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Les arcanes de la cooptation : au cœur du processus de sélection des associés

Par Florence Henriet

Dans le monde des cabinets d’avocats, le processus de cooptation interne reste une énigme pour beaucoup. Pour lever le voile sur cette procédure stratégique, nous avons recueilli les témoignages de responsables de certains cabinets. À travers ces interviews, ils dévoilent les coulisses de la sélection des associés, révélant les critères d’évaluation, les défis et les attentes. Cette série d’entretiens offre un aperçu des mécanismes de décision et des principes qui guident la cooptation au sein de ces institutions.

La voie vers l’association au sein du cabinet Gide : un processus rigoureux

Le comité exécutif – composé de six membres incluant un senior partner, un managing partner, trois associés conseillers dont un en charge des ressources humaines et la secrétaire générale – joue un rôle de supervision et de délibération en collaboration avec la commission d’association dans le processus d’association en interne.

Mais l’étape cruciale de ce processus est menée par la commission d’association, un groupe de cinq associés élus pour trois ans, reflétant la diversité du cabinet. Frédéric Nouel, senior partner, souligne : « Notre ADN c’est de trouver nos talents au sein de notre cabinet. 75 % des associés ont commencé comme stagiaire chez Gide ». Un candidat à l’association est présenté par ses associés et soutenu par un parrain de son groupe de pratique, qui endosse la responsabilité de sa candidature. Le dossier du candidat, co-construit avec son parrain, peut se focaliser sur son projet, sur sa personnalité ou sur son business plan, selon les besoins. Chaque candidat reçoit un kit d’information standardisé le concernant, couvrant les aspects RH, clients et financiers, soulignant l’importance de ne pas négliger un potentiel talent. « Autrefois, il fallait justifier d’un portefeuille clients significatif. Aujourd’hui, on s’appuie plus sur la capacité à développer. On ne peut pas demander à un jeune associé d’avoir un chiffre d’affaires comparable à un associé plus établi. Nous croyons dans les constructions en devenir », complète le senior partner.

La commission d’association instruit les candidatures, présente les candidats à l’ensemble des associés et formule des recommandations, sans nécessairement appuyer toutes les candidatures. Frédéric Nouel précise : « Faire preuve de jugements de qualité, de réelles capacités de plaider et de négociation, manifester l’envie de travailler ensemble sont des critères essentiels ». La période de candidature est marquée par des rencontres individuelles entre le candidat et tous les associés, instaurant un dialogue essentiel sur les motivations et les aspirations de celui-ci. La décision finale repose sur un vote à bulletin secret de l’ensemble des associés, exigeant une majorité de 75 % pour préserver les principes démocratiques du cabinet et garantir une véritable cooptation des nouveaux associés. Laetitia Lemercier, associée, membre du comité exécutif et ancien membre de la commission d’association, ajoute : « Nos counsels sont notre pépinière, notre vivier de futurs associés. Nous faisons en sorte que les femmes puissent être accompagnées de façon spécifique, notamment grâce à des échanges réguliers avec des femmes associées. Nous souhaitons que le plafond de verre disparaisse, à ce jour nous comptons 22 % de femmes associées. Dans nos promotions depuis 2018, un tiers sont des femmes et cette moyenne ne fait qu’augmenter. »

Chez Herbert Smith & Freehills, un comité responsable de la nomination des associés composé de 38 personnes

Louis de Longeaux, associé a été membre pendant deux ans du comité responsable de la nomination des associés composé de 38 associés pour la partie EMEA UK USA, il explique : « Les 38 associés consacrent une semaine par an pour travailler sur l’examen des business case (BC) préparés par le candidat avec son mentor et son groupe de pratique. Nous nous appuyons sur le BC, mais notre rôle est également de nous assurer qu’en matière de valeurs, de culture, d’esprit d’équipe, il correspond à ce qu’on attend d’un associé. Nous nous assurons qu’il y a bien une volonté du candidat, un consensus derrière lui, un écosystème en place pour l’aider à démarrer, que cela va fonctionner en termes de personnalités ».

Chez Clifford Chance, la contribution financière ne suffit pas

Le cabinet favorise tout au long de la carrière de ses collaborateurs le développement personnel et business de l’avocat. En effet, en Europe continentale, avant la nomination en qualité d’associé, l’avocat doit avoir été nommé counsel. Pour cela, il doit être soutenu par ses associés et être soumis à une évaluation à une échelle régionale par le « counsel selection group », composé d’associés de divers bureaux et respectant une parité hommes-femmes. Ce comité évalue les candidats counsel sur leur autonomie, leur implication dans le cabinet et d’autres critères objectifs, puis formule des recommandations au management régional qui prend la décision finale.

