créations. Les anciens de Fromont Briens, pour ne citer qu’eux, sont à l’origine de la création de trois cabinets : Factorhy Avocats (2019), Littler France (2023) et Alscio Avocats (2023). Mais le départ « en bande » n’est pas la seule option, il convient de noter que 56 structures n’accueillent qu’un seul avocat au moment de leurs créations.

Les niches, la grande tendance
de création de cabinets d’avocats
au cours des cinq dernières années

Sur 294 cabinets nouvellement créés, on dénombre 85 cabinets multipratiques et 206 cabinets de niches très spécialisés dans leurs domaines. Si ces cabinets évoluent tous au cours du temps au travers de leurs croissances, décroissances, rapprochements divers et variés, seuls 3 ont complètement disparu des radars.

En première position et de très loin, on identifie les 58 cabinets affichant la gestion des conflits comme activité essentielle. Sont inclus dans cette catégorie de nombreux pénalistes, des avocats rompus aux contentieux et quelques arbitragistes.

Les autres expertises représentant plus de 20 cabinets concernent le droit social (23 cabinets), le droit fiscal (22 cabinets), le droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies « IP/IT » (21 cabinets) et les cabinets ayant opté pour le conseil et la défense d’acteurs économiques d’un secteur ou d’une région du monde spécifique (23 cabinets).

La catégorie « autres » (25 cabinets), reproduite dans le graphique ci-dessous, inclut toute une variété de spécialités juridiques comme le financement, le haut de bilan, le boursier, la responsabilité médicale, la création de fonds, le droit des étrangers, le droit des assurances, le droit patrimonial, l’urbanisme, etc. Chacune de ces variétés ne représentant pas plus d’une ou deux structures.

La surprise de ce podium vient sans doute de cette catégorie de cabinets qui, plutôt que de s’appuyer sur un domaine spécifique du droit, font le choix de privilégier un positionnement sectoriel. Leur objectif, cibler des acteurs économiques de secteurs bien définis : la grande consommation, les professions libérales et réglementées, les industries créatives, le continent africain, les entreprises de la tech, celles engagées dans la transition écologique, dans le secteur de la santé…

« Les créateurs de cabinet ont le sentiment d’avoir une vision assez claire de leur positionnement et de leur offre, ce qui est souvent le cas. Le choix de la structure de niche facilite le positionnement et le développement dans un premier temps. Cela répond également à l’hyperspécialisation du marché », remarque Amélie Lerosier, associée fondatrice de BlueWall, qui accompagne régulièrement ces créations.

Les multipratiques

Dans les cabinets multipratiques, on distingue ceux clairement plus motivés par le choix des avocats avec qui ils ont envie d’entreprendre affichant ainsi des associations d’expertises n’ayant pas grand lien les unes avec les autres. « Il peut arriver qu’une agrégation de gens qui ont envie de travailler ensemble amène à un manque de cohérence », note en effet Amélie Lerosier.

D’autres font le choix de mettre en place de vraies synergies qui vont permettre à leur cabinet de couvrir tous les besoins du client sur des dossiers donnés. C’est une formule qui fonctionne plutôt bien si l’on prend l’exemple du cabinet Ollyns qui est passé de 4 avocats à 28 en un peu plus de trois ans, ou de Moncey qui est passé de 15 à 35 avocats en moins de trois ans. « Nous sommes partis du constat que sur le marché, il y avait une place à prendre en tant que cabinet français indépendant positionné sur le segment des opérations « mid-cap » avec un triptyque corporate, fiscalité et financement, explique Frédéric Pinet, associé gérant du cabinet Moncey. Depuis nous avons complété notre palette d’expertise avec le contentieux, le restructuring et le social ».

L’implantation de cabinets internationaux à Paris constitue également une opportunité pour des équipes françaises désireuses de développer de nouveaux projets au sein de l’hexagone. Ces cinq dernières années ont ainsi vu arriver les cabinets Addleshaw Goddard, Kirkland & Ellis, Littler France, Signature Litigation ou encore Elvinger Hoss Prussen.

