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Les attentes des directions juridiques à l’égard de leurs avocats

La place du droit au sein de l’entreprise a évolué depuis une vingtaine d’années, impactant dès lors les relations des directions juridiques avec leurs avocats. Quels sont leurs nouveaux besoins et leurs attentes vis-à-vis des cabinets qui les accompagnent ? La LJA a mené l’enquête.

Après la crise de 2007-2008, les services juridiques des entreprises ont été mis sous pression financière. Face à une réduction parfois drastique de leurs budgets, ils ont appris à se réorganiser autrement, et à faire plus avec moins. Avec l’avènement du numérique et le développement de la fonction de legal operation manager en interne – autrement appelée chief legal operation officer (CLOO) – la direction juridique s’est peu à peu transformée en centre de profitabilité. Proactivité et anticipation des coûts sont aujourd’hui au coeur de la stratégie du service. Les legal ops mettent en place des process pour mieux gérer les relations entre les juristes et leurs clients internes (commerciaux, RH, fiscalistes…), mais également avec leurs conseils externes. Dès 2019, Éric Gardner de Béville, consultant international et membre du Cercle Montesquieu, explique à la rédaction de la LJA : « Le juridique opérationnel est un outil performant pour les directions juridiques désireuses d’une meilleure main mise sur la gestion des budgets qui impactent directement son fonctionnement, sa réputation en interne et les aléas commerciaux, industriels et financiers de l’entreprise dans son ensemble » (1). Les directions juridiques se placent donc en première ligne en matière d’innovation car elles ont compris qu’elle est une source de profitabilité et d’accélération du business. Elles attendent que leurs avocats évoluent dans le même sens « Elles mènent la danse avec leurs cabinets d’avocats et redéfinissent les standards de digitalisation », explique Grégoire Miot, business development associate director Europe au sein du groupe Wolters Kluwer. La récente étude The future ready lawyer en est d’ailleurs le reflet. Il en ressort que 82 % des directions juridiques souhaitent que leurs cabinets d’avocats utilisent davantage la technologie pour réaliser leurs missions. Grégoire Miot explique : « La place de l’utilisation de la technologie dans le top 5 des motifs de changement de cabinets met en évidence la profonde évolution des critères de sélection et la traduction des enjeux toujours plus forts des directions juridiques : optimisation et prévisibilité des coûts ».

TRANSPARENCE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES

Notre enquête démontre surtout que les directions juridiques attendent de leurs avocats qu’ils soient capables de se plugger sur les technologies qu’elles ont elles-mêmes développées en interne. Les outils de facturation sont à cet égard intéressants. Quelques firmes internationales de lawyers ont mis en place des plateformes pour transmettre leurs factures à leurs clients. Si la démarche semble plaire car elle témoigne d’une volonté d’efficacité et de transparence à l’égard de l’entreprise, elle ne convient néanmoins pas aux groupes qui ont mis en place des outils centraux de gestion des factures gérés par la direction des achats. « Il convient alors de faire un développement pour que l’outil du cabinet puisse se coordonner avec celui de notre direction des achats, c’est compliqué et très loin de l’objectif d’efficacité que nous attendons », témoigne le legal ops d’un grand groupe français qui tient à rester anonyme. Certaines solutions de ebilling déployées par les directions juridiques elles-mêmes commencent à se développer en Europe à des fins de pilotage budgétaire et de contrôle des coûts. À l’image de TotalEnergies qui a récemment investi dans un outil proposé en Grande-Bretagne. Aurélien Hamelle, directeur juridique du groupe, témoigne : « Nous avons déployé, à l’automne dernier, un outil de gestion des factures des cabinets qui nous accompagnent. Grâce à l’intelligence artificielle, nous sommes en mesure de procéder à la revue des pré-factures et de comparer chaque élément avec la lettre d’engagement. C’est un moyen d’apporter plus de performance et de transparence aux processus juridiques ». Le pilotage des dossiers est ainsi mieux suivi, les éléments de facturation (taux horaire, frais de déplacement, seniorité des avocats mobilisés…) sont contrôlés et les règles internes de l’entreprise sont mieux respectées. Une solution 100 % gagnante… en tout cas pour la direction juridique… « Ces technologies sont très développées aux États-Unis où les volumes de dossiers sont importants. Elles sont encore rares en Europe continentale », tempère Grégoire Miot. Les legaltechs se concentrent davantage sur la gestion de l’information juridique globale (contract management, propriété industrielle), sur celle des assemblées générales ou des événements corporates, sans oublier bien sûr la signature électronique. Mais comme le répète à l’envi Olivier Chaduteau, désormais partner de PwC legal business solutions : « La valeur ajoutée d’aujourd’hui est le standard de demain ». Les avocats doivent donc se tenir prêts à être capables de passer par des solutions de ebilling de leurs clients pour transmettre leurs factures et justifier de leurs honoraires.