Les candidats counsels puis les candidats associés sont évalués sur leur contribution globale au cabinet en termes d’activités facturables et non facturables et pas uniquement sur leur expertise ou leurs qualités techniques. Lorsque le counsel a développé sa clientèle, son réseau mais également ses qualités managériales, ses sponsors proposent leur candidat qui sera alors évalué par un groupe au niveau mondial, le « partner selection group » composé de plusieurs associés qui respectent également une parité régionale et une parité hommes-femmes. « Pour cela, le candidat associé devra passer un entretien ainsi qu’une évaluation. Au programme : cas pratiques et jeux de rôles avec des associés font partie du chemin vers la sélection », détaille Delphine Siino Courtin, associée. La contribution financière ne suffit pas, affirme-t-elle : « Un candidat qui facturerait 2 500 heures par an mais ne contribuerait pas aux projets du cabinet ne passerait pas ». Le candidat associé recommandé à l’association par le « partner selection group » et approuvé par le comex mondial est enfin soumis à un vote de tous les associés au niveau mondial pour pouvoir être promu.

Chez Dechert, un process exigeant, garant de la stabilité et de la pérennité du partnership 

Atteindre le statut d’associé chez Dechert requiert généralement une moyenne avoisinant les 11 à 12 ans d’expérience. Le processus, supervisé par le partnership promotion committee (PPC), valorise les candidats qui « vont travailler dans l’intérêt du groupe au-dessus de leurs intérêts individuels », précise Sabina Comis, global managing partner. « Le process est exigeant, il est le garant de la stabilité et de la pérennité du partnership », poursuit-elle. Après avoir soumis un dossier incluant un business plan avec l’aide d’un associé référent, les candidats passent des entretiens avec trois membres du PPC. L’ultime étape est la présentation du dossier d’association au comité exécutif, avec l’aval et la recommandation de leur practice group, soulignant l’importance de la contribution au collectif et à la rentabilité du cabinet. « Le grand oral en face des deux chairmans de la firme donne au candidat une idée de l’ampleur de la fonction pour devenir full equity partner », ajoute Sabina Comis.

Chez Linklaters, la première étape à passer pour devenir associé est,
généralement, celle vers le statut de counsel

À partir de 7 à 8 ans d’expérience, le process pour devenir counsel se rapproche historiquement de celui pour accéder au partnership. Il repose sur une procédure bien structurée visant à évaluer de manière exhaustive les compétences et l’adéquation des business cases des candidats avec la stratégie du cabinet. Pour préparer leur entretien, les candidats sont accompagnés par un mentor et doivent soumettre leur plan de business développement, tout en recueillant les retours des personnes de différents bureaux, pratiques, équipes et séniorités ayant eu l’occasion de travailler avec lui/elle. Les évaluations annuelles précédentes jouent également un rôle crucial dans le processus. Françoise Maigrot, managing partner du bureau de Paris insiste sur l’importance de fournir d’excellents services aux clients et le partage des valeurs du cabinet. « Nous nous basons sur des feedbacks à 360° grâce à un outil qui permet chaque année un retour de ceux et celles qui souhaitent s’exprimer – de façon confidentielle ou non », précise-t-elle. L’entretien, d’une durée d’une heure, est mené par deux associés n’appartenant ni au même bureau ni à la même pratique que le candidat, ainsi que par un RH senior. Cet entretien se divise en trois parties principales : une discussion sur le plan de business développement du candidat, des questions axées sur ses compétences et enfin, une session de questions ouvertes, permettant à ce dernier de démontrer pleinement ses aptitudes à rejoindre les rangs des counsels. Françoise Maigrot décrit les principales qualités attendues du futur associé : « Être un professionnel reconnu dans sa matière, en adéquation avec notre mode de travail et notre stratégie, respectueux du collectif et entrepreneur, ambitieux pour le cabinet ».

Chez White & Case, on observe le dossier deux ans avant une potentielle candidature

Entre avril et fin octobre de chaque année, White & Case mène son processus d’identification et de sélection des candidats internes au poste d’associé, jalonné de nombreux échanges entre partners, ainsi qu’avec les candidats. Guillaume Vallat, executive partner du bureau de Paris, précise : « L’association est une décision et une étape très importante, qui s’anticipent. C’est pourquoi nous discutons de manière transparente avec nos avocats, dès 7 ans d’expérience, de leurs ambitions, leur potentiel et leur évolution possible au sein du cabinet, ce au regard de différents critères de performance et d’excellence quant à leur savoir-faire et savoir-être ».

Chaque candidat, avec l’aide de son ou ses associés mentors, élabore un business case soulignant les qualités et motivations personnelles et stratégiques de sa candidature. Par la suite, un associé d’une autre pratique et d’un autre bureau examine ce business case, interroge d’autres associés pour recueillir leur point de vue, et apporte son propre avis sur le dossier initial. Ce processus conduit à une synthèse finale examinée par le management du cabinet, représenté par son executive committee et son partnership committee, dont les membres sont élus pour un mandat de quatre ans. Le candidat a ensuite l’opportunité de s’entretenir individuellement avec un membre de chacun de ces comités. Si ces étapes débouchent sur une recommandation favorable du management, la candidature est soumise à un vote final par l’ensemble des associés, ultime étape avant une nomination.