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Activités commerciales accessoires connexes à l’exercice de la profession d’avocat : qu’est-il possible de faire ?

Par Audrey Tabuteau

Depuis le 1er juillet 2016, les avocats peuvent commercialiser, à titre accessoire, des biens ou des services connexes à l’exercice de leur profession si ces biens ou services sont destinés à des clients ou à d’autres membres de la profession. Quatre ans après son entrée en vigueur, comment les avocats ont-ils saisi cette dérogation au régime des incompatibilités commerciales introduite par l’article 63 de la loi « Croissance » ? La période Covid-19 a-t-elle propulsé leur créativité ?

En 2016, peu nombreux étaient les avocats à oser se lancer dans la commercialisation, à titre accessoire et dérogatoire, de biens ou de services connexes à l’exercice de leur métier, autorisée par l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié (décr. n° 2016-882 du 29 juin 2016, art. 4). L’atmosphère au sein de la profession était frileuse au point que dénonciations et recours disciplinaires auraient émergé, certains avocats voyant d’un mauvais œil cette dérive. Fort heureusement ce temps semble révolu.

Pour que les clients de l’avocat se reconnaissent en lui

« Les avocats se sont rendus compte que les besoins de leurs clients évoluaient dans un écosystème dans lequel ils avaient aussi envie d’évoluer », constate Audrey Chemouli, présidente de la Commission « Statut professionnel de l’avocat » pour la mandature CNB 2018-2020. À ce changement des mentalités s’est adjoint la volonté des institutions de voir la mesure mise en œuvre. Après un premier rapport en 2018 précisant la portée des nouvelles dispositions, le CNB vient de publier un Guide pratique Activités commerciales dérogatoires (1re éd., déc. 2020) pour aider les avocats à structurer leur activité commerciale dérogatoire (activité intégrée au cabinet ou filialisée) et à en mesurer les enjeux.

En outre, le développement des incubateurs au sein de barreaux a permis de donner un coup d’accélérateur : « L’Incubateur est une fenêtre ouverte pour constater la créativité des avocats du barreau de Bordeaux et pour accompagner les confrères dans la réalisation de leurs projets », explique Caroline Laveissière, vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats de Bordeaux. Et Séverine Audoubert, présidente de la Commission « Nouveaux métiers du droit » au barreau de Paris et membre du CNB pour la mandature 2021-2023 de préciser : « L’incubateur mais aussi la Commission ont cette vocation. Le mouvement s’est accéléré et l’Incubateur est passé de 1 à 2 cessions minimum par an. Il faut encourager nos confrères à adopter une posture entrepreneuriale, les soutenir dans la conduite du changement. Ce n’est pas une question d’âge mais d’état d’esprit conquérant et créatif, salutaire pour l’avenir de notre profession. » Mais comment les avocats se sont-ils emparés de cette opportunité de croissance ?

Secteurs propices et évolutions possibles

La notice du décret du 29 juin 2016 modifiant celui du 27 novembre 1991 précise que sont autorisées les activités commerciales dérogatoires relevant des secteurs de « l’édition juridique, la formation professionnelle ou encore la mise à disposition de moyens matériels ou de locaux au bénéfice d’autres avocats ou sociétés d’avocats ». Il semble, toutefois, que certains avocats aient su investir bien d’autres domaines comme : le coaching (par ex. : decisiowning), le management de transition (par ex. : Oxygen +),  le secteur routier (par ex. : A vos points), la génération d’accords collectifs (par ex. : Mes accords collectifs), la médiation dans le domaine de la consommation (par ex. : Marcel médiation), etc. Et depuis la création de leur activité, d’autres ont su la faire évoluer : « L’article 111 est une solution pour contourner l’obstacle majeur au développement des cabinets sur les sujets digitaux qui nécessitent des investissements. En 2017, j’ai eu l’idée de digitaliser ma pratique que je développais depuis 2011 au sein du cabinet Sagan. Le recours aux méthodes de Legal Design et des tests utilisateurs m’ont permis de parfaire l’outil d’origine avec une mise en ligne définitive en novembre 2018. Pensé pour les particuliers (B to C), Mes indemnités.com a évolué vers un marché B to B avec, à ce jour, pour principaux utilisateurs des entreprises, d’importants CSE et des avocats », témoigne Alexandra Sabbe Ferri.

