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Comment devenir associé ?

Par AURELIA GRANEL

La concurrence faisant rage dans les cabinets d’affaires, l’accession au Graal de l’association suppose, outre des qualités professionnelles, beaucoup d’implication et de persévérance. De jeunes associés et un chasseur de têtes ont livré leurs meilleurs tips à la rédaction.

Ian De Bondt, directeur associé de Fed Légal, préfère être clair : « Les avocats ont tendance à ne justifier leur échec que par des raisons exogènes et la difficulté du milieu. Il peut y avoir une part de vrai mais ne nous leurrons pas : un cabinet a toujours intérêt à conserver ses meilleurs éléments en les faisant évoluer. Les collaborateurs doivent faire preuve de clairvoyance, apprécier leurs compétences (techniques et commerciales) et avoir une vision honnête de leurs capacités ». Il convient donc de se poser les bonnes questions dès les premières années d’exercice. En premier lieu, connaître la raison pour laquelle ce métier a été choisi et dans quels objectifs : faire sa vie en cabinet ou se revendre en entreprise par la suite ? Avec l’envie de devenir associé ? De quels investissements est-on capable pour y arriver et avec quelles capacités ? « L’avocat visant l’association doit se demander quel genre de partner il souhaite devenir, poursuit le chasseur de têtes. Celui qui recherche la liberté, via le développement d’une clientèle, ou celui qui évolue sous une bannière à forte notoriété, acceptant les contraintes, notamment celle d’une liberté amoindrie, au profit d’un réseau élargi et de synergies ». Vaste programme d’introspection.

L’avocat va monter en compétences au fil du temps. « Au-delà de la capacité de développement commercial qui est très importante, il est indispensable d’être arrivé à maturité d’un point de vue technique, indique Benjamin Garçon, associé de Goodwin. L’avocat doit faire preuve d’une grande rigueur intellectuelle et surtout être autonome dans la gestion de ses dossiers depuis un certain temps ». Il doit aussi être capable de gérer de manière professionnelle et qualitative toutes les problématiques d’un client. « Nous avons choisi d’exercer un métier de services et d’engagement. L’exigence de nos clients étant souvent très forte, il est indispensable d’avoir appréhendé et accepté la rigueur et la disponibilité requises afin d’offrir une qualité de service irréprochable », poursuit l’associé.

Définir et porter son projet

Mais l’association s’anticipe. « Il faut prendre le temps de définir une stratégie conforme à son projet d’association et se fixer des objectifs annuels clairs et atteignables en matière de business développement », indique Flore Poloni, associée de Signature Litigation. Une fois que le projet a été défini, l’avocat doit montrer qu’il est bien inséré dans le cabinet. Il doit gagner en visibilité, au sein de son département, puis de son bureau, de sa pratique et enfin de toute la firme. Chacun sa technique : rédaction d’articles, participation à des conférences, insertion dans des réseaux professionnels, pro bono ou tout simplement en se faisant remarquer sur les dossiers. Il faut être reconnu comme l’expert de son secteur d’activité dans son cabinet. « Tout le monde doit connaître les domaines d’expertise de l’avocat et les éléments qui le distinguent de ses confrères de même spécialité. Il doit devenir un point de contact dans son domaine pour tous les autres avocats du cabinet », explique Édouard Fortunet, associé de Jones Day. Il doit laisser une bonne impression à chaque fois qu’il traite d’un dossier.

L’association doit aussi s’organiser de manière transparente avec les associés de sa pratique dans un premier temps, puis au sein du cabinet. Communiquer en interne sur son envie est primordial. « Il ne faut surtout pas hésiter à faire preuve d’audace en partageant ses ambitions avec ses associés, lance Benjamin Garçon. Cela permet d’une part de s’assurer de la capacité du cabinet à y répondre et d’autre part d’évaluer les progrès à réaliser pour y parvenir ». Flore Poloni le confirme à son tour : « C’est bien d’oser taper à la porte, même si cela surprend encore un peu quand on est une jeune femme ». Une bonne cooptation est comme une évidence. Elle n’est pas une récompense, mais se conquiert.

Certains cabinets sont connus pour privilégier un modèle de transmission aux générations suivantes : Arsene, Bredin Prat, CMS Francis Lefebvre Avocats ou encore Darrois Villey Maillot Brochier. « Les cabinets français ne sont pas les rois de la promotion interne, c’est avant tout une question de culture, souligne Ian De Bondt. Certaines structures internationales disposent aussi de cet ADN et ont la force d’attraction pour faire évoluer leurs collaborateurs ».

Avoir un mentor ou se positionner

Dans certains cas, des binômes se créent et un senior partner prend un jeune avocat sous son aile et lui fait gravir les échelons jusqu’à ce qu’il soit promu junior partner. « Il peut être dans l’intérêt d’un associé equity d’être épaulé par un local partner pour consolider sa pratique ou son équipe en interne, rappelle Lise Damelet, associée à l’origine de la création du département Concurrence de FTPA. Le senior partner peut alors se reposer sur ce jeune associé pour le traitement de ses dossiers et se consacrer au développement de la clientèle du département ». À la condition cependant que le junior partner ne fasse pas « trop d’ombre » au senior partner.