« Ouvrir l’antenne française d’un cabinet international en partant d’une page blanche, c’était une opportunité à ne pas rater, reconnaît Rémy Blain, managing partner d’Addleshaw Goddard. Les aspirations du cabinet correspondaient aux nôtres. Nos clients sont habitués aux opérations internationales. Un cabinet international nous permettait de répondre à leurs attentes ». Créer un cabinet full services était l’ambition dès le départ. Il poursuit : « Nous avons démarré en 2021 avec 22 personnes dont 6 associés. Aujourd’hui, nous sommes 18 associés et nous sommes passés de 4 à 10 pratiques. On va plus vite en termes d’investissements en s’appuyant sur un actionnaire ». C’est certainement ce qu’a considéré Anna Christina Chavez qui vient de les rejoindre pour étoffer leur équipe en droit social après avoir créé en 2021 sa propre boutique « Key Lawyers ». Un recrutement gagnant-gagnant pour Rémy Blain : « Être seule, ça développe des compétences de recherche de clients, de gestion, de connaissance de son point mort, c’est très utile quand on arrive dans un cabinet structuré ». Les cabinets de niche seraient-ils un formidable un terrain de chasse pour les cabinets multipratiques qui souhaitent se renforcer ? C’est en tout cas une vraie tendance de marché.

Les motivations

Les motivations pour se lancer dans l’aventure peuvent être communes comme l’envie d’entreprendre, la liberté de choisir avec qui l’on travaille. Mais les ambitions peuvent également être très différentes selon les personnalités des avocats qu’ils soient associés expérimentés ou avocats fraîchement nommés counsel.

Pour les premiers, forts d’un portefeuille de clients étoffé dès le départ s’appuyant sur des relations historiques et solides présageant d’une activité soutenue « ce sont souvent les divergences de visions et de projets avec la structure d’origine conjugués avec un esprit entrepreneurial réel qui déclenche la création d’une structure qui réponde à leurs attentes et leurs valeurs, explique Amélie Lerosier. Pour les plus jeunes, les leviers sont différents : des avenirs bouchés dans leur structure d’origine, l’absence de rôle modèle parmi les associés qui les dirigent, la recherche d’un équilibre vie personnelle/vie professionnelle, notamment pour les structures unipersonnelles ».

En mars 2019, à 41 ans, Laurent Partouche-Sebban annonce la création de Keels, cabinet de niche en droit fiscal. Il quitte, Arsène, un grand nom spécialisé dans cette expertise. « Je souhaitais retrouver une boutique à taille humaine, vivre une aventure entrepreneuriale au plus près de nos clients », se souvient-il. Conserver et faire grandir ses collaborateurs et collaboratrices quand la structure d’origine ne peut leur offrir que des promesses à très long terme est également une raison souvent avancée. « Ma motivation : l’envie de transmission, j’ai interrogé mes collaboratrices pour connaître leur état d’esprit. Nous avons imaginé une structure, basée sur le partage de valeurs, plus agile pour pérenniser et transformer une activité que l’on avait construite ensemble », explique Sophie Havard Duclos, fondatrice du cabinet Havard Duclos & Associés.

Les défis de l’entrepreneur

De grandes questions se posent à ces entrepreneurs du droit qui créent des structures souvent plus petites que leur structure d’origine. Laurent Partouche-Sebban, fondateur et dirigeant de Keels Avocats en énumère quelques-unes : « Existe-t-il un marché pour mon cabinet ? En termes de dossiers, allons-nous réussir à intervenir sur des dossiers aussi importants que ceux que nous traitions dans ma structure d’origine plus établie et reconnue ? Quid de notre aptitude à se développer ? »

Le projet coûte cher et il est loin d’être neutre en termes d’investissements (locaux, campagne de communication, équipements informatiques et abonnements aux bases de données), le risque est bien là. « Créer son cabinet demande assurément un engagement fort différent de celui d’être associé au sein d’une grosse structure. La gestion du BFR, des ressources humaines ou encore le maintien du plus haut niveau d’exigence professionnelle sont des paramètres qu’il faut avoir à l’esprit quand on décide de se lancer », note Laurent Partouche-Sebban.

