Connexion

La CCIP-CA, naissance d’une juridiction

Par Anne Portmann
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°58 - Janvier / Février 2019

La chambre internationale de la cour d’appel de Paris, dont l’acronyme officiel est CCIP-CA, commence tout juste à fonctionner. Elle ambitionne de rivaliser avec les plus grandes juridictions internationales en tranchant des contentieux d’affaires, en tant que juridiction d’appel de la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, mais aussi comme recours contre les sentences en matière d’arbitrage international. La « LJA » est allée voir comment se déroulaient, en pratique, les premières audiences.

Si son acte de naissance remonte au 7 février 2018, date à laquelle a été signé le protocole la mettant en place, c’est seulement le 3 décembre 2018 que la CCIP-CA a véritablement pris corps. Le jour de la première véritable audience au fond. Car elle tient désormais sur ses quatre jambes : trois magistrats et une greffière, désignés pour l’animer et la faire vivre.

Faisons les présentations.

La première à avoir rejoint cette nouvelle juridiction a été Fabienne Schaller, nommée dès le 4 avril 2018. Ancienne avocate aux barreaux de New York et de Paris, elle a exercé auprès de cabinets français et américains, et notamment au sein de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, avant de devenir magistrate en 1997. Juge d’instance et de grande instance, elle a également passé six ans à la chancellerie où elle a, notamment, été chef du bureau de droit comparé et chargée de mission pour les négociations. De retour en juridiction, elle a siégé à la 11e chambre correctionnelle, chargée des délits financiers nationaux et internationaux. Aujourd’hui, en plus de ses fonctions de conseillère à la CCIP-CA, 16e chambre du pôle 5 de la cour d’appel (surnommée la 5-16), elle exerce aussi au sein de la 5e chambre du même pôle, qui juge les contrats commerciaux et les ruptures brutales de relations commerciales.

Laure Aldebert, l’autre conseillère de la 5-16, a également été avocate pendant sept ans, spécialisée en droit commercial. Magistrate depuis l’année 2002, après avoir exercé en juridiction en Picardie et à Nanterre, elle a rejoint la direction des affaires civiles et du Sceau (Dacs), puis elle a été chargée de mission auprès de la première présidence de la cour à Paris. Avant de rejoindre la chambre commerciale internationale, elle siégeait au TGI de Paris, désormais au sein de la chambre chargée des contentieux en matière de propriété intellectuelle. « J’ai voulu participer à la création d’une chambre qui innove en matière de procédure », explique-t-elle lorsque lui est posée la question de savoir ce qui l’a motivée à rejoindre la nouvelle juridiction.

C’est François Ancel qui préside la nouvelle chambre. Magistrat depuis 1996, il a commencé sa carrière comme juge d’instance à Lens, puis il a rejoint le TGI de Bobigny, avant d’arriver à Paris comme juge de l’exécution. En 2005, il a rejoint la Dacs, au sein de laquelle il a notamment dirigé, pendant six ans, la sous-direction du droit civil et travaillé à de nombreux textes réglementaires et législatifs, dont ceux relatifs à la réforme de l’arbitrage et à la réforme des contrats, en ayant toujours un regard sur le droit comparé. À partir de 2015, il revient en juridiction pour devenir président de la 2e section du TGI de Paris, spécialisée en propriété industrielle, et notamment en droit des brevets. Il a l’occasion, de par la nature des dossiers qui lui sont soumis, de faire du droit comparé. Guy Canivet, initiateur des protocoles qui ont donné naissance aux chambres internationales, s’est félicité de sa nomination, le qualifiant d’homme « brillant ». Pour François Ancel, la création de cette chambre est une étape importante dans le renforcement de l’attractivité de la place de Paris pour connaître des contentieux mettant en jeu les intérêts du commerce international. Elle permet d’offrir un schéma procédural complet, comportant un double degré de juridiction. « Ces litiges pourront ainsi être jugés en fait et en droit, avec le pragmatisme et l’expérience des juges consulaires, auxquels s’ajoute la rigueur des magistrats professionnels. »

Enfin, pas de juridiction sans greffier. Et c’est Clémentine Glémet, greffière à Paris depuis 2015, qui a été choisie pour assister la cour. Elle officie déjà à la 5-10, chargée des contentieux commerciaux civils. Parfaitement bilingue, elle a souhaité utiliser ses compétences et sortir du cadre purement national, ce qui l’a motivée à présenter sa candidature. « C’est très intéressant de participer à la création d’une juridiction ex nihilo. La pratique différente de la mise en état change la vision que j’en avais jusqu’ici. »

