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Legal ops en entreprise : le chef d’orchestre opérationnel de la direction juridique

Par Ondine Delaunay

Pour permettre aux directions juridiques françaises d’être toujours plus performante, la fonction de legal operations commence à s’imposer. Dans un marché hexagonal friand d’innovation juridique, ce nouvel acteur se positionne comme un chef de projet de la transformation et a donc de belles perspectives de développement devant lui.

Pour mener ce qu’il est désormais courant d’appeler « la conduite du changement », de plus en plus de grands groupes français ont choisi de s’inspirer des pratiques anglo-saxonnes en créant la fonction de legal operations – ou legal ops. Dans le plan de transformation de la direction juridique de Capgemini menée par la general counsel Maria Pernas Martinez, Hassan Elmiligui a été promu à ce titre en 2020 et a joué un rôle essentiel. À l’occasion du portrait de la direction juridique du groupe publié par la LJA en mars 20231, il expliquait : « je suis convaincu que les legals ops façonnent la dynamique du domaine juridique dans son statut moderne, permettant ainsi aux professionnels du droit d’accomplir leur mission ». Car la force de cette profession émergente, c’est son positionnement au sein de l’équipe qui permet d’avoir une vision transversale des sujets, des pratiques de travail et donc des outils indispensables à développer pour aider la direction juridique à devenir encore plus performante.

Un métier en pleine évolution

« Le métier de legal ops en France a beaucoup évolué, témoigne Eric O’Donnell, head of legal operations de TotalEnergies. Il s’agissait auparavant de développer le knowledge management au sein du département juridique, puis de participer à la gouvernance du juridique c’est-à-dire l’organisation, le budget, la communication, l’IT, et bien sûr les relations avec les fournisseurs et surtout les avocats. Aujourd’hui, certains groupes se sont inspirés des pratiques américaines et britanniques pour lui donner une place stratégique, de centralisation et d’animation des équipes ». Lui-même a pris ce poste en 2018, après avoir eu la charge de la direction du service juridique Asie-Pacifique/Moyen-Orient pour la branche marketing et services du géant de l’énergie. « Dans mon parcours, j’ai longtemps réfléchi à la valeur ajoutée que le juriste peut avoir au sein de l’entreprise, à la façon dont il peut traduire le droit en action, en opérationnel », explique-t-il. Lorsqu’Aurélien Hamelle, general counsel de TotalEnergies, lui a proposé de travailler plus précisément sur les questions d’efficacité du droit et d’amélioration des process, il n’a pas hésité bien longtemps. Il a aujourd’hui l’une des équipes les plus staffées de la place qui mêle les sujets de legal ops, de RGPD et de digital. Et même si Eric O’Donnell fait preuve d’une humilité qui l’honore, il est devenu le chef d’orchestre opérationnel de la direction juridique. Avec son équipe, il a mené plusieurs projets de transformation et de digitalisation : gestion des dossiers et des contrats, panel des avocats et la gestion des dépenses juridiques avec le reporting et collecte des données. « Nous avons besoin de KPI pour nous permettre de savoir combien la direction juridique dépense, combien elle sous-traite, auprès de qui, sur quels sujets… Ce sont des données essentielles pour optimiser notre organisation et pour être toujours plus performants », explique Eric O’Donnell. Derrière chaque outil, il y a un effort de changement de processus qui a nécessité une étude préalable et bien sûr une volonté de conduite du changement.

Chez Capgemini, une plateforme très perfectionnée a également été développée grâce aux équipes legal ops, comprenant un logiciel de gestion des filiales, de la data, des contrats, ainsi qu’un moteur de recherche avancé pour investiguer dans l’ensemble des archives, sans oublier de former, intégrer et communiquer en direction des 300 salariés de l’équipe juridique et des 400 de la division de gestion commerciale et de contract management.

Coline Paillard a pour sa part créé la fonction chez Decathlon après avoir exercé comme juriste contrats innovation & communication. Forte d’une équipe de quatre personnes qu’elle a structurée, elle a cherché à simplifier au maximum l’univers juridique pour le rendre « accessible au sein de l’entreprise ». Un chatbot juridique a alors été développé pour répondre aux questions des opérationnels en magasins, des grilles de gestion et de suivi des contrats ont été formatées, des plans de communication adaptés à chaque département de la direction juridique ont été construits… Son atout est clairement de rendre la direction juridique visible au sein de l’entreprise pour l’aider à mieux diffuser l’information juridique aux opérationnels.

