Connexion

Les nouvelles attentes des clients envers leurs avocats

Si l’expertise technique, les compétences transverses et transnationales, l’expérience et la réactivité de leurs avocats sont un préalable évident pour les clients, qu’est-ce qui fait la différence entre les meilleurs conseils aujourd’hui ? La LJA a enquêté sur les attentes des directions juridiques.

Les critères de sélection des avocats par leurs clients sont devenus plus pointus ces dernières années. Les premiers échanges étant déterminants pour créer de la confiance, ils doivent donc être d’un excellent niveau. L’avocat en cours de sélection est tenu de s’informer en détail sur son potentiel nouveau client et lui montrer qu’il est l’interlocuteur idoine dès le premier rendez-vous. « Le développement d’Internet a complètement changé la rapidité avec laquelle les avocats sont désormais capables de connaître l’activité, la gouvernance et le fonctionnement d’une entreprise, même si des disparités demeurent, certains effectuant des recherches plus approfondies que d’autres, ce qui se perçoit immédiatement lors de la première rencontre, indique Géraldine Hivert-de Grandi, directrice juridique d’Econocom. Il y a encore une vingtaine d’années, il était plus difficile d’obtenir instantanément des informations précises sur une société ou un groupe, d’accéder à la composition de son conseil d’administration, d’avoir une idée précise de son activité et de sa performance financière ».

Comme les entreprises peuvent généralement compter sur leurs juristes en interne pour toute assistance juridique, celles qui font appel à des cabinets d’avocats espèrent obtenir des conseils à forte valeur ajoutée. « Les sociétés sollicitent des conseils externes pour, d’une part, obtenir une expertise très pointue, de grande qualité, et de manière immédiate – c’est une constante depuis plus d’un quart de siècle –, mais avec une compréhension attendue du secteur d’activité, donc de nos métiers, de plus en plus élevée ces dernières années, lance Éric Haza, directeur juridique de Veolia. D’autre part, elles recourent à des avocats lorsqu’elles ont besoin de bras supplémentaires en cas de surcharge d’activité, pour un projet spécifique, comme une opération de M&A d’envergure, ou une nouvelle réglementation, qui implique un besoin de mise en conformité des stocks contractuels et d’imaginer la gestion du flux futur dans un nouveau cadre réglementaire législatif mondial ».

Des conseils pratiques

Les avocats doivent plus que jamais jouer un rôle de guide permettant à leurs clients de contribuer à la réalisation de leurs stratégies d’entreprise. Et pour que leurs conseils soient les plus avisés possibles une fois la relation établie, ils doivent faire preuve d’une excellente compréhension de l’ADN, de l’image, du business et des enjeux de l’entreprise, du secteur d’activité, des contraintes de concurrence et de l’évolution du marché. « Les cabinets doivent appréhender rapidement et de manière pragmatique l’activité de l’entreprise dans son ensemble et la nature de chaque besoin, afin de percevoir immédiatement le niveau de profondeur de l’analyse à mener, souligne la directrice juridique d’Econocom. Lorsque celui-ci est mal appréhendé, le travail doit être refait, ce qui entraîne des coûts et une perte de temps, ainsi qu’une dégradation des relations entre les avocats et leurs clients, dans une situation où un groupe a besoin d’être conseillé rapidement sur une problématique juridique et plus particulièrement sur les décisions à prendre et actions à mettre en place ». Les clients attendent en effet des solutions pragmatiques et concrètes, qui leur parlent, et non plus simplement un avis juridique mettant en avant l’identification des seuls risques qui les laisseraient seuls face aux décisions à prendre. Mais parfois, les analyses juridiques restent au milieu du gué. « Il n’est pas rare que l’avocat se limite à une analyse purement juridique du problème qui lui est soumis et ne guide pas suffisamment son client dans le choix de la décision à prendre, poursuit Géraldine Hivert-de Grandi. Le cabinet doit être force de proposition sur les démarches à suivre, étape par étape, en prenant en compte l’intégralité des éléments du dossier, c’est-à-dire les risques et les opportunités au regard de la perspective poursuivie. L’avocat doit bien évidemment toujours avoir un coup d’avance sur les propositions à apporter à son client, d’autant plus que les juristes d’entreprise, souvent d’un excellent niveau technique, ne sont pas en reste pour les mettre sur la bonne voie ». Plus une structure est force de proposition, plus elle a des chances de satisfaire son client et de tisser un lien de fidélité vertueux. Et le conseil doit savoir communiquer et s’adapter à l’expertise juridique de ses interlocuteurs. Il est par exemple attendu sur sa capacité à adresser des messages au top management, que les directeurs juridiques ne peuvent pas toujours faire passer en interne, comme l’opportunité de conclusion d’une CJIP par exemple.

La transparence dans la facturation

Cette relation de confiance entre les avocats et leurs clients, nouée dans le respect et la transparence, passe aussi par les honoraires et la facturation. Des sujets cruciaux pour les clients, puisque le prix est considéré comme leur premier motif de rupture d’une relation de travail avec leur cabinet pour 58 % des 289 directeurs juridiques interrogés par le Cercle Montesquieu et Gide, dans le cadre de leur étude « Entreprises et avocats : quelles nouvelles modalités de collaboration ? », publiée en décembre 2019. Loin derrière, viennent le manque de compétences (49 %) et un accompagnement insuffisant (20 %).

L’enquête menée par la rédaction pour le Top 40 des avocats du CAC 401 a révélé que les clients se plaignent peu du coût de leur avocat, même si certains déplorent un décalage entre le monde de l’avocature et celui de l’entreprise, les poussant parfois à se tourner vers de plus petites structures, qui proposent des taux estimés plus en adéquation avec les services rendus. C’est surtout l’absence de visibilité ou de clarté qui entoure les honoraires qui est dénoncée.