Des audiences interactives

Il est donc 14 heures, ce mardi 3 décembre. La majestueuse salle de la première chambre de la cour d’appel, déserte, accueille la première véritable audience de plaidoiries de la 5-16 de la nouvelle CCIP-CA. « Nous avons déjà eu des référés et des audiences sur la compétence, mais c’est la première plaidoirie au fond », explique Clémentine Glémet. Trois auditrices de justice, quelques personnes dans la salle, quatre avocats, dont l’un est accompagné de ses clients, et les magistrats ; tels sont ceux qui assistent aux premiers pas de la juridiction. La cour doit, pour cette « première », juger un dossier qui oppose une société française de fabrication de bijoux, qui avait commandé des métaux précieux en Colombie et les a fait acheminer par une société de transport connue et réputée. Les deux colis, d’une valeur un peu inférieure à 50 000 dollars chacun, sont bien partis de l’aéroport de Bogota et arrivés à Paris, en avion. Mais ils ne sont jamais parvenus au destinataire.

Le président de la chambre, François Ancel, explique, au début de l’audience, que conformément au protocole de procédure du 7 février 2018, et avec l’accord des parties, il procédera après lecture du rapport, à l’audition, avec les deux conseillères, du dirigeant de la société appelante, auquel les avocats pourront ensuite poser des questions. François Ancel a rappelé que l’appelante cherchait à obtenir la réformation d’un jugement du tribunal de commerce, rendu le 22 février 2018, qui avait considéré que, contrairement à ce que soutenait le transporteur, la convention de Montréal sur les règles de transport aérien ne s’appliquait pas. La décision a cependant retenu la limitation de garantie, rejetant la faute inexcusable du client. La société de transport et la société sous-traitante ont été condamnées, chacune, à payer à la demanderesse 200 dollars, alors qu’elle en réclamait 99 000 ! Le président souligne les points de droit soulevés par le litige et sur lesquels il souhaiterait plus particulièrement entendre les avocats : sur la question de la loi applicable au litige, tout d’abord. Il s’interroge également, et cette question découle de la première, sur le fait de savoir si la déclaration de sinistre a eu lieu dans les délais, sur les éventuelles conditions de mise en cause de la responsabilité du transporteur, et sur le préjudice.

Vient ensuite le moment tant attendu, car il fait la spécificité de cette nouvelle juridiction, étant le marqueur de ce que l’offre proposée est véritablement : une offre de « justice conventionnelle », comme le dit Guy Canivet. C’est l’audition du dirigeant de la société appelante, destinée à « éclairer la cour sur les faits et le contexte de l’affaire ». On apprend notamment que s’agissant du transport de métaux précieux, il n’est pas obligatoire de faire appel à un transporteur spécialisé (un convoyeur de fonds) lorsque la valeur déclarée des marchandises est inférieure à 100 000 dollars, ce qui était le cas en l’espèce. Sur le contexte plus particulier, le dirigeant a indiqué qu’il travaillait régulièrement avec le transporteur avec lequel il avait signé, depuis plusieurs années, un contrat cadre. Pas moins de 94 colis du même type avaient déjà été livrés sans problème au même endroit, au siège de la société, et le livreur, salarié direct du transporteur en charge de la zone de livraison, connaissait les lieux. Le jour du dommage, le livreur habituel était en repos et le transporteur a fait livrer le colis par un sous-traitant, qui n’était jamais venu dans la société. Les conseillères demandent au dirigeant si, en dépit de cet événement, la société appelante travaille toujours avec le transporteur. « Oui, mais plus à l’import », répond l’intéressé. Un quart d’heure de pause et ce sont les plaidoiries des avocats, dont la durée a été fixée, en accord avec les parties, à une demi-heure pour chacun des intervenants. C’est Christophe Nicolas, l’avocat de l’appelant, qui ouvre le bal. Il n’oublie pas de dire quelques mots sur l’honneur qui lui revient d’inaugurer les plaidoiries devant la nouvelle chambre et salue le caractère complet de la procédure, qu’il estime « satisfaisante pour les parties », avant de plaider sur le fond, demandant l’application du droit français et la réparation totale du préjudice. Les avocats du transporteur et du sous-traitant, soutiennent quant à eux que la Convention de Montréal est applicable, le transport routier devant être considéré comme l’accessoire de l’opération de transport aérien. Dans ce cadre, ils invoquent la négligence de l’expéditeur et demandent à ce que leur responsabilité soit limitée à 22 euros le kilo transporté. La Cour, qui n’a pas eu l’occasion, cette fois, d’exercer son anglais, puisque le représentant de l’appelant était francophone, a mis l’affaire en délibéré au 16 janvier 2019, conformément au calendrier arrêté lors des audiences de mise en état.