Covid-19 : intuition, résilience et agilité

Si la période Covid-19 a été un frein pour le judiciaire, elle a permis à certains avocats de faire éclore leurs projets : « J’ai imaginé le concept en 2019 en partant de mon approche terrain en matière de santé-sécurité au travail et de la difficulté pour les entreprises de prouver leurs diligences en matière de prévention des risques. Il y a eu un alignement des planètes entre le concours organisé par l’Incubateur de Bordeaux qui nous a primés, la conception au sein du cabinet qui constitue une garantie aux yeux des clients et le lancement du produit pendant la crise sanitaire. En contribuant à la prévention des risques, l’outil va dans le sens de l’histoire, dans un contexte où les enjeux de protection de la santé et de la sécurité sont majeurs pour les entreprises », relate Sébastien Millet, avocat au cabinet Ellipse Avocats de Bordeaux et créateur de la solution digitale Séquence prévention.

Pour d’autres, la Covid-19 les a cloués au sol et les a contraints à se réinventer. Ce fut le cas de Benjamin Mairesse dont le cabinet éponyme, partenaire de plusieurs Legal Tech, était spécialisé dans la défense des intérêts des passagers aériens : « Entouré d’une équipe pleine de bonne volonté, j’ai sorti de terre en trois mois ma propre Legal Tech, Le Petit Justicier, en allant sur le terrain du remboursement des billets par les compagnies aériennes qui annulent leurs vols. Derrière Le Petit Justicier (incubé par le barreau de Paris) il y a une société gérée, présidée et détenue par un avocat. L’activité est respectueuse et indépendante du monopole de l’exercice de la profession. L’idée est de rendre plus éthique le marché des Legal Tech. » Et la période a redonné des ailes à l’avocat : il travaille déjà sur de nouveaux produits en vue de fournir un outil d’accompagnement et d’automatisation des procédures de petits litiges sur des secteurs de niche.

Contrôle a posteriori opéré par les Ordres

À ce jour, le nombre d’activités commerciales dérogatoires n’est pas quantifiable au plan national, le CNB ne disposant pas de statistiques. Les données sont centralisées au niveau des barreaux car, conformément à l’article 111, l’avocat doit informer de sa création « le conseil de l’Ordre du barreau dont il ou elle relève », par écrit, « dans un délai de trente jours suivant le début de l’activité concernée ». Cette déclaration permet au conseil de l’Ordre d’opérer un contrôle a posteriori sur les conditions imposées par l’article 111 (à savoir le respect du caractère accessoire, du critère de connexité à l’exercice de la profession et la notion de client) et sur la modification des statuts de société d’avocats, lorsque l’activité est conduite par l’avocat au sein de son cabinet. Il peut solliciter tous renseignements utiles pour lui permettre d’apprécier si l’activité est compatible avec les règles de déontologie de la profession.

Dans les faits, pour éviter un refus, les avocats sollicitent en amont leurs Ordres. À Bordeaux comme à Paris, les refus sont rares. « Le barreau n’est pas conservateur et a une vision pragmatique des choses », déclare Caroline Laveissière. « Les quelques refus ont plutôt porté sur des projets allant sur le terrain des autres professions réglementées », ajoute Séverine Audoubert. Toutefois l’accord est souvent fonction de l’interprétation stricte ou souple des critères de l’article 111 opéré par le conseil de l’Ordre du barreau qui examine la déclaration. Ainsi, à Paris, il semblerait que reprendre in extenso les termes de l’article 111 soit actuellement suffisant, ce qui ne semble pas être la règle en province. Audrey Chemouli approuve cette simplicité : « Comme pour tout objet social, il est intéressant de couvrir un large spectre et de se laisser l’opportunité de pouvoir exercer telle ou telle activité, de la faire évoluer. » Pour autant, tout n’est pas autorisé : l’ouverture d’un débit de boissons a, par exemple, été refusée. Dans un souci d’égalité de traitement, Séverine Audoubert serait favorable à une harmonisation au niveau national, et à une interprétation commune des critères. En outre, « on pourrait envisager d’exiger le dépôt d’une fiche descriptive avant tout démarrage de l’activité connexe ».

Activité commerciale dérogatoire v. SPE ?

Avec la crise économique, les avocats à la recherche de croissance vont-ils s’orienter vers le développement d’activités commerciales dérogatoires ou la création de sociétés pluri-professionnelles d’exercice ? Les avis et les pronostics sont partagés. Si aucune voie n’inspire, il reste encore la possibilité de conjuguer l’exercice de sa profession à celui de sa passion comme Pascal Clément, avocat associé au cabinet SCS à Narbonne. Depuis sa prestation de serment, ce dernier a réussi à maintenir son activité de moniteur de ski, environ 50 heures par an, à Ax-Les-Thermes : « C’est une activité accessoire sans commercialité puisque j’ai le statut d’autoentrepreneur. Et par les temps qui courent, il est peut-être préférable d’être avocat que moniteur de ski. »