La création d’un cabinet est une occasion unique de mettre en place une gouvernance claire permettant d’avoir un cycle de décision rapide et efficace et un système de rémunération qui réponde à la fois aux attentes des fondateurs mais également à celles des potentiels associés à venir.

Gouvernance claire et système de rémunération vertueux vont faciliter la réponse à trois grands défis : conserver leur portefeuille clients, le développer et attirer des talents ce qui est difficile pour une jeune marque. « Dans ce cadre, la visibilité et la communication auprès du marché sont essentielles. Sans oublier ses confrères qui sont des potentiels clients notamment pour les cabinets de niche, précise Amélie Lerosier. La notoriété acquise à titre individuel au sein de la structure d’origine est un atout clé, la notoriété de la structure de départ en est un également notamment pour la période de lancement ». Alexandra Cohen-Jonathan, ex-August Debouzy, en créant Tamaris spécialisé en droit des assurances ou Martin Pradel, ex « Betto Perben Pradel Filhol » en créant TALMA Dispute Resolution, cabinet dédié à l’arbitrage, au contentieux et au droit pénal, en sont deux excellents exemples.

Qui dit naissance, dit nom ! L’éternel débat !

Une des grandes interrogations qui peut donner lieu à des heures de réflexions et discussions animées reste encore le nom que l’on va donner à sa future structure. Certains pensent qu’il faut capitaliser sur le nom des fondateurs, pour se démarquer des activités commerciales, pour se distinguer par les hommes composant le cabinet, pour marquer son attachement aux traditions.

Choisir un nom générique, c’est faire un autre pari, celui de créer une véritable marque, pérenne dans le temps, plus inclusive puisque déconnectée du nom des associés fondateurs. Elle adopte les codes du monde l’entreprise et souligne la culture du cabinet, plus que celle des individus. Le cabinet Lyrès l’illustre : « Le nom initial du cabinet lors de sa création étant celui de sa fondatrice, nous l’avons modifié pour adopter un nom plus fédérateur pour l’équipe et symbolisant nos valeurs ».

Derrière de nombreux noms génériques, les cabinets envoient des messages chargés de promesses à leur marché. Keels, c’est la quille d’un bateau qui lui donne de la stabilité et de la vitesse. Karman emprunte son nom à la ligne au-delà de laquelle l’atmosphère terrestre s’efface devant l’espace. Aldébaran est l’étoile la plus brillante de la constellation zodiacale du Taureau. Marici fait référence à une divinité bouddhiste, souvent représentée avec plusieurs bras munis de différentes armes et connue pour conduire les guerriers vers la lumière et les aider à dépasser la seule notion d’intérêt. Apostrophe parce que l’on ne peut défendre et convaincre sans interpeller. Edgar, choisi pour exprimer la proximité avec ses clients que l’on appelle de plus en plus par leur prénom. Moncey à l’image du Maréchal qui a traversé les tempêtes avec bravoure, honnêteté et fidélité.

La création de ces nouveaux cabinets reflète une évolution dynamique du secteur juridique, caractérisée par la spécialisation, l’adaptation aux nouvelles réalités du marché, des approches innovantes et personnalisées et une adaptation rapide aux défis modernes. L’augmentation du nombre de cabinets spécialisés intensifie la concurrence. Une concurrence qui, espérons-le, conduira à la notion du cabinet d’avocats-entreprise, une amélioration de la qualité des services et à une plus grande variété d’options pour les clients.