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À la recherche du nom idéal

Par Ondine Delaunay
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires Magazine n°55 - Juillet/Août 2018

Le choix du nom du cabinet est devenu une question hautement stratégique pour les avocats. Si auparavant l’adjonction des noms des fondateurs était la norme, l’appellation de fantaisie est désormais fréquente. Mais rien ne doit être laissé au hasard, notamment le référencement sur les moteurs de recherche, ou encore la traduction en langues étrangères. Description d’un monde nouveau.

Quel nom choisir pour son cabinet ? La question peut sembler insignifiante et secondaire. Elle est en réalité hautement stratégique et éminemment sensible pour les avocats. « Il y a 20 ans, la question n’était pratiquement pas abordée, se rappelle Nathalie Rehby, qui dirige l’agence de communication Satellitis. Les associés fondateurs accolaient leurs noms les uns après les autres en terminant parfois par : & Associés ». À l’image de Lefèvre Pelletier & Associés, De Pardieu Brocas Maffei, Duclos Thorne Mollet-Viéville & Associés, Bredin Prat, Stehlin & Associés, De Gaulle Fleurance & Associés, Darrois Villey Maillot Brochier, Veil Jourde… la liste est longue. Mais depuis, les pratiques ont quelque peu évolué. « C’est à partir de la création des premières SCP, à la fin des années soixante, que certains avocats ont commencé à essayer de faire preuve d’originalité », poursuit cette dernière. Adamas est sans doute la première structure à avoir fait le grand saut, dès 1969. En 1998, Racine lui emboîtait le pas. Bruno Cavalié avait alors connu deux scissions d’équipe l’ayant contraint à changer de nom de son cabinet : Cavalié Gillot, puis Cavalié Tuffal & Associés. Il a donc opté pour l’appellation Racine, une marque collective, représentant l’ensemble de l’équipe. « C’était visionnaire à cette époque », se souvient Florence Henriet, dirigeante de FHP Conseil et auteur du Guide des cabinets d’avocats d’affaires. Brigitte Van Dorsselaere, fondatrice de l’agence Image Juridique, analyse : « le choix des noms de famille des fondateurs, encore le plus courant, peut présenter des difficultés si le nombre d’associés croît, si une personnalité disparaît ou prend sa retraite ou quitte le cabinet pour monter une autre structure ou est touchée par un scandale… ». Et c’est d’ailleurs pour cette raison que certaines maisons ont entrepris, au fur et à mesure du temps, de transformer leur nom en marque. August Debouzy a retiré son esperluette en 2016. Gide a laissé de côté Loyrette et Nouel en 2014. D’autres ont choisi de transformer l’adjonction de noms en suite d’initiales. On pense notamment à UGGC Associés, à BCTG & Associés, à FTPA ou à CVML. Attention néanmoins à ne pas devenir la bête noire des dyslexiques ! Le cabinet SLVF était par exemple régulièrement appelé SVLF ou SFVL

Trouver la bonne référence


Sur les 126 cabinets créés depuis 2010, répertoriés dans le Guide des cabinets d’avocats d’affaires, seuls 40 % d’entre eux ont choisi un nom traditionnel. Les autres ont opté pour des initiales, voire pour une appellation de fantaisie. Et dans ce dernier cas, les avocats savent parfois faire preuve… d’originalité. Les jeux de mots autour de Law ou de Lex ne sont pas toujours du meilleur goût, mais ont su convaincre certains. Citons par exemple Lawways, Legipass, Metalaw, Pomelaw, ou encore Partners in Law. D’autres choisissent l’entre-deux. Le nom de monuments historiques à proximité du bureau, le nom reflétant le nombre de membres dans l’équipe, voire le nom de l’avenue où l’on emménage… On attendait Cœur Défense en hommage à la tour, mais personne n’a encore osé franchir le pas. « Il y a eu quelques belles plantades », sourit Florence Henriet. L’avocat ne sait pas encore tout faire. À chacun son métier !

Brigitte Van Dorsselaere poursuit : « Le nom de fantaisie doit être compréhensible pour la cible de clients du cabinet, adapté à sa stratégie de développement, facilement prononçable, orthographiable et mémorisable, traduisible sans danger en langues étrangères, durable dans le temps et évolutif, déclinable en logo, et surtout aujourd’hui facilement transposable sur le net et efficace en termes de référencement ». Si à l’époque tout était encore possible, il semblerait aujourd’hui déraisonnable de baptiser son cabinet « Racine » à cause de la difficulté du référencement sur les moteurs de recherche.

Nathalie Rehby le dit sans ambages : « Il est indispensable d’être accompagné par une agence qui saura construire une histoire derrière le nom choisi ». Altana avait opté en 2009 pour le nom des terrasses en bois installées sur les toits des palais vénitiens. Une manière de montrer leur hauteur face à la problématique juridique, leur vision d’ensemble de l’activité de la place. Autre belle référence : celle de Saul-Associés, en hommage au premier roi israélite choisi par le prophète Samuel pour diriger les combats à venir. Celle aussi de Quadrige, pour l’attelage antique de quatre chevaux de front utilisé pour les courses. Le cabinet a malheureusement depuis implosé, mais l’image était plutôt éloquente.

Des limites à ne pas dépasser

Tout n’est pourtant pas autorisé. Le Conseil national des barreaux a d’ailleurs posé des limites dans son règlement intérieur national, aux articles 10 et 11. Est ainsi interdite « l’utilisation de dénomination évoquant de façon générique le titre d’avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit, une spécialisation ou une activité relevant de celle de l’avocat ». Le Conseil d’État, dans un arrêt du 28 avril 2017, avait validé ce cadre déontologique en considérant que les dispositions « tendent à empêcher que, par sa dénomination, un cabinet ou une société d’exercice cherche à s’approprier directement ou indirectement un domaine du droit ou un domaine d’activité que se partage la profession dans les conditions qui seraient de nature à créer la confusion dans l’esprit du public au détriment des autres avocats ». Impossible donc de s’appeler Fusac Avocats, Avocatdivorce, ou encore Avocat-défense cabinet d’avocats. « Les noms trompeurs ou ceux qui comportent des superlatifs et comparatifs avec d’autres cabinets sont également à proscrire », ajoute Brigitte Van Dorsselaere. Il est donc interdit de s’appeler Meilleurcabinetdumonde, ou Cabinet Incontournable. « Il serait, en revanche, possible de déposer le nom de domaine meilleurs-avocats-francais.com pour 7,99 €. Il est disponible comme tant d’autres évoquant de façon générique le titre d’avocat », s’amuse Florence Henriet.

Ne pas négliger l’intuitu personae

Mais cette tendance du nom de fantaisie ne se prête pas à toutes les situations. « Le nom varie selon la stratégie de développement du cabinet. Lorsque le cabinet est positionné sur une niche, il est parfois bénéfique d’utiliser le nom de famille de l’associé fondateur parce qu’il est d’ores et déjà reconnu sur son marché », estime Nathalie Rehby. Une