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Droit pénal des affaires : changement de génération(s) ou de paradigme ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Paru dans La Lettre des Juristes d’Affaires Magazine, N° 51 du 01/11/2017
Par Jeanne DISSET

 

Figure tutélaire, Henri Leclerc (prestation de serment : 1955) transmet le flambeau. « Cet avenir vous allez le faire » a-t-il lancé aux jeunes générations lors de la journée annuelle de l’ADAP (Association des Avocats Pénalistes), présidée par Christian Saint Palais (1992), le 14 octobre dernier.

 

Henri Leclerc s’impose encore au nom de Jacques Vergès, Thierry Lévy, Olivier Schnerb, Paul Lombard ou Olivier Metzner disparus. Et les ténors actuels, Jean Veil (1972), Paul Albert Iweins (1973), Jean Michel Darrois (1972), Daniel Soulez Larivière (1965), Emmanuel Brochier (1979)... passeront bientôt la main à une nouvelle génération pratiquant une matière en pleine évolution. Des jeunes avocats moins pénalistes mais plus « avocats d’affaires » ?

 

Droit pénal ou droit des affaires ?

 

Les avocats d’affaires plaidant les dossiers pénaux ont investi les prétoires et les médias. Pourtant, le débat perdure sur la nécessité d’aborder ces dossiers comme un pénaliste avant tout ou comme un praticien des affaires. « La pratique du droit pénal des affaires nécessite de la part des praticiens comme des juges une compétence approfondie en matière de droit civil, de droit commercial et de toutes les spécialités qui composent le droit des affaires : droit bancaire, droit boursier, droit immobilier, droit fiscal, etc. C’est devenu une matière transversale par excellence. Avantage est ainsi donné aux connaisseurs de la matière pénale et qui pratiquent simultanément de manière approfondie le droit des affaires. Il va s’en dire qu’au-delà de la théorie, une pratique réelle et réitérée des mécanismes du droit des affaires et plus généralement le fonctionnement des entreprises constitue un avantage pour ceux qui accompagnent les parties à l’occasion des conflits qui mettent en œuvre le droit répressif » explique Jean Veil. La diversité de cette matière tient notamment au fait qu’elle s’adresse aussi aux acteurs économiques. « C’est un droit de synthèse en ce qu’il peut regrouper dans un même dossier des qualifications pénales de droit commun avec des incriminations relevant du droit économique, financier, fiscal, boursier, de l’informatique, de l’environnement, du travail, de la consommation... Cet éclatement de la matière en accroît la difficulté technique», confirme Nathalie Roret. C’est indéniable, la dimension « business » est et demeure de plus en plus nécessaire.

 

Conseil en pénal

 

Le droit pénal des affaires s’est d’ailleurs enrichi et diversifié. Au fur et à mesure des années, sont apparues la mise en examen des personnes morales, les questions prioritaires de constitutionnalité, la spécialisation des juges les notions de justice négociée, etc. Parallèlement, les secteurs d’application se sont étendus : santé, construction, environnement, corruption internationale, aviation, travail, etc. Mais, le plus grand changement est sans nul doute celui de la mise en conformité. « Les dispositions de la Loi Sapin II, dont le périmètre reste à mon avis trop limité, font progresser l’arsenal répressif qui met la France à un niveau proche, en matière d’efficacité, de celui des pays anglo-saxons en favorisant une répression rapide et économiquement satisfaisante pour le Trésor public. » souligne Jean Veil.

 

Cette loi, comme celle sur le devoir de vigilance, conduit l’avocat à faire entrer la dimension pénale dans l’entreprise. « Avec de tels textes, l’avocat évolue vers le conseil pénal. Et ce n’est pas parce qu’on anticipe que ce n’est plus du pénal ni de la compétence de l’avocat. Lui sait quand le comportement devient problématique pour l’entreprise. Il est le plus à même d’accompagner l’entreprise, les dirigeants, les juristes d’entreprises dans l’évaluation du risque pénal » insiste Nathalie Roret. Prévention, conseil et conformité avantagent les avocats d’affaires comme la maîtrise d’autres techniques que le contentieux (médiation, négociation raisonnée, collaboratif). Et Jean Veil d’ajouter : « La pratique des autorités de régulation, le plaider coupable, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) même limitée à la corruption et/ou blanchiment de fraude fiscale, toutes ces nouveautés changent profondément la pratique du droit pénal des affaires. La connaissance approfondie des entreprises, des marchés, la compréhension des ressorts économiques et des diverses régulation constituent un avantage pour discuter, voire négocier dans les différentes procédures de résolution, des poursuites judiciaires ou réglementaires mises en place par les autorités administratives indépendantes. »

La féminisation de la profession

Marie Dosé constatait sur France Inter : « Les Ténors ont des collaboratrices et non des Sopranos ». Elle évoquait le pénal, où de plus en plus de femmes s’engagent. Qu’en est-il en pénal des affaires ?

Jacqueline Laffont (1984), Emmanuelle Kneuzé (1979) et Frédérique Beaulieu (1981) ont ouvert la voie en venant du pénal. Même si elles restent minoritaires, les avocates viennent aussi de plus en plus du droit des affaires et se focalisent après sur le pénal des affaires. Nathalie Roret (1989), associée du bâtonnier Farthouat, ne traite quasiment que ce type de cas. Idem pour Nathalie Schmelck (1996), Camille Potier (1999) ou Astrid Mignon Colombet (2003).