Avoir un mentor qui ouvre les portes demeure la voie traditionnelle, mais elle est parfois un peu longue. Et les jeunes avocats l’ont bien compris. « Une autre technique consiste à développer des compétences qui n’existent pas en interne ou au rang de partner, c’est-à-dire de se positionner sur les trends de sa pratique », souligne Jean-Julien Lemonnier, jeune associé Concurrence de Stephenson Harwood, qui s’est notamment diversifié depuis plusieurs années en développant son activité sur les investigations internes.

L’échec d’une association

Malheureusement, la cooptation n’est pas une voie linéaire et assurée. « Une association peut échouer pour une multitude de raisons. Il est donc indispensable de l’avoir minutieusement préparée en amont avec ses associés », estime Benjamin Garçon. Elle peut notamment échouer par manque de maturité sur la technicité, le développement commercial ou encore managérial. Par exemple, le collaborateur qui n’a pas travaillé sur une typologie suffisamment large de dossiers ou avec plusieurs associés. Ou bien celui qui n’a pas assez développé sa clientèle en amont, alors que le développement commercial est primordial pour éviter d’avoir la tâche de le faire sous pression quand on devient associé.

D’ailleurs, seuls les meilleurs à cet exercice de développement commercial sont voués à devenir les associés de demain. « J’ai vu des jeunes avocats accéder très tôt à l’association car ils avaient fortement développé la clientèle qui leur avait été confiée, indique Camille-Antoine Donzel, associé de Fromont Briens. C’est le jeu des poupées russes : si l’associé parvient à un développement significatif de clientèle, il permet à ses collaborateurs de travailler eux-mêmes avec un nombre assez important de clients. Et si l’un d’eux s’inscrit dans cette même logique de développement et arrive à fidéliser une clientèle suffisamment solide, il peut accéder à l’association et constituer à son tour une équipe ». Il ajoute : « Lorsqu’un associé génère un chiffre d’affaires important, mais qui repose sur un nombre de clients non significatif, il peut parfois être plus difficile pour ses collaborateurs d’accéder à l’association, car il sera moins évident pour l’associé de se séparer de sa clientèle ». L’idéal pour les collaborateurs est donc d’évoluer au sein d’un cabinet en travaillant avec des associés ayant un nombre suffisant de clients de taille intermédiaire.

Parfois, il y a également méprise sur les attentes réciproques des jeunes avocats et de leurs senior partners. « Les objectifs de chiffres d’affaires et de développement de la clientèle pour atteindre l’association sont rarement clairs, surtout dans les cabinets français, et laissent la part belle à une appréciation discrétionnaire justifiée par la nécessité de préserver l’affectio societatis », explique Flore Poloni. Il est par ailleurs difficile de savoir comment l’on est perçu sans feedback : l’avocat est-il envisagé comme l’un des leurs à brève échéance, à long terme, voire jamais ? « Les associés doivent être clairs sur leurs intentions quant aux collaborateurs qu’ils souhaitent promouvoir, indique Benjamin Garçon. Ils permettent alors aux avocats de se positionner en tant que tel et de préparer ainsi au mieux leur association ».

De même, les jeunes avocats doivent être vigilants à la pyramide de leur cabinet. Il ne peut pas y avoir trop d’associés dans un département et plus largement, au sein de la structure. À un certain âge, il faut donc savoir faire preuve de stratégie dans le choix de son cabinet. Et Lise Damelet d’expliquer avec franchise : « Dans les firmes internationales, les associations sont suffisamment politiques pour s’éloigner parfois d’une stricte méritocratie. Les compétences individuelles, techniques et relationnelles sont clés, mais des facteurs stratégiques et politiques priment ».

Ne pas hésiter à partir

Si l’on peut se tromper sur les appuis que l’on a au sein d’une firme, certains évènements sont impossibles à maîtriser. « Il peut s’agir d’un gros projet sur lequel l’avocat comptait qui s’écroule du jour au lendemain, d’une dégradation du contexte économique, d’une matière qui est moins en vogue qu’avant, ou encore d’un recrutement parallèle qui n’avait pas été anticipé », indique Jean-Julien Lemonnier.

Lorsqu’un nouvel associé arrive dans le cabinet et dans un département existant avec son équipe, il faut alors bien souvent faire une croix sur une cooptation rapide. Sauf cas exceptionnel et âprement négocié bien sûr. « Si la composition de votre équipe a été substantiellement modifiée par rapport à celle qui vous accueilli, et que vous avez perdu l’associé qui vous a recruté et formé au profit d’un nouvel associé recruté en externe, il est opportun de considérer un changement de structure », souligne Lise Damelet. Valérie Ménard, associée de White & Case, est d’accord : « Il convient de se demander si vos pairs vous considèrent comme un potentiel futur associé. Si la réponse n’est pas celle attendue, il est important d’en comprendre les raisons pour savoir s’il est possible d’y travailler pour les faire adhérer. Sinon, la question d’un changement de structure se posera tôt ou tard ».

En définitive, il faut toujours anticiper un potentiel départ. Si le paysage se bouche, n’oubliez pas qu’une autre place vous attend ailleurs… 

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