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Legal ops en cabinet : économe ou couteau suisse ?

Par Anne Portmann

Si le métier de legal ops, autrement appelé chief legal operation officer (CLOO), commence à émerger au sein des services juridiques des entreprises, qu’en est-il dans les cabinets d’avocats ? Alors qu’outre-Manche et outre-Atlantique, ce métier est désormais intégré en tant que tel dans les firmes de lawyers, tel n’est pas encore le cas sur le vieux continent. Qu’en est-il sur la place parisienne ?

Àl’origine, le concept de legal ops s’est développé auprès des general counsels. Le legal ops accompagnait ce dernier, un peu à la manière d’un chef de cabinet. C’est un poste support, de bras droit, souvent occupé par un ancien juriste », explique Patrick Bignon du cabinet de consulting Bignon De Kayser. Il poursuit : « Ce poste est très utile pour gérer les relations en interne et en externe, avec les cabinets d’avocats par exemple ». Selon le consultant, la fonction est d’abord apparue au Royaume-Uni, dans des entreprises ayant atteint une taille critique. Elle émerge désormais au sein des entreprises du CAC 40 en France. L’Edhec Augmented Law Institute, en partenariat avec PwC Legal Business Solution et l’AFJE, vient d’ailleurs de publier un livre blanc sur le sujet. C’est peut-être ce qui pourrait justifier l’émergence d’une fonction miroir au sein des cabinets. « Il est important pour les avocats de comprendre les attentes des directions juridiques, lorsqu’elles parlent par la voix de leurs legal ops, s’agissant notamment de la discussion sur les fees ou des livrables attendus, et pour cela, rien de mieux qu’un legal ops au sein d’un cabinet d’avocats », estime Sébastien Robineau, fondateur de RBO Consulting.

QUEL CHAMP D’ACTION ?

Selon Patrick Bignon, les fonctions essentielles du legal ops en cabinet sont, d’abord, la conduite des projets, mais plus encore de faciliter le recours aux nouvelles technologies dans le dossier, en choisissant les outils les plus adaptés à sa résolution. En troisième lieu, mais de façon subsidiaire, il peut faire du knowledge management, en tirant des leçons du passé et en participant à l’amélioration des process internes liés à la production et à la livraison du client. Que l’on ne s’y trompe pas, le legal ops n’est pas un sous-office manager. Ses attributions, qui permettent aux avocats de se concentrer sur les tâches juridiques, auxquelles ils apportent la plus forte valeur ajoutée, facilitent aussi la rétention des collaborateurs, ainsi déchargés de l’aspect « intendance » du dossier. « Ils interviennent comme un rouage dans le traitement des dossiers, une sorte de coordinateur, de façon à laisser l’avocat dans sa zone de confort, dans sa sphère de compétences, qui est l’aspect technique. Tout ce qui est mécanique du dossier est confié à ce paralegal que je qualifierai de “premium” », dit Sébastien Robineau. Le legal ops contribue ainsi aussi à la création d’une politique de « firme » en appliquant certains standards de « delivery », quelle que soit l’équipe du cabinet en charge du dossier. « C’est une évolution inéluctable et importante des fonctions support », pense Patrick Bignon, qui considère qu’en intégrant cette fonction, les cabinets gagneront en efficacité et en attractivité. « Tous les cabinets du magic circle ont des legal ops à Londres, observe-t-il, mais je n’en ai pas vu à Paris ». Sébastien Robineau constate quant à lui, surtout au sein des cabinets spécialisés en arbitrage, l’émergence d’une fonction nouvelle, pas encore qualifiée du titre de « legal ops » qui fait le lien « entre les avocats, les parties adverses, les clients, lorsqu’il faut solliciter des pièces sur des dossiers complexes, lorsqu’il faut gérer de véritables plateformes informatiques pour échanger les pièces. Ils interviennent sur tout ce qu’on appelle le back-office dans le secteur bancaire ». Mais ces fonctions sont souvent encore dévolues, à Paris, aux secrétaires généraux ou aux offices managers, en plus d’autres tâches. Olivier Chaduteau, le fondateur du cabinet Day One, devenu PwC legal business solutions, milite pour la reconnaissance du legal ops, tant en entreprise qu’en cabinet. Selon lui, depuis la crise des subprimes, les cabinets anglo-saxons ont compris que l’indicateur ne devait pas être le chiffre d’affaires du cabinet, mais le « profit per partner » (PPP), c’est-à-dire la rentabilité par associé, mais également la rentabilité réelle du cabinet au global. Inutile donc, de mobiliser du temps d’associé ou de collaborateur pour une tâche qui peut être industrialisée, standardisée ou numérisée. Et une partie du travail du legal ops est d’identifier, dans un dossier, l’adéquation entre le travail à accomplir et ceux qui l’effectuent.

