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Cabinets d’avocats et vidéo : des progrès sont encore à faire

Par Aurélia Granel

Cartes de voeux, rediffusion d’un évènement, déménagement… Les cabinets d’avocats se sont mis à scénariser leurs temps forts en vidéo. Pour le meilleur et pour le pire.

La vidéo correspond aujourd’hui à un tiers des activités sur Internet et 64 % de son contenu. En 2021, 82 % du trafic internet global a été représenté par la vidéo, selon le Cisco Annual Internet Report. Les cabinets d’avocats d’affaires n’ont pas manqué la vague. Le cabinet Capstan a ouvert le bal en 2012, avec la création de Capstan TV, la première web TV dédiée au droit social. Dans chaque vidéo d’environ deux minutes, un avocat du cabinet présente un sujet d’actualité en droit social et décrypte les tendances du moment de manière synthétique et pédagogique. Cinq ans plus tard, son concurrent Flichy Grangé Avocats s’engage également dans le format vidéo. D’abord à travers sa traditionnelle carte de voeux, puis dans des vidéos plus générales. Mais le maître de la communication décalée est incontestablement le cabinet Ayache. Précurseur des cartes de voeux vidéo dès 2012, le cabinet a lancé une interview vidéo intitulée « Tu préfères », comme le Fast and Curious de Konbini, pour l’arrivée de chaque nouvel associé, des interviews « On Off », où les clients et partenaires du cabinet parlent de leur métier dans un lieu informel comme dans une voiture, ou encore des vidéos corporate et techniques. Toutes les annonces du cabinet sont effectuées par vidéo, tels que l’explication du changement d’identité et du nouveau site internet, après plusieurs teasings par e-mail contenant des gif.

MARQUER LES TEMPS FORTS DU CABINET

« La vidéo étant l’investissement le plus rentable dans la communication, il devient indispensable pour les cabinets d’avocats d’utiliser ce support pour compléter leur stratégie, de manière à dynamiser leur image, fidéliser leurs talents et clientèle et développer cette dernière, indique David Baudry, fondateur de la société de production audiovisuelle Il est une fois, spécialisée dans les cabinets d’avocats. D’une part, la création de contenu vidéo augmente le ranking Google des cabinets, grâce à leur bon référencement par le moteur de recherche ; d’autre part, ceux-ci ont la possibilité de diffuser la vidéo sur tous leurs réseaux sociaux et ainsi gagner de nouveaux clients ». Carte de voeux, rediffusion d’un évènement, présentation du cabinet, de son positionnement, de ses membres ou encore de son savoirfaire… La vidéo est désormais partout. Car sur un site, si l’internaute a la possibilité de choisir entre un texte et une vidéo, il cliquera plus facilement sur cette dernière. Trois grandes techniques sont utilisées par les cabinets d’avocats pour partager leurs temps forts via ce média. D’abord la prise de vue réelle. « Le format interview est la technique la moins chère à produire et est celle qui rassure le plus les clients et prospects, car un début de relation humaine s’instaure, ce qui leur donne confiance, souligne David Baudry. Ce format touche plus à l’émotion, mais est moins pédagogique et efficace que le motion design pour expliquer un concept juridique complexe ».

Animation de textes et de logos, la technique du motion design est en effet très utile pour expliquer l’évolution d’un concept juridique pointu par exemple. Autre format très utilisé depuis 3/4 ans et encore plus depuis le début de la pandémie : la vidéo utilisant des images d’archives pour illustrer un message percutant. « Pour développer leur clientèle, les cabinets doivent avoir une vraie stratégie de communication et publier le bon contenu au bon moment, en se demandant qui et où sont leurs futurs clients et comment les toucher, poursuit le fondateur d’Il est une fois. Un reportage vidéo sera peu adapté aux cabinets d’avocats d’affaires par exemple, car ce n’est pas celui-ci qui participera au développement de la clientèle, mais ce format leur sera utile si l’objectif est de communiquer sur leur marque employeur en cas de problèmes de recrutement par exemple ». Et d’ajouter : « Il ne faut pas se tromper de média et de support de diffusion. Cela implique de bien connaître sa clientèle, de savoir ce qu’elle recherche et de quel type de contenu elle a besoin. Il faut délivrer, aux bonnes personnes, le bon message ». Un cabinet de niche en droit des brevets, par exemple, aura moins de pertinence à publier une vidéo sur YouTube, qu’à créer une communauté sur un réseau professionnel et y publier du contenu expert, ce qui leur permettra de donner de l’information utile et de se rappeler à la mémoire de ses clients régulièrement.

Dans la plupart des situations, la cible est beaucoup moins experte techniquement que l’avocat qui s’exprime dans la vidéo. Rassurer le client ou prospect sur ce décalage de savoir-faire, en ayant un langage adapté à son auditoire et en étant généraux dans le message donné, tout en montrant son expertise sur le sujet, lui démontrera qu’un échange est possible entre eux. Amélie Lerosier, fondatrice de l’agence BlueWall, indique : « La cible (clients, talents, etc.) et le message à véhiculer doivent être bien identifiés et la durée de la vidéo pertinente. Le choix des termes utilisés et du visuel étant stratégiques, bénéficier d’une solide préparation en amont, via du media training, est indispensable. Quelqu’un de bien préparé sera à l’aise, utilisera des mots clés, ce qui rendra le message clair et percutant ».

NE PAS PASSER À CÔTÉ DU MESSAGE

La vidéo est donc un bon levier de communication à exploiter, à condition de bien savoir l’utiliser. En janvier 2021, la vidéo filmée par un drone parcourant les nouveaux locaux rue de Téhéran du cabinet August Debouzy a été vue et applaudie virtuellement par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Une réussite qui a inspiré son homologue anglo-saxon Willkie Farr & Gallagher, ayant reporté son déménagement deux fois à cause d’un retard de travaux à l’automne 2018, puis des annonces gouvernementales au printemps 2020. La firme a mis en scène quelques associés et collaborateurs, dans deux vidéos intitulées « Willkie déménage », diffusées sur YouTube. Échec cuisant. Les vidéos sont désormais introuvables sur les réseaux sociaux. En fin d’année, l’américain Baker McKenzie a souhaité faire les choses en grand pour ses voeux : location d’un théâtre, mobilisation des équipes, recrutement d’un acteur jouant le rôle d’un metteur en scène. Le pitch ? « Baker McKenzie est né d’un duo mythique formé par Russell Baker et John McKenzie. Pour 2022, nous avons souhaité trouver LE meilleur duo au sein du cabinet ». Secrétaire général, associés, collaborateurs et services généraux se sont déguisés en Lucky Luke – qui avait d’ailleurs perdu son cheval Jolly Jumper – Astérix et Obélix, Starsky et Hutch ou encore les demoiselles de Rochefort… Ont été diffusées cinq vidéos, la dernière synthétisant les quatre autres, terminant par « Pour nous, en 2022, comme toujours, le meilleur duo, c’est avec vous ».

Des vidéos second degré, plutôt réussies avouons-le, même si l’on aurait définitivement préféré une seule au lieu des cinq, perdant l’auditoire au fil des jours. Par ailleurs, qui a oublié la carte de voeux vidéo du cabinet Arsene, intitulée « Les avocats d’Arsene Taxand mettent leur métier à nu pour vous souhaiter une bonne année 2016 », où les fiscalistes étaient littéralement dénudés ? La rédaction de la LJA avait bien ri, mais la vidéo a elle aussi été supprimée des réseaux. Depuis, plus personne ne se met à nu chez Arsene et les cartes de voeux sont beaucoup plus classiques. Même s’il utilise le média vidéo, en complément d’outils plus classiques, depuis 2014, pour mettre en avant ses nouvelles offres de services (Start You Up, AD positive, Custom AD, etc.) ou encore diffuser en replay les conférences organisées par le cabinet, la palme de la vidéo ratée de l’année 2021 revient à August Debouzy. Pour les fêtes de fin d’année, le cabinet a partagé une vidéo de Noël, mettant en avant un rongeur qui aidait un élève-avocat en difficulté, qui a agité tout Paris. Sur le compte Instagram « Balance ton cabinet d’avocats », les critiques anonymes se sont déchaînées : « La morale de ce clip est "jeune stagiaire qui intègre un gros cabinet, sache que la seule aide que tu puisses espérer recevoir dans tes dossiers est celle d’un éventuel furet qui parle… autant te dire que tes chances sont minces" ». D’ailleurs, 90 % des sondés du compte Instagram ont précisé, qu’à la place de la souris, ils auraient préféré voir le maître de stage aider leur stagiaire.

Certains collaborateurs du cabinet sont montés au créneau pour défendre leur structure, indiquant que les commentaires sur la maltraitance des stagiaires au sein d’August Debouzy ne reflétaient pas la réalité du quotidien. D’autres ont déclaré avoir pensé naïvement que leur structure se moquait justement du stéréotype du gros cabinet et y menait une parodie du film Ratatouille version élève-avocat. Faisant l’objet de trop nombreuses critiques, la vidéo a été supprimée. Le cabinet a accepté de s’exprimer sur cet épisode malencontreux auprès de la LJA. Patrick Ramon, secrétaire général d’August Debouzy, explique : « Depuis trois ans, en fin d’année, nous publions une vidéo pour souhaiter de bonnes fêtes à nos avocats et à tout notre écosystème (clients, prospects, étudiants, etc.). Cette année, nous avons voulu faire un conte de Noël, qui ramène à l’enfance. Un scénario nous a été proposé et, concentrés sur le respect des thèmes clés "la nuit, l’inattendu et la magie", nous n’avons pas vu, qu’avec la juxtaposition du réel et de l’imaginaire, la vidéo proposait deux grilles de lecture. Comme dans toutes les démarches créatives, de temps en temps, il y a un raté ». Et celui-ci d’ajouter : « La vidéo était une pure fiction qui ne reflète pas la réalité de nos conditions de travail, car le bien-être de nos stagiaires et de nos collaborateurs est vraiment l’une de nos préoccupations majeures ».

Et si la clé, pour éviter ce genre d’écueils, était de faire appel à une agence de communication spécialisée dans le juridique, qui comprenne véritablement tous les enjeux et voit toutes les grilles de lecture possible de la vidéo ? Cette année, le cabinet Betto Perben Pradel Filhol a peut-être gagné la partie en faisant un clin d’oeil au pass vaccinal : sa carte de voeux papier contient un QR code géant à scanner, renvoyant vers une vidéo de bonne année, plutôt classique, intitulée « Vos secrets nous honorent ».

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