PRÉCISION ET ANTICIPATION

« Ces attentes technologiques sont surtout le fait de directions juridiques de multinationales, témoigne à son tour Didier Lucotte, qui a été group vice president d’une entreprise cotée pendant plusieurs années avant de prendre récemment sa retraite. Je ne suis pas certain qu’elles soient représentatives de celles des directeurs juridiques d’entreprises de taille moyenne qui, elles, maîtrisent leurs factures à partir d’Excel. Leur principale attente, elles, c’est d’obtenir des solutions pratiques compréhensibles et qui collent à leur business ». Inutile, en 2023, d’envoyer des notes de 20 pages sur une question ponctuelle. Les directions juridiques veulent une réponse précise, en quelques lignes, complétée ensuite éventuellement d’une analyse plus étayée si le client le demande. Car rappelons-le, le niveau de qualification des juristes internes est aujourd’hui élevé. Ils ne cherchent plus une vague information, celle-ci ils l’ont déjà grâce aux divers sites Internet à contenu informatif. Et le développement, depuis novembre dernier, du chatbot ChatGPT pourrait sans doute participer à cette métamorphose des relations entre juristes et avocats. Cette technologie est véritablement impressionnante car elle comprend n’importe quelle question technique et y répond dans un langage très proche de celui d’un humain spécialiste. Même si le professeur Nicolas Molfessis considère, dans un édito récent publié au JCP (2), que l’IA ne pourra pas le remplacer, la rédaction s’interroge tout de même sur les conséquences de l’accès de plus en plus facile des entreprises à la technicité du droit. En poussant le traitement des dossiers juridiques vers le haut, cette nouvelle technologie pourrait faire évoluer les attentes des directions juridiques à l’égard de leurs avocats. Depuis une dizaine d’années, le marché a par exemple vu fleurir des lettres d’information rédigées par les cabinets à destination de leur clientèle. Si elles ont eu une grande utilité durant le début de la pandémie du covid-19 pour expliquer l’impact sur les entreprises des divers décrets publiés (3), il semblerait qu’elles n’aient plus tellement le vent en poupe. « Nous attendons que nos avocats nous alertent sur les nouvelles réglementations en nous expliquant en quoi elles impactent directement notre groupe, témoigne le legal ops interrogé par la rédaction. C’est une information que je qualifierai de demi-mesure. Elle doit être gratuite et, si besoin, nous demanderons un memo détaillé à l’avocat qui nous facturera ». Les avocats doivent donc anticiper les éventuels besoins de leurs clients. Ils ne sont plus dans la réaction, ils doivent véritablement être proactifs.

PROXIMITÉ

Sarah Leroy, directrice juridique, fiscale, compliance et, désormais, également directrice des ressources humaines de Tereos, confirme cette tendance : « Nos avocats doivent nous interpeller sur les décisions ou les projets de loi qui sont susceptibles d’avoir un impact sur notre groupe. Ceci suppose qu’ils connaissent précisément notre fonctionnement, nos enjeux et nos problématiques actuelles ». La direction juridique n’hésite donc pas à inviter ses conseils à certaines réunions internes, notamment celles où la stratégie business de l’entreprise est détaillée. La proximité est bien au coeur de ces nouveaux rapports. Alors que les general counsels ont eu à coeur de qualifier leurs avocats de prestataires de services durant plusieurs années - sans doute un peu pour rabaisser l’ego de certains profils – l’expression semble devenue bien loin de la réalité actuelle. « Nous attendons de la proximité. Nos avocats sont d’abord nos partenaires », lance Sarah Leroy. Cette expression de partenaire est d’ailleurs reprise par le legal ops interrogé. « Dans cette optique de partenariat, pour qu’ils connaissent mieux notre fonctionnement et nos attentes, nous apprécions que les cabinets détachent des collaborateurs seniors chez nous. Ce séjour au sein de notre direction juridique est capital pour le développement de nos relations », explique-t-il. Les conseils ont alors accès à un savoir technique extra-juridique qu’ils ne développeront pas en restant externes. Finalement les directions juridiques attendent surtout de leurs avocats qu’ils rentrent de plain-pied dans leur équipe.