OPTIMISATION

Richard King, désormais consultant au sein du cabinet Bignon De Keyser, a occupé pendant cinq ans le poste de legal ops au sein du cabinet Herbert Smith Freehills à Londres. Il explique que si au sein d’une société, le poste de legal ops revêt un aspect beaucoup plus technique, dans un cabinet, la fonction est considérée comme davantage tournée vers l’extérieur et la satisfaction du client. Il résume : « Nous essayons de trouver des moyens de lui faire économiser de l’argent et de réduire les coûts. De faire travailler les avocats plus vite et pour moins cher ». Richard King estime cependant que pour que la fonction soit rentable, le cabinet doit disposer d’un certain volume de dossiers. Il insiste aussi sur les qualités d’indépendance que doit posséder le détenteur du poste ou des postes, puisqu’au sein du cabinet Herbert Smith Freehills, la fonction a fini par se disperser en équipes séparées, très spécialisées. Elle commence à apparaître dans certains cabinets européens, mais pas encore sur la place parisienne. « Des cabinets comme Gide seraient peut-être susceptibles d’être les premiers à faire émerger cette fonction en tant que telle », augure-t-il. Chez Herbert Smith Freehills, à Londres, l’équipe compte aujourd’hui une soixantaine de personnes et Ian Gilbert, qui a succédé à Richard King à la tête des legal ops au sein de la firme, explique que ses collaborateurs se spécialisent désormais dans divers domaines : certains s’occupent des outils technologiques, d’autres de legal design, d’autres encore d’élaborer des processus de traitement pour certains types de dossier. « Nous attendons de cette démarche des bénéfices à long terme, pour l’avenir, et pas forcément un profit immédiat », explique Ian Gilbert, qui est convaincu de la pertinence du processus, même appliqué à des cabinets de taille plus modeste, car elle s’inscrit dans un mouvement général de transformation du service proposé au client. Sébastien Robineau pense également qu’il n’y a pas de taille critique pour justifier cette fonction. « Tout dépend du type de dossier. Un cabinet qui traite trois ou quatre affaires très complexes y trouvera sans doute des avantages ». Charles-Henri Gridel, ancien head of business development EMEA du cabinet Herbert Smith Freehills à Paris1, indique avoir fait notamment appel à l’équipe legal ops londonnienne pour du legal design, principalement à l’intention des grands acteurs du secteur bancaire. « C’est une aide à la prise de décision qui intéresse le marché français », pense-t-il. Mais au premier chef, le legal ops londonien lui est très utile pour tous les sujets de facturation. « Nous rencontrons beaucoup de problèmes techniques avec cet aspect, car en France, chaque entreprise possède son propre logiciel de facturation. Et c’est compliqué et cher pour les cabinets de s’adapter à chaque process client », poursuit-il. Outre le legal design et le billing, la question du pricing, ou du taux horaire est aussi prégnante. « Grâce au legal ops, les cabinets peuvent offrir à leurs clients des services supplémentaires, des alternative legal services, par exemple pour accompagner la transformation de la direction juridique, du conseil stratégique, etc. », indique Charles-Henri Gridel. Ces services ajoutés, destinés aux clients les plus importants, ne sont pas facturés et aident à faire passer l’amère pilule de la note d’honoraires. L’enjeu est d’être inventif pour pouvoir facturer une prestation globale considérée comme trop élevée par bien des clients. « Il s’agit, à l’égard des clients, d’être différenciant en aidant la direction juridique à être meilleure en co-construisant l’avenir », précise-t-il. Un avantage par rapport à un consultant extérieur, car le legal ops du cabinet est à disposition et que ce temps n’est pas facturable…

LE JUSTE PRIX DES PRESTATIONS

Pour Olivier Chaduteau, le travail du legal ops sur le pricing porte essentiellement sur la prévisibilité du coût et sa construction plutôt que sur le coût lui-même : « Le legal ops doit, dans chaque dossier, segmenter les tâches accomplies par le cabinet, regarder qui les effectue, évaluer leur coût pour calculer les honoraires au plus serré. Plus le cabinet industrialise, plus il dégage du temps pour personnaliser le conseil donné au client. Dans un restaurant étoilé, on ne demande pas au chef d’éplucher les patates ! ». Olivier Chaduteau considère que les petits cabinets aussi auraient intérêt à accomplir cette démarche. « Ils le font d’instinct, en forfaitisant, sans toujours savoir si la mission est rentable ou non, observe-t-il. Mais les avocats doivent faire ce pour quoi ils apportent une plus-value et ne pas se disperser ». Il critique, dans les cabinets français, le manque d’approche structurée sur ces questions. « Le taux horaire, même s’il est contesté, est encore prédominant, mais les clients commencent à réclamer de la prévisibilité et les cabinets auront tout intérêt à répondre à cette demande ». L’analyse de Sébastien Robineau va dans le même sens : « Un avocat facture entre 300 et 900 € de l’heure, voire plus, et le client veut que pour ce tarif, il n’y ait que des prestations à haute valeur ajoutée. Tout ce qui relève du back-office ne doit pas être effectué par l’avocat ». Il rappelle qu’aux termes d’une enquête effectuée par Odoxa pour le cabinet Gide et le Cercle Montesquieu, en 2019, 79 % des entreprises attendaient de leur cabinet d’avocats qu’il fournisse davantage que de l’analyse juridique. « Les cabinets doivent être forces de proposition pour ce type de services que les entreprises refusent de payer trop cher », considère-t-il.

LE PROFIL DU LEGAL OPS

Si certains pensent qu’il est indispensable que le leagl ops soit juriste pour comprendre les contraintes des avocats, tout le monde n’est pas d’accord. « Il faut un profil avec une appétence pour la tech et le goût du travail en équipe, mais c’est une fonction tournée vers l’extérieur », considère Patrick Bignon. En d’autres termes, pas besoin de connaître les arcanes du fonctionnement d’un cabinet d’avocats pour être un bon legal ops. Ce dernier doit toutefois avoir une certaine forme d’autorité et les avocats doivent être prêts à se laisser accompagner, ce qui est bien souvent loin d’être évident en France. Sébastien Robineau, qui rappelle qu’en entreprise la moitié des legal ops ont une formation juridique, estime cependant que