Et le plus souvent, c’est lorsque le forfait négocié au départ est dépassé que les problèmes apparaissent. Rémy Blain, managing partner d’Addleshaw Goddard, avait d’ailleurs préconisé, dans une précédente enquête de la rédaction, d’en parler sans attendre avec son interlocuteur : « Il faut tout de suite voir avec le client comment s’organiser, analyser les causes du dérapage et atténuer les conséquences en termes de budget, car celui-ci oublie vite que l’on est sorti des hypothèses de départ. En réalité, lorsque le directeur juridique a annoncé un chiffre à la direction générale, il est très difficile de revenir dessus »2. Certains avocats auraient tendance à privilégier le travail de fond, sans soigner la facturation. Conseillant de prendre le temps d’expliquer au client comment il va être facturé et pour quelles tâches, Carole Pascarel, médiatrice à la consommation pour la profession d’avocat, déclarait à son tour que : « Les contestations peuvent venir d’une incompréhension par le client des termes de la convention d’honoraires, mais aussi du contenu du travail de l’avocat : il y a un manque de communication. Il ne faut pas avoir peur d’être didactique et faire preuve de transparence », car les clients ne se rendent pas forcément compte de l’ampleur du travail accompli par l’avocat.

Éric Haza apprécie l’utilisation de KPI, et notamment l’un d’eux, lié au coût réel d’un juriste à l’heure, lui permettant dans un second temps de le comparer à celui d’un avocat. Il explique qu’aux États-Unis, un juriste en interne coûterait aux entreprises environ 200 $ de l’heure, contre des fees pouvant monter jusqu’à 2000 $ pour un avocat. En Slovaquie, le coût des avocats et juristes s’élèverait tous deux en moyenne 30 € de l’heure, contre 80 € en France en moyenne pour un juriste, 200 € pour un avocat de droit public et 800 € en moyenne pour une équipe d’un cabinet américain bien constituée et intervenant sur un dossier de M&A. En tout état de cause, la transparence est clé.

La transparence dans l’utilisation des outils technologiques

La transparence est également attendue dans l’usage de la technologie par les avocats. « La plupart des groupes sont ouverts à ce que leurs conseils utilisent, à bon escient et de manière transparente, des outils technologiques, avec la complémentarité du prisme de l’intelligence humaine, leur usage pouvant être une grande source d’économie pour leurs clients, déclare Géraldine Hivert-de Grandi. Les sociétés entendent, par transparence, le fait de connaître le taux de fiabilité de l’analyse rendue, ainsi que le temps passé par l’humain et la machine dans tous les dossiers, notamment d’investigation qui nécessitent des analyses souvent réalisées par des logiciels puissants ». La généralisation de l’intelligence artificielle et notamment de l’IA générative va incontestablement accroître les attentes des clients sur le travail délivré par l’avocat. Mais il n’est pas certain que l’exigence de transparence des entreprises soit respectée. Selon une enquête dévoilée début octobre par LexisNexis sur l’IA générative et son impact sur la transformation des métiers du droit, 70 % des sociétés s’attendent à ce que leurs conseils leur demandent en amont s’ils peuvent utiliser l’IA générative, alors que seulement 37 % des avocats pensent informer leurs clients de leur utilisation. La technologie consolidera-t-elle la relation entre un cabinet et une entreprise ou entraînera-t-elle une plus grande volatilité ? « Elle peut la rendre plus fragile, engendrant une sorte de spirale instantanée d’échanges entre les cabinets et leurs clients, qui ne sera pas un gage de pérennité dans la relation », estime la directrice juridique.

L’enquête annuelle de Wolters Kluwer sur les avocats et juristes face au futur révèle que si les directions juridiques continuent à être très satisfaites de leur cabinet d’avocats (86 % en 2023 contre 91 % en 2022), une majorité (61 % contre 78 % en 2022) est susceptible d’en changer l’an prochain pour leurs besoins. En cause : le manque d’outils des cabinets pour gagner en efficacité. Pour s’entourer d’un nouveau conseil, les clients veilleront désormais à la capacité de la structure à équiper leur personnel des bons outils pour exécuter leur travail (35 %), ainsi qu’au degré d’assistance qu’ils offrent à leur personnel en matière de choix et d’implémentation de la technologie juridique (27 %). « Il est évident que les clients commencent à attendre de leurs cabinets d’avocats qu’ils utilisent la technologie disponible sur le marché pour optimiser les notes d’honoraires, commente Éric Haza. Il ne sera, par exemple, bientôt plus question de facturer des due diligences réalisées par une armada d’avocats à des montants élevés comme aujourd’hui, alors que la machine aura effectué une première revue de qualité. Les cabinets devront prendre ce virage, au risque de perdre de nombreux clients ». Mais le directeur juridique de Veolia se veut tout de même assez rassurant sur les relations entre les clients et les conseils dans le futur : « Les grands stratèges juridiques de la place, connus pour leur pilotage des dossiers, leur intelligence de situation et leur capacité de travail resteront toujours sur le devant de la scène auprès des clients. Les autres devront se démarquer, car la structure économique des cabinets sera bientôt bouleversée, puisque les avocats seront tenus de vendre autre chose que des ‘heures’ automatisées, voire standardisées. Les clients attendront un travail avec encore plus de valeur ajoutée et d’intelligence humaine qu’à l’heure actuelle ». L’intuitu personae pourrait donc se renforcer dans les prochaines années. ν

Cf. LJA Magazine 85, juillet-août 2023, Top 40 des avocats du CAC 40
Cf. LJA Magazine 69, novembre-décembre 2020, Facturer ses honoraires
et les justifier auprès du client