Avec une ou deux spécificités chacune. Nathalie Roret l’explique : « Elles s’emparent volontiers de dossiers touchant la santé, l’environnement, le travail, les accidents industriels,… car elles sont à l’aise dans un argumentaire technique et rigoureux » La compliance est aussi un de leur domaine de prédilection. Devant la multiplicité des équipes mixtes, elle ajoute : « il y a une complémentarité évidente des intelligences et des expériences, utile aux clients, dirigeants et entreprises, et qu’ils apprécient. » Elle constate également « Avec la féminisation des professions de magistrats et avocats, le ton des audiences pénales a changé: moins d’effets de manches et plus de démonstrations techniques. Souvent, les femmes travaillent de façon différente et complémentaires des hommes qui sont plus dans une vision stratégique d’ensemble ; les femmes ont une approche plus « micro » du dossier ; elles le fouillent pour en connaître tous les détails ». Jean Veil confirme « Nous constatons souvent que les avocates sont plus consciencieuses que leurs confrères. En revanche, la rigueur qui est la leur freine parfois la recherche d’un accord transactionnel ».

Alors, plus besoin d’être pénaliste ? Pas si simple : « la procédure est une arme de défense pénale. La maîtriser est donc indispensable » constate Édouard Steru (2010), fondateur de Steru Baratte. Pourtant nombre de plaideurs l’ont acquis. « Fondamentalement, l’aspect pénal ne change guère : enquête, instruction, audience. C’est la manière d’aborder le dossier qui a changé. En raison de nouvelles sanctions très élevées, qui peuvent même engager la continuité de l’activité de l’entreprise, les clients souhaitent appréhender l’intégralité du dossier. Les entreprises et le top management ont aussi compris l’importance d’une préparation professionnelle à la garde à vue et aux audiences » souligne David Père (2005).

Un droit international

Le développement de l’internationalisation, autre évolution, de la matière a convaincu nombre d’avocats de rejoindre des structures internationales : Antonin Lévy (2005) chez Hogan Lovells, Denis Chemla (1987) chez Allen & Overy, Kami Haeri (1997) chez Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan… « L’internationalisation du droit pénal est une réalité. C'est une invasion judiciaire d’autres pays dans les affaires où la guerre économique et la concurrence mondialisée sont le quotidien des entreprises. Mais c’est aussi vrai dans des dossiers de droits de l’homme et de crimes internationaux. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, il est nécessaire d’exercer dans des structures internationales et ainsi être en mesure de coordonner simultanément une défense efficace devant plusieurs juridictions » conclut David Père, counsel chez Bryan Cave.

L’évolution de l'acquisition du pénal

 

Néanmoins, la nouvelle génération de ceux que l’on surnomme les « pénalistes des affaires » se distingue aussi par leur formation. « Pour accéder à ce type de dossiers, il faut passer par les cabinets qui les traitent : Bredin Prat, Darrois Villey, Veil Jourde… Il est donc nécessaire d’avoir un parcours académique d’excellence souvent composé d’un master de droit des affaires et d’une école de commerce, de sciences po ou d’un LLM dans une prestigieuse université américaine … c’est cela qui ouvre la porte de ces cabinets », développe Edouard Steru lui-même diplômé de l'ESSEC. Son confrère Léon del Forno (2013), associé de Témine Associés, titulaire d’un double cursus Harvard et Sciences Po en est une autre illustration.

Après les affaires, le pénal. Mais comment ? Si les pénalistes d'affaires Eric Dezeuze (1987), Olivier Metzner ou Jean Veil ont formé de nombreux acteurs clés du marché actuel, la conférence du Stage et son concours d’éloquence reste la voie royale pour acquérir une expérience de pénaliste, au sens traditionnel du terme. Rares sont les « stars » du barreau à ne pas avoir été secrétaire de la conférence (12 par an). Elle permet à Margot Pugliese (2013), avocate chez Vigo Associés et une des rares femmes première secrétaire, à plonger pendant un an dans la défense d’urgence auprès notamment des prévenus dans des affaires de terrorisme. Ceci après un cursus droit, économie, Sciences Po et des cabinets d’affaires. La commission d’office est aussi un parcours classique. Chez Soulez Larivière & Associés, l’associée Aurélia Grignon (2007) les pratique et assure des permanences pénales renforçant ainsi la connaissance des juridictions correctionnelles et la capacité à gérer les situations d’urgence.

Une nouvelle génération de clients

 

Maîtriser la mécanique pénale est indispensable, mais elle n’est pas suffisante. Les pénalistes actuels doivent être capables de comprendre les enjeux de leurs clients. « N’oublions pas que le pénal engage la liberté alors que nos clients sont souvent étrangers au monde judiciaire, ce qui peut provoquer de véritables traumatismes pour les hommes d’affaires qui se retrouvent en détention provisoire. Tout cela n’est pas que théorique : une expérience réelle est indispensable et permet d’accompagner le client pour mieux aider à anticiper et à se préparer » continue David Père. Les clients sont l’une des clés du changement de profils des avocats. Il a fallu passer des politiques aux dirigeants, aux directeurs juridiques et plus globalement aux entreprises. Eux aussi sont plus jeunes, formés avec des doubles cursus, ils ont de l’expérience, ont intégré le risque pénal, leurs demandes sont donc différentes. Il faut savoir réfléchir « out of the box » du pénal. Il faut tout retourner, trouver les éléments de l’innocence, ce qui est très différent de la délinquance classique où il faut souvent alléger la peine. L’enjeu pour les clients est très spécifique : « Les conséquences du droit pénal des affaires sont économiques. Pour la défense, l’enjeu est aussi que l’accident pénal ne mène pas l'entreprise à la faillite » ajoute Nathalie Roret. « Etre ténor au Palais et à l’écoute du client au cabinet » conclut David Père.

 

 

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