Des profils rares

Hassan Elmiligui, Eric O’Donnell… Les profils de ce type sont encore rares sur la place. Peu d’entreprises ont passé le cap, même au sein du CAC 40. Il n’existe même pas encore de marché du recrutement de legal ops, contrairement aux États-Unis. Ce sont souvent d’anciens juristes de l’équipe qui se reconvertissent, des profils qui connaissent l’entreprise de l’intérieur et qui, pour l’essentiel, ont des appétences pour les nouvelles technologies. Il n’est pas rare de trouver un ancien responsable juridique qui a porté un projet digital dans une entité du groupe et qui est ensuite chargé de créer la fonction de legal ops. Mais au sein du groupe Orange, par exemple, le legal ops en place n’a pas de carrière juridique à son actif. Il vient de la tech et notamment de la cybersécurité. En revanche, tous partagent les mêmes soft skills : des qualités d’écoute, d’empathie, de communication, de curiosité et une certaine forme de leadership.

L’entente du legal ops avec le directeur juridique est bien sûr indispensable. Le soutien du general counsel sans ambiguïté est un élément important de succès des projets legal ops, pour leur donner la crédibilité nécessaire auprès des équipes internes et faire accepter des changements organisationnels et une nouvelle approche du travail. « Le legal ops ne peut travailler tout seul sans avoir de soutien visible du general counsel. Il doit lui donner les moyens d’effectuer sa mission dans les meilleures conditions possibles », insiste Eric O’Donnell. La complicité et le respect mutuel entre Maria Pernas et Hassan Elmiligui, chez Capgemini, a d’ailleurs été un rouage essentiel dans le succès du plan de transformation de la direction juridique mené depuis 2018. Il a une vision transversale du département qu’il aborde comme une business unit et qu’il a pour mission de faire fonctionner le plus efficacement possible.

Des acteurs externalisés

Autour de ces rares profils, gravitent de nouveaux acteurs, externalisés, pour accompagner les directions juridiques dans leur transformation. Ils font du conseil en legal ops. Delphine Bordier par exemple. Ancienne avocate et directrice juridique, elle est désormais legal operations officer. Selon elle, « le binôme que le legal ops, interne ou externe, forme avec le general counsel est stratégique pour la direction juridique. Le general counsel pense la stratégie juridique de l’entreprise et le legal ops organise sa mise en œuvre ». Elle poursuit : « Le legal ops permet à la direction juridique de repenser son organisation, sa stratégie d’avenir, ses process ». Elle intègre l’équipe de ses clients au quotidien pour lui permettre de réaliser un audit et de définir les besoins de la direction juridique. Sur cette base, elle élabore ensuite les chantiers prioritaires à mener pour optimiser le quotidien des équipes internes, diminuer les demandes répétitives à faible ajoutée, fluidifier les échanges avec les autres départements pour mieux faire comprendre les enjeux juridiques par les opérationnels.

Arthur Sauzé est une autre personnalité parmi les conseils en legal ops. Il est avocat au sein d’EY Société d’Avocats. Il accompagne ses clients, directions juridiques, dans leurs projets de transformation et leur stratégie organisationnelle. Il les conseille dans le choix de l’outil le plus adapté, la négociation du contrat avec l’éditeur et le déploiement de leurs outils digitaux. Il détermine la stratégie de communication interne de la direction juridique, travaille sur sa feuille de route… Il est très positif sur ce secteur du droit qui est en cours de construction. « Le marché des legal ops est stratégique en France, dit-il. Il est favorisé par une culture de l’innovation et un état d’esprit très agile des acteurs ». Il devrait d’ailleurs se développer fortement dans les entreprises françaises. L’avocat explique en effet que la charge de travail des directions juridiques devrait connaître une croissance de 30 % dans les prochaines années, notamment face à l’amoncellement réglementaire. « Et pourtant, certaines projections anticipent une baisse de 15 % des budgets des services juridiques. En synthèse, les directions juridiques vont devoir faire plus (ou mieux) avec moins (ou pas assez), ce qui implique de repenser l’organisation de son service juridique, le cas échéant en automatisant une partie de l’activité ou en rendant plus autonome les clients internes », conclut-il.