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Facturer ses honoraires et les justifier auprès du client

Par Anne Portmann

C’est un sujet encore tabou chez les avocats comme chez les clients. Face à l’aléa juridique, comment assurer au client la prévisibilité des honoraires qu’il devra verser en contrepartie de la prestation accomplie par l’homme de loi ? Comment se prémunir des contestations relatives aux honoraires qui peuvent définitivement obérer la relation avec le client en dépit du travail accompli ? Eléments de réponse.

De la visibilité. C’est d’abord ce que recherchent les clients dans la facturation des avocats, qui peut parfois atteindre des montants non négligeables. « Nombre de confrères n’osent pas aborder la question de la facturation, alors que c’est juste une discussion normale à avoir avec son client », regrette Rémy Blain, qui a été directeur juridique avant d’être associé au sein du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner. Or la période de crise actuelle accentue les attentes de transparence et de prévisibilité des clients, les budgets étant désormais très serrés. Les avocats doivent ainsi anticiper au maximum les actions futures que réclameront le dossier. Maxime de Gillenchmidt, associé au sein du cabinet De Guillenchmidt & Associés Avocats (DGA), reconnaît qu’il peut être très difficile de prévoir un honoraire, notamment en matière contentieuse où il y a souvent des imprévus, comme des demandes reconventionnelles de l’adversaire qui obligent à revoir sa copie. « Mais en dehors du contentieux, pourquoi les avocats ne seraient pas capables d’avoir des prix de prestation sans effet de surprise ? s’interroge Sébastien Robineau, ancien avocat et désormais consultant. Les notaires y arrivent ! ».

Facturer régulièrement pour « mieux faire passer la pilule »

Pour Rémy Blain, quelques règles universelles doivent être suivies, comme celle de facturer régulièrement. De ses années comme directeur juridique, il a gardé le souvenir cuisant d’un cabinet, avec lequel il a travaillé, qui lui a adressé, huit mois après la clôture du dossier et après la clôture annuelle, une facture de 150 000 €, en excédent du budget prévu. Cette facture-là, il a été impossible de la payer, indépendamment de la qualité de la prestation reçue. Les clients préfèrent souvent recevoir une petite facture tous les quinze jours plutôt qu’une grosse facture au bout de six mois. Sans compter l’effet bénéfique sur la trésorerie.

Sébastien Robineau ajoute « Dans le secteur public, les clients ont besoin de leurs factures pour établir les budgets de l’année suivante. Il faut donc leur donner très rapidement. Si l’avocat tarde, ils ont tendance à penser qu’il y a un problème ». Mais même avec les clients du secteur privé, la rapidité est souvent de bon aloi, d’une part parce que la facturation peut devenir très chronophage, mais aussi parce que clients comme avocats ont tendance à oublier les diligences effectuées et le temps passé. « Si l’on émet une facture en octobre, alors qu’au mois de juin on a passé un week-end entier au téléphone, il ne s’en souviendra plus », observe le consultant.

Peuvent également être mis en place des outils de suivi et de contrôle, en temps réel, de la production du cabinet et des heures passées. « Les clients en sont très friands », constate Sébastien Robineau. C’est d’ailleurs ce que prévoit le cabinet August Debouzy qui permet aux clients de suivre la facturation en temps réel sur simple demande. Et pour les groupes qui ont plusieurs dossiers ouverts au cabinet, un relevé global des honoraires peut être émis chaque mois. Cependant, certains types de dossier – environ 10 % – ne peuvent faire l’objet d’une facturation qu’à l’issue de l’opération, notamment en corporate, où il est malvenu de demander quoi que ce soit avant un closing. « Et il n’est pas dans notre culture de demander des provisions, observe Pascale Pontroué, la directrice générale avec une pointe de regret. Ce serait vu par certains clients comme un manque de confiance à leur égard ». Fabrice Veverka, associé au sein du cabinet Viguié Schmidt, confirme que dans certains dossiers, notamment en M&A, il n’essaye pas d’adresser des factures régulièrement aux clients. Mais si la facture est particulièrement élevée, il peut être de bon ton de passer un coup de fil au client en amont, histoire de lui remémorer, de vive voix, les moments passés ensemble.