Écoute et échanges

Une audience de mise en état se tient justement le lendemain, 4 décembre 2018. Elle est l’occasion d’observer les « coulisses » du fonctionnement de la chambre. Menée par Fabienne Schaller, elle se tient dans une ancienne chambre du TGI, restée inoccupée. Car même si la première chambre de la cour sera celle définitivement attribuée à la nouvelle chambre, en raison de la solennité qu’inspirent les lieux, « elle est parfois occupée par des cérémonies, et indisponible », précise Clémentine Glémet. Une seule et unique affaire vient à l’audience, « pour fixation du calendrier ». C’est la troisième audience de procédure pour cette affaire. Des dates ont été proposées en amont et la magistrate veut s’assurer, auprès des avocats, qu’elles seront respectées, car le protocole prévoit la fixation d’un calendrier impératif, « pour une vraie prévisibilité de la décision ». Elle veut également savoir combien de temps il faudra prévoir à l’audience pour l’audition d’éventuels sachants, s’il faut prévoir une traduction de la décision – « car cela ajoute du délai » – et demandes aux parties de communiquer leurs pièces en amont à la cour. « Je me pose la question de demander aux parties de communiquer leurs pièces, sur clé USB, lors de la deuxième conférence de mise en état », expose-t-elle devant les avocats. L’affaire concerne une demande d’indemnisation pour rupture brutale des relations contractuelles, entre une société hong-kongaise, appelante, et une société française, qui a formé un appel incident en demandant des dommages et intérêts pour procédure abusive. L’enjeu est l’application de la loi française ou chinoise. Le magistrat et l’avocat de l’appelante discutent d’ailleurs pour savoir si, pour répliquer aux conclusions de l’intimé, sa cliente voudra intégralement bénéficier du délai de distance, qui impose de fixer une date au 7 avril 2019. L’appelante est finalement d’accord pour avancer la date de quelques jours, promettant ses conclusions pour le 1er avril. L’intimé estime qu’il pourra répliquer au 1er juin. « Mais évidemment, tout dépend de ce que dira mon contradicteur », précise l’avocat. La clôture est fixée au 3 juin et la quatrième et ultime conférence de mise en état au 18 juin, pour organiser l’audience de plaidoiries, qui aura lieu le 2 juillet. L’arrêt est prévu pour le 11 octobre 2019, avec un délai de quinze jours supplémentaire s’il faut traduire la décision. « Les modifications de calendrier seront acceptées si elles interviennent deux semaines après sa fixation », précise Fabienne Schaller. En première instance, devant le tribunal de commerce, la procédure avait duré quatre ans, rappelle-t-elle.

Pour ces premières audiences, le dialogue avec les parties est de mise, pas seulement sur l’affaire elle-même, mais au-delà, pour « rôder » les pratiques procédurales de la nouvelle chambre. Et pour le moment, ces pratiques ne sont pas sans rappeler le dialogue serein et constructif qui existait entre avoués et magistrats devant la cour, à l’ère pré-Magendie, lorsque la juridiction prenait le temps, avant l’audience, d’examiner le dossier, les éventuelles difficultés qu’il pourrait causer, les points de blocage et les éléments qui nécessitaient un éclaircissement. Un véritable luxe. François Ancel a indiqué qu’à partir du 1er janvier 2019, la cour était devenue compétente pour les recours en matière d’arbitrage international. C’est désormais au tour des acteurs du monde des affaires de solliciter et de stimuler cette jeune juridiction, afin de la faire grandir et gagner en maturité.

TGI Guy Canivet Tribunal de grande instance de Paris Chambre internationale de la cour d’appel de Paris Fabienne Schaller TGI de Paris LJAMAG58 CCIP-CA Laure Aldebert Direction des affaires civiles et du Sceau (Dacs) François Ancel TGI de Bobigny Tribunal de Grande Instance de Bobigny Clémentine Glémet Chambre internationale de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA)