Connexion

Après la crise, quelles organisations au sein des cabinets ?

Par Anne Portmann

Même si la crise sanitaire n’est pas tout à fait dernière nous, ce que nous avons vécu ces derniers mois a profondément bouleversé notre manière d’appréhender le travail dans les cabinets d’avocats. Travail à distance, vaccination, réaménagement des locaux, voire déménagement, qu’est-ce qui a changé depuis le premier confinement ? La rédaction de la LJA a mené l’enquête et dévoile les résultats de son sondage exclusif, agrémentés de divers témoignages.

L’ère du télétravail est-elle arrivée pour les collaborateurs depuis la crise sanitaire ? Cette tendance est-elle pérenne ? Comment les cabinets gèrent-ils le risque sanitaire face au développement du variant Delta ? La rédaction de la LJA a effectué un sondage auprès de ses lecteurs, par questionnaire autoadministré, pendant la période courant du 17 juillet au 15 août 2021. Et les réponses sont parfois surprenantes.

Télétravail : oui, mais pas trop

Concernant la fréquence du travail à domicile, près de la moitié des répondants (47 %) ont indiqué retourner au bureau tous les jours. Pour les autres, la tendance est assez équitablement partagée entre les personnes qui restent majoritairement chez elles (3 jours par semaine ou plus) et celles qui se rendent le plus souvent au bureau. Le sondage révèle qu’environ un tiers des cabinets exigeaient des collaborateurs qu’ils soient présents dans les locaux au moins 3 jours par semaine ou davantage au moment du questionnaire. Presque 22 % imposaient, déjà, une présence quotidienne, alors que 25 % permettaient aux collaborateurs de faire comme ils l’entendaient. Quelque 20 % ont demandé que les collaborateurs et associés soient tout de même présents un à deux jours par semaine dans les locaux.

Sidonie Fraîche-Dupeyrat, associée du cabinet LPA-CGR Avocats et présidente du directoire, témoigne : « Nous avons été très soucieux de respecter les directives gouvernementales et de ne pas exposer les membres du cabinet à un risque sanitaire. Après le premier confinement, où tout le monde était resté chez soi, les gens sont revenus progressivement au bureau à l’été 2020, puis sont repartis en télétravail au mois de novembre 2020. Le retour au cabinet s’est fait très progressivement, les membres du cabinet venaient d’abord de manière très exceptionnelle, puis, à partir du mois de juin, alternaient entre jours pairs et jours impairs pour qu’une jauge de présence maximum soit respectée ».

À partir du mois de septembre, la plupart des cabinets ont prévenu que la donne allait changer. Plus de 40 % souhaitent que les personnes soient majoritairement présentes dans leur locaux, et le pourcentage de cabinets exigeant une présence quotidienne est de 30 %. Mais presque 20 % ont choisi de faire confiance aux associés et collaborateurs et de n’exprimer aucune exigence quant à leur présence, même à la rentrée. Quelque 8,5 % imposent tout de même une présence minimale un à deux jours par semaine. Le télétravail est certes entré davantage dans les mœurs des cabinets, mais ce changement de pratiques n’a, dans la majorité des cas, pas été formalisé, puisque 62 % des cabinets n’ont rien changé à leur charte, accord ou règlement intérieur sur ce point. Les personnes interrogées souhaiteraient, pour 62 % d’entre elles, que les modalités de présence au bureau soient plus souples.

Au sein du cabinet LPA-CGR Avocats, les discussions sur le télétravail avaient été initiées avant la crise sanitaire et la charte signée depuis prévoyait déjà deux jours par semaine de travail à domicile, optant pour le principe de la souplesse d’organisation. Sidonie Fraîche-Dupeyrat considère qu’en la matière, les motivations sont subjectives. « Certains veulent venir au bureau cinq jours par semaine, d’autres moins. Nous ne voulons rien imposer », note-t-elle.

C’est en plein confinement qu’Hélène Daher a créé son cabinet. Et à n’en pas douter, ces circonstances ont influé sur la façon dont l’équipe a travaillé. « C’est un souvenir un peu magique, malgré les circonstances », confie-t-elle. Ses deux collaborateurs étaient alors à distance, l’un à Nantes, l’autre à l’Île de Ré, mais l’équipe a fait preuve d’efficacité. Hélène Daher reconnaît qu’il est plus confortable d’avoir les gens sur place, mais s’adapte aux aspirations et possibilités de chacun. « Je mise sur la conscience professionnelle » dit-elle. Si elle n’est pas favorable au 100 % télétravail, qu’elle juge compliqué, elle laisse beaucoup de liberté à ses collaborateurs.

Quel statut vaccinal ?

Le taux de vaccination des répondants au sondage est très élevé : 94 % indiquent avoir reçu leur deux doses. Parmi les 6 % qui ne sont pas vaccinés, très peu semblent l’avoir fait par conviction, la plupart invoquant une impossibilité matérielle, ce qui est plutôt rassurant sur le statut sanitaire des cabinets. « Pour ce qui est de la vaccination, tout le monde au cabinet était partant et ce point n’a pas posé de problème, bien au contraire », constate Hélène Daher, qui ayant des relations dans le milieu médical, a ainsi facilité la vaccination des collaborateurs à leur demande. Un tiers des cabinets ont mis en place des mesures qui ont facilité la vaccination. Quelque 75 % des cabinets autorisent d’ailleurs les collaborateurs à s’absenter pour un rendez-vous de vaccination. LPA-CGR Avocats offre ainsi une demi-journée à ceux qui iraient faire l’injection. Pour 10 % des répondants au sondage, le cabinet s’occupe de leur prendre un rendez-vous de vaccination. On constate en revanche que très peu de cabinets semblent inciter les associés et collaborateurs non vaccinés à rester chez eux, à peine plus de 4,5 %. Une statistique peu étonnante au regard de la couverture vaccinale importante dans les cabinets. « Nous avons trouvé un moyen de questionner anonymement et sans pression nos collaborateurs pour connaître le pourcentage de personnes vaccinées au sein de notre entreprise, dans la perspective d’une éventuelle quatrième vague, même si beaucoup le disent spontanément », indique Sidonie Fraîche-Dupeyrat. Le cabinet cherche, comme tant d’autres, le juste équilibre entre le respect des convictions de chacun et la responsabilité sociétale. Quelque 18 % des répondants indiquent bénéficier de vaccination sur place, avec une infirmière qui vient leur inoculer le vaccin, mais seuls 15 % relèvent que leur cabinet incite les gens à se tester, soit en mettant des autotests à disposition, soit en organisant des séances de test au cabinet. À l’heure où le virus sévit encore, LPA-CGR Avocats conserve une politique sanitaire stricte : le masque se porte en intérieur, les espaces de partage de repas ne sont pas ouverts et les déjeuners clients se font à l’extérieur.

La question des locaux : le flex office à l’honneur

Une écrasante majorité des personnes interrogées explique avoir drastiquement changé ses pratiques depuis la crise, près de 94 % des répondants indiquant avoir réduit leurs déplacements et désormais organiser davantage de visioconférences. Les habitudes des avocats de Foley Hoag spécialisés en arbitrage international, qui voyageaient en permanence entre les différentes places d’arbitrages, ont connu un arrêt très net avec le premier confinement. Diana Paraguacuto-Mahéo s’en souvient bien, elle revenait de Colombie et devait repartir au Vietnam, mais ses projets ont volé en éclats. « Malgré tout, nos équipes, tout comme l’arbitrage en général, nous sommes adaptés à la vitesse grand V » indique-t-elle. Ces circonstances, auxquelles s’ajoute désormais le télétravail, conduisent les cabinets à réfléchir à la façon dont ils utilisent leurs locaux. Selon les personnes interrogées, 30 % envisagent de changer de locaux ou de procéder au réaménagement des ces derniers. Si 70 % répondent que les bureaux seront occupés de façon identique à celle de la période précédant la crise sanitaire, les autres prévoient d’utiliser différemment les espaces, notamment en mettant fin à l’occupation individuelle des bureaux, tandis qu’au contraire d’autres reviennent sur les open spaces pour y installer des cloisons et y créer plus de bureaux individuels.

Une tendance semble clairement se dessiner, celle du flex office. On envisage ainsi des rotations, en fonction des jours de présence des collaborateurs. Ainsi, chez LPA-CGR Avocats, « une réflexion sur les locaux est en cours. Nous avons fait appel à un prestataire pour réfléchir sur nos espaces, il y a maintenant un peu plus d’un an », confie la managing partner. Avec un travail autour d’espaces de convivialité à créer. « Nous avons besoin de lieux où nous retrouver autrement », constate l’avocate qui révèle que les associés ont souvent été d’accord pour reconnaître que leurs bureaux étaient trop grands. « Désormais, nous avons une impression de dilution, les étages ne sont jamais pleins », ajoute-t-elle. Si le réaménagement en open space est exclu, confidentialité oblige, on pense à du flex office, avec des espaces silencieux, à l’ouverture sur l’extérieur des espaces de travail. Salariés, collaborateurs et associés participent à cette réflexion qui se veut collective et objective en tenant compte des contraintes de tous. Les salles de réunions ont été réequipées pour faciliter les réunions en visioconférence.

Hélène Daher a pour sa part fait le choix de louer des bureaux dans un espace de coworking, qui sont modulables au gré des arrivées et des départs des collaborateurs et stagiaires. À ce stade de développement, elle n’envisage de prendre des locaux pérennes qu’à compter du 2e semestre 2022.

Conserver ce qui fonctionne

Chez LPA-CGR Avocats, on voudrait pérenniser certaines des pratiques internes ou à destination des clients qui ont vu le jour pendant le confinement. « Nous avions mis en place des webinaires culturels que nous allons poursuivre, de même que la diffusion en interne de portraits des membres du cabinet. Pour les clients, les webinaires seront également conservés, ils complèteront les propositions d’évènements en présentiel », relève la managing partner. Le cabinet avait créé, pendant le confinement, outre un réseau social interne, une chaîne YouTube, canal privilégié de communication qui sera conservé, de même que d’autres outils de partage de documents avec les clients.

Chez Foley Hoag, Diana Paraguacuto-Mahéo a également constaté la persistance du changement de pratiques nées avec la crise sanitaire, un thème qui continue d’être d’actualité et d’irriguer tous les dossiers. « L’arbitrage international attire les profils nomades, car les sièges des juridictions sont un peu partout sur la planète : Paris, Londres, New York, Hong Kong, Singapour, Washington ; les droits applicables multiples et les clients internationaux. Par ailleurs, les praticiens voyagent aussi pour rencontrer leur client ou pour échanger entre eux à l’occasion de groupes de travail et de conférences internationales. Nous passions beaucoup temps dans les avions pour nos audiences, pour rencontrer nos clients et pour asseoir notre visibilité à l’international, plusieurs fois par mois », souligne-t-elle. Les échanges de pièces à distance, les audiences virtuelles, tous les process se sont mis en place rapidement, bien souvent à la faveur d’un droit local qui permettait déjà de le faire, et d’institutions arbitrales très réactives et qui ont su très vite établir des protocoles utiles à garantir les droits de chacun. De surcroît, les tribunaux ont fait montre d’une grande adaptabilité et ont ordonné la mise en place, par exemple, d’audiences adaptées sur plusieurs fuseaux horaires, avec des roulements, pour que les mêmes parties n’aient pas à toujours se lever en pleine nuit. « Ce qui est intéressant c’est que les tribunaux arbitraux n’ont pas voulu être instrumentalisés en raison de la crise sanitaire et se sont obligés à une certaine célérité. La crise a donc eu un impact relativement faible sur les procédures d’arbitrage qui ont continué », souligne Diana Paraguacuto-Mahéo. Y aura-t-il un retour au tout présentiel ? Si les audiences de procédure devraient rester en virtuel, car les déplacements des équipes et les locations de locaux sont onéreux, les audiences de fond repasseront pour partie au moins en présentiel. « Cela reste la meilleure formule pour communiquer efficacement avec les arbitres », estime l’avocate, mais il y aura toujours une analyse d’opportunité au cas par cas. Les praticiens ressentent le besoin d’échanger et de se revoir et tout porte à croire que les conférences et colloques des prochains mois auront du succès.

Spécialisé en droit du travail, le cabinet d’Hélène Daher a répondu à des besoins de clients qui recherchaient ce qu’elle appelle du « droit ambulance ». « Les clients voulaient des protocoles sanitaires et des protocoles de continuation de l’activité, en urgence. Nous avons délivré les prestations en des temps records », explique Hélène Daher. Cette dernière estime que les circonstances lui ont permis de travailler autrement et de commencer à délivrer dès le démarrage sans s’embarrasser de considérations matérielles inhérentes aux installations : locaux, équipement, déménagement, etc. Cette nouvelle façon de travailler a aussi eu des effets plus inattendus. Sur la clientèle tout d’abord. « Nous avons beaucoup de clients en province », constate-t-elle. Et dans ses rapports aux clients, les relations sont devenues plus directes. « Cela a renforcé les liens humains, il y a moins de formalisme », ajoute-t-elle. Cette décontraction se ressent également dans la tenue vestimentaire des avocats. Hélène Daher qui avait l’habitude de travailler vêtue d’un tailleur et chaussée de talons hauts, est désormais habillée « comme dans une start-up », sauf exceptions et à l’occasion d’un rendez-vous client. En ce qui concerne l’équipement, tout le monde s’est vu doter d’un écran au bureau et d’un autre chez lui, ainsi que d’un ordinateur portable nomade dernière génération. « Nous n’imprimons rien et nous ne faisons pas de feuilles de temps », précise-t-elle également.

La crise sanitaire a entraîné un changement de mentalités des avocats. Alors que la pandémie n’est pas encore terminée, il est temps pour les cabinets de s’interroger sur la transformation qu’ils veulent mener, les messages à véhiculer auprès des clients, mais surtout auprès des jeunes générations en attente d’une autre forme d’exercice. 

Sidonie Fraîche-Dupeyrat LPA-CGR avocats Hélène Daher Foley Hoag Diana Paraguacuto-Maheo