> Carole Pascarel

Transparence et pédagogie

Soigner sa convention d’honoraires, ou sa lettre de mission, paraît être un préalable indispensable pour débuter un dossier sereinement. « En général, les conventions sont relativement bien détaillées concernant les montants, le choix du mode facturation, mais beaucoup moins concernant les diligences couvertes par les honoraires ainsi prévus ; les diligences sont souvent résumées en une ou deux phrases », a pu remarquer Carole Pascarel, médiatrice à la consommation pour la profession d’avocat. « Les contestations peuvent venir d’une incompréhension par le client des termes de la convention d’honoraires mais aussi d'une incompréhension du contenu du travail de l’avocat : il y a un manque de communication », poursuit-elle. Les avocats auraient ainsi tendance à privilégier le travail de fond, sans soigner la facturation. Dès lors, selon elle, « Le client peut être mécontent, soit parce que l’avocat facture des diligences qu’il estime non comprises dans la facturation initiale, soit parce que l’avocat n’a pas été au bout de sa mission, soit parce qu’il a le sentiment que les diligences ont été surfacturées ».

Elle-même, qui travaille en droit de la famille avec des particuliers, a changé sa pratique et détaille désormais méticuleusement, dans ses conventions, toutes les tâches à accomplir dans le dossier. Les diligences font l’objet d’une description détaillée sur au moins une page et demie, pour permettre au client de comprendre le travail à accomplir. « En outre, j’essaye d’anticiper toutes les hypothèses, en cas de négociation, d’accompagnement à une négociation, en cas de contentieux, en cas de rupture du mandat d’avocat, en cas de renonciation par le client à l’une de ses demandes, etc ». Et ce n’est pas parce que le client est une personne morale que l’on peut se passer de pédagogie. Pascale Pontroué explique que dans le cas d’un nouveau client, une convention d’honoraires très détaillée est présentée. « Nos conventions d’honoraires font 4 à 5 pages », révèle-t-elle. Maxime de Guillenchmidt propose quant à lui à ses clients une estimation à la tâche, en prévoyant plusieurs hypothèses.

Carole Pascarel conseille de prendre le temps d’expliquer au client comment il va être facturé et pour quelles tâches. « Il ne faut pas avoir peur d’être didactique et faire preuve de transparence », résume-t-elle car les clients ne se rendent pas compte des diligences accomplies par l’avocat. L’objectif est que le client comprenne la logique de la facturation : « Ils ont tendance à estimer que si l’avocat facture 10 heures pour des conclusions de 25 pages, c’est trop. J’ai vu des contestations au terme desquelles le client a retapé les conclusions de son avocat en se chronométrant. Il a mis 3 heures contre 10 facturées ! ». Selon elle, ce type de doute est difficile à lever. Car les clients ne seront jamais aux côtés de l’avocat lorsqu’il travaille. Mais ce n’est pas pour autant que les avocats ne doivent pas faire preuve de pédagogie. « Un simple coup de fil à un JAF dans un dossier de divorce peut prendre un temps fou, parce qu’on téléphone, trois, quatre fois sans succès, qu’à chaque fois on doit de nouveau mobiliser son attention sur le dossier, etc. Cela, il ne faut pas se priver de l’expliquer », estime Sébastien Robineau. Mettre en exergue la valeur ajoutée apportée par le cabinet dans la lettre de mission ou la convention d’honoraires peut également être une solution. « On doit expliquer au client ce que l’on apporte de plus par rapport à une Legaltech : le conseil, l’expertise, la personnalisation », suggère-t-il.

> Rémy Blain

Subjectivité

Force est néanmoins de constater le décalage entre les desiderata de départ des clients qui demandent à leur avocat d’être innovants en matière de facturation et le fait qu’en conclusion, ils en reviennent presque toujours à un tarif horaire. « Et en général, les clients qui réclament un forfait veulent en fait du tout compris », ajoute Rémy Blain. Il constate qu’en matière d’honoraires, le maximum qu’il peut faire accepter à ses clients est « un corridor » ou un « tunnel », avec une latitude de + ou -10 %. En dessous, on facture au temps réellement passé et au-dessus, le cabinet consent un pourcentage de remise additionnel. « Mais même cela paraît finalement trop complexe à de nombreux clients », regrette-t-il.

En réalité, et malgré la tentative de mettre en place des process normés, « Chaque client a des exigences particulières » constate Rémy Blain. Outre les critères listés par la loi du 31 décembre 1971, qui fixe des jalons en matière de fixation d’honoraires (difficulté de l’affaire, spécialisation de l’avocat, notoriété et temps consacré au dossier), d’autres éléments subjectifs sont pris en compte et la manière de facturer le client dépend aussi de la relation que l’on a avec lui. « La façon dont on facture est éminemment subjective », considère Fabrice Veverka. Tel client exigera par exemple d’emblée une remise de 15 % sur la facture, mais réglera rubis sur l’ongle.

