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De l’attractivité des juridictions internationales françaises

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Mise en place fin 2018, la chambre internationale de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA) a été créée avec l’ambition d’attirer le contentieux international. Elle venait compléter le circuit procédural proposé par le tribunal de commerce de Paris (devenu TAE) qui officialisait, par la même occasion, l’existence de sa chambre internationale. Le TAE de Nanterre propose également une chambre internationale depuis décembre 2019. Quel bilan de ces juridictions peut-on dresser en 2025 ?

C’est le 4 mai 2017 que Guy Canivet, président du Haut comité juridique de la place financière de Paris, premier président honoraire de la Cour de cassation, et ancien membre du conseil constitutionnel, a remis au garde des Sceaux de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, un rapport relatif à la création de chambres commerciales internationales. Ce travail intervenait dans la perspective du Brexit. La signature, le 7 février 2018, par Chantal Arens, première présidente de la cour d’appel de Paris, Catherine Champrenault, procureure générale près de la cour d’appel de Paris, Jean Messinessi, président du tribunal de commerce de Paris et Marie-Aimée Peyron, bâtonnier de Paris, de deux protocoles de procédure, l’un pour la chambre internationale de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA) et l’autre pour la chambre internationale du tribunal de commerce de Paris, qui existait, de fait, depuis 1995, mais était officialisée pour l’occasion, a créé juridiquement la chambre. C’est une ordonnance de Chantal Arens qui a installé la chambre internationale de la cour d’appel de Paris, qui a commencé à fonctionner fin 2018, avec les premières audiences au fond. Elle est alors présidée par le magistrat François Ancel1.

Des débuts contrariés

Chantal Arens, désormais à la retraite, se souvient des circonstances de la mise en place de la chambre du contentieux international. « Nous avions constaté la forte attractivité de la cour d’appel de Paris, avec un total d’environ 20 % de contentieux international réparti dans les différentes chambres économiques ». Cependant, lorsqu’elle arrive à la cour d’appel de Paris en 2014, le pôle économique est exsangue et manque notamment de magistrats. Elle contribue à le remettre à flots au cours de l’année 2015 et c’est en 2017, avec la perspective du Brexit que l’idée d’une chambre internationale apparaît. « C’est à la faveur d’un « alignement des planètes » que nous avons pu créer cette chambre, à droit constant. La Chancellerie était d’accord, et le barreau était très ouvert à cette idée », se remémore-t-elle. Il n’est pas évident non plus de trouver des magistrats au profil idoine, à l’aise avec la langue anglaise, et au début, il y a peu de dossiers. « Nous nous sommes rendus compte qu’au même moment, beaucoup de juridictions internationales avaient vu le jour, notamment à Singapour et aux Pays-Bas ». Chantal Arens se félicite désormais du succès de la chambre du contentieux international de la cour d’appel de Paris (CCIP-CA) qui a, selon elle, atteint son rythme de croisière.

Président de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris depuis 2022, le magistrat Daniel Barlow se réjouit de ce qu’elle a désormais trouvé sa place au sein de l’écosystème du contentieux international, et gagné la reconnaissance des acteurs économiques2. Il considère d’ailleurs que si l’utilisation de la langue anglaise sans traduction est un atout, ce n’est pas le critère d’attractivité le plus important. « La chambre dispose d’une procédure de mise en état dynamique et exigeante, avec notamment la fixation d’un calendrier », pointe-t-il, observant que dans ce type de litiges, les parties ne demandent pas tant de la célérité mais plutôt de la prévisibilité. Il note aussi que la faculté d’avoir recours à des auditions, pourtant prévues par le protocole de procédure de février 2018, le caractère oral des débats ayant été considéré comme un facteur d’attractivité, est, dans les faits, trop peu utilisée par les parties. « Ce sont les échanges qui ont lieu lors de la mise en état qui sont cruciaux », estime le président de la chambre.

Des affaires multinationales

À Nanterre également, le tribunal de commerce a créé, fin 2019, une chambre internationale, au démarrage contrarié par la survenance de la pandémie. Un projet de chambre internationale à la cour d’appel de Versailles était même sur les rails, mais n’a finalement pas abouti. Laurent Pitet, par ailleurs directeur juridique au sein du groupe pharmaceutique Bayer, préside la chambre internationale du TAE de Nanterre. Il constate qu’au fil des années, le contentieux ne cesse de croître et commence à devenir une vraie alternative pour le traitement des dossiers dans ce ressort qui n’abrite pas moins de 2 700 établissements étrangers1. Au point que la chambre internationale, qui tenait une audience par mois en formation collégiale, réfléchit à tenir une deuxième audience collégiale mensuelle et a déjà mis en place des audiences à juge unique. « Lorsque la chambre a commencé à fonctionner, c’était le bureau de placement qui nous attribuait les dossiers qui contenaient un élément d’extranéité. Désormais, les entreprises, les avocats et les mandataires demandent que les dossiers soient distribués devant la chambre internationale ». Laurent Pitet explique que le circuit de distribution des dossiers devant la chambre n’est pas guidé par des critères tels que la forme de la société, ou la complexité de l’affaire, mais par l’existence d’éléments d’extranéité justifiant sa compétence. « La plupart du temps, ce sont des sociétés françaises qui sont en demande et des sociétés étrangères, souvent de nationalités différentes, en défense », constate-t-il. Les huit juges consulaires qui siègent au sein de la chambre internationale sont tous par ailleurs présidents de chambre au sein du TAE de Nanterre et présentent donc un haut niveau de compétence. « Les demandeurs viennent aussi chercher cette expertise », estime-t-il. Isabelle Ockrent préside la chambre internationale du TAE de Paris depuis deux ans. Comme son homologue de Nanterre, elle considère que l’évolution la plus notable du contentieux devant la chambre internationale est la multiplication de dossiers complexes et multinationaux. « En termes de nombre de dossiers, le flux reste stable, autour de 200 à 300 dossiers par an2, et la répartition par secteurs n’est pas tellement significative ».

Concurrencer la Commercial
Court de Londres, pari réussi ?

Gilles Cuniberti, professeur de droit privé à l’université du Luxembourg, rappelle que la mise en place la chambre internationale à Paris avait pour ambition affichée de concurrencer la London Commercial Court, alors que le Royaume-Uni se débattait avec le Brexit. Selon lui d’ailleurs, il existait une certaine mythologie, à cet égard, quant au nombre d’affaires internationales traitées par la juridiction londonienne. Le professeur souligne que les promoteurs des nouvelles juridictions internationales françaises n’avaient, en réalité, pas d’idée précise de l’activité judiciaire londonienne.

Le professeur a procédé à une comparaison et à une analyse des données des deux juridictions sur la base des chiffres de l’année 2022 (London Commercial Court et CCIP-TC). Il constate ainsi que la Commercial Court de Londres a rendu au cours de l’année 2020‑2021, 120 décisions (hors arbitrage) et qu’au cours de l’année 2021‑2022, elle en a rendu 138. Sur une période similaire, pour l’année 2022, la CCIP-TC a rendu 281 décisions dans des affaires internationales, toujours hors arbitrage.

La cour d’appel de Paris a également communiqué sur les statistiques de la CCIP-CA sur les 6 mois courant du 1er janvier 2023 au 30 juin 2023, période au cours de laquelle 55 arrêts ont été rendus par la CCIP-CA : 30 arrêts en matière d’arbitrage (soit 55 % des arrêts rendus sur cette période) et 25 dans les autres contentieux au fond (soit 45 %). Au 30 juin 2023, on comptait au rôle de la cour 222 affaires dont 114 affaires dans le domaine de l’arbitrage international,

Selon le président Daniel Barlow, depuis sa création, la CCIP-CA a traité, exactement, 723 dossiers, au 31 décembre 2024 – les dossiers d’arbitrage représentant environ la moitié de la totalité des dossiers traités. Gilles Cuniberti en conclut donc que Paris devance désormais Londres en termes de nombre de dossiers.

De la mesure de l’attractivité

Gilles Cuniberti le concède volontiers, la comparaison entre l’activité des deux juridictions internationales concurrentes n’a rien d’évident. Il estime qu’il faut laisser de côté les autres juridictions internationales (notamment à Singapour et aux Pays-Bas) où le nombre de dossiers annuels se compte à peine en dizaines. Mais si Paris n’a pas à rougir de sa performance en matière de contentieux international face à Londres en nombre de cas traités, il ne faut pas perdre de vue qu’en matière d’attractivité, d’autres éléments sont à prendre en compte. Ainsi, si au regard du contentieux domestique général traité par la juridiction d’une capitale, le volume de quelques centaines de dossiers traités annuellement par la CCIP-TC peut paraître modeste, il ne faut pas oublier, par exemple, qu’une institution arbitrale à compétence mondiale comme la CCI, qui siège à Paris, supervise seulement 800 à 900 décisions par an et qu’à cet égard, le chiffre de 280 décisions rendues en 2022 par la chambre internationale du tribunal est loin d’être ridicule. Isabelle Ockrent, estime également qu’il est compliqué de comparer l’attractivité d’un tribunal ou d’un autre lorsqu’ils relèvent de systèmes juridiques aussi différents.

Selon le professeur, la clé ultime pour mesurer l’attractivité d’une juridiction internationale est de regarder dans quelle mesure elle traite de cas opposant deux parties étrangères. Il observe en effet, qu’un étranger qui attrait un ressortissant Français devant la juridiction internationale française, peut être motivé par la facilité d’exécution. De ce point de vue, alors qu’à Londres, en 2022, c’était le cas de figure dans 25 dossiers seulement, à Paris 55 étrangers demandeurs étaient opposés à des Français. Dans le cas inverse, c’est-à-dire un ressortissant local qui attrait un étranger devant la juridiction internationale de son propre pays, l’attractivité n’est pas patente non plus, car le ressortissant local a évidemment tendance à rechercher la justice auprès de ses juges nationaux. « De ce point de vue, Paris dépasse Londres puisque sur l’année considérée, 80 dossiers parisiens opposaient un demandeur français à un défendeur étranger, alors qu’à Londres, c’était le cas dans 20 dossiers seulement », observe Gilles Cuniberti, qui se demande si les Anglais ne préfèrent pas aller à l’étranger. « Mais cela peut aussi être une question de coût, la procédure en Angleterre étant très onéreuse ».

Gilles Cuniberti constate en tout cas que les procédures devant les chambres du contentieux international qui opposent deux parties étrangères sont nettement plus nombreuses à Londres. Pour l’année considérée dans son étude, il y en a eu plus de 50 devant la juridiction britannique, alors que Paris en a attiré à peine 10, soit 7 % de l’ensemble des affaires internationales traitées par le tribunal. Quant à la provenance des parties, dans ce cas de figure, on notera avec intérêt qu’à Paris, la moitié d’entre elles viennent d’Afrique francophone. « Elles poursuivent sans doute une forme d’affinité linguistique et juridique », concède le professeur. Certains acteurs du secteur pointent que le coût modeste d’une procédure devant les juridictions françaises internationales est assurément un facteur d’attractivité, d’aucuns préférant même saisir une chambre commerciale internationale française plutôt que de recourir à un arbitrage. À cet égard, Isabelle Ockrent note que la mise en place, à titre expérimental des TAE depuis le 1er janvier 2025, qui implique pour les parties de s’acquitter d’une contribution à la justice économique, pourrait présenter le risque de diminuer l’attractivité des deux chambres internationales, à Paris et Nanterre.

Promouvoir les chambres
internationales

Lors du lancement de la chambre internationale de la cour d’appel de Paris, les acteurs du secteur avaient beaucoup insisté, auprès des avocats, sur l’importance d’introduire, au stade de l’élaboration des contrats, une clause attributive de compétence désignant les juridictions françaises. Selon l’étude du professeur Cuniberti, cependant, les dossiers dans lesquels figure une telle clause ne représentent que 25 % du total. Cette observation est également relayée par Laurent Pitet qui déplore, pour sa part, que les avocats du ressort ne soient pas encore tous au courant de l’existence de la chambre internationale. « Nous ne diffusons pas nos décisions, on nous demande rarement de les traduire, et souvent d’ailleurs, les parties transigent avant le terme de la procédure », indique-t-il. Il regrette de ne bénéficier d’aucun soutien pour faire connaître la chambre aux acteurs internationaux. Isabelle Ockrent pointe, elle aussi, le manque de moyens de la juridiction commerciale.

Au niveau de la cour d’appel de Paris, Daniel Barlow s’efforce de faire connaître la juridiction en publiant, régulièrement, sur le site internet de la cour d’appel une sélection de décisions ainsi que leur traduction. Des représentants de la chambre participent au Standing International Forum of Commercial Courts (SIFoCC) ainsi qu’à divers colloques et symposiums internationaux. Le gouvernement a présenté, en mars 2023, la stratégie française d’influence par le droit sur 5 ans, dans laquelle il est prévu de mettre en avant les juridictions internationales françaises. Mais selon quelles modalités concrètes ? Sollicitée sur les actions menées pour la promotion des chambres commerciales internationales françaises, la Chancellerie n’a pas répondu aux questions de la rédaction. La question reste donc en suspens.