Dépassement de forfait et heures facturées

Le plus souvent, c’est lorsque le forfait négocié au départ est dépassé que les problèmes apparaissent. Rémy Blain préconise alors d’en parler au client sans attendre. « Il faut tout de suite voir avec le client comment s’organiser, analyser les causes du dérapage et voir comment atténuer les conséquences en termes de budget, car le client oublie vite que l’on est sorti des hypothèses de départ. En réalité, lorsque le directeur juridique a annoncé un chiffre à la direction générale, il est très difficile de revenir dessus ». « Il ne faut pas garder cela sous le tapis, car plus on tarde, moins c’est récupérable », abonde Gilles Bigot, managing partner de Winston & Strawn.

Dans 95 % des cas, c’est une facturation à l’heure qui est alors appliquée en cas de dépassement. Il est très rare que l’on négocie un nouveau forfait. « Le client a souvent l’impression qu’on ne l’a pas prévenu en amont de ce qui se passerait en cas de dépassement de forfait », observe Carole Pascarel. C’est la raison pour laquelle le taux horaire doit être incontestable. Et si le fait de différencier le taux selon la personne qui intervient dans le dossier (associé ou collaborateur) est bien entendu apprécié du client, cela peut aussi lui donner l’occasion de critiquer l’organisation en interne et ainsi dégrader sa relation avec l’associé qui lui a assuré s’occuper « personnellement » du dossier. Sébastien Robineau suggère alors, lorsque c’est possible, de fixer un taux horaire moyen, qui sera facturé à l’identique quelle que soit la personne de l’équipe qui accomplit la tâche. « Avec l’expérience, on sait évaluer si une tâche prend 7 heures de temps de collaborateur et 3 heures de temps d’associé ou si c’est 5 heures chacun » dit-il. Pascale Pontroué reconnaît que dans certains dossiers, un taux horaire indifférencié soit appliqué, mais davantage pour des raisons commerciales que par crainte de l’ingérence du client. Xavier Hugon, managing partner de PDGB, explique quant à lui que le taux horaire indifférencié est appliqué aux clients qui ont un abonnement trimestriel. « En dehors des abonnements, nous pratiquons un taux horaire de 200 à 280 € pour les collaborateurs et un taux moyen de 350 à 450 € pour les associés. Ce taux étant relativement raisonnable, il n’y a aucune difficulté à aborder le sujet avec les clients ».

Savoir gérer les contestations

Mais malgré tous les efforts de pédagogie et de transparence mis en oeuvre, dans certains cas, la facture n’est pas honorée. Chez August Debouzy, une première relance est alors automatisée après un mois. Ce sont ensuite les assistantes qui prennent le relais et en dernier recours, c’est l’avocat qui appelle le client.

En cas de contestation, il est aussi possible de prévoir un processus de médiation en interne aux termes duquel l’associé concerné, ou le managing partner, dialoguent avec le client pour lui détailler les diligences accomplies dans le dossier. Parfois, il vaut mieux laisser le service comptabilité du cabinet échanger avec ses homologues chez le client. Tout dépend des circonstances et, en général, un terrain d’entente est trouvé. Le cabinet August Debouzy, qui dit émettre en moyenne un millier de factures chaque mois, évalue le volume de contestations d’honoraires qui partent au contentieux à environ une dizaine par an. « Nous essayons de nous arranger avec le client et en général, c’est l’associé qui monte au créneau en cas de difficulté », indique Pascale Pontroué. Xavier Hugon indique quant à lui, qu’en moyenne, c’est une fois par an seulement que le bâtonnier est saisi en raison d’une contestation de facture.

Les contestations qui perdurent ne sont pas légion, en dehors de quelques clients, rapidement identifiés par les cabinets, dont c’est la spécialité et qui font le tour des avocats de la place. Gilles Bigot, plaide, quant à lui, pour que les décisions du bâtonnier en matière de taxation d’honoraires soient exécutoires et que les dossiers ne traînent pas plusieurs années. « Et en général ce ne sont pas les factures les plus élevées qui donnent lieu à des contestations », glisse-t-on. Pour Rémy Blain, une contestation d’honoraire qui persiste cache toujours un autre problème qu’il faut essayer de dénouer. Et la facturation est souvent un prétexte commode pour mettre fin à une relation qui n’est plus satisfaisante, pour le client comme pour l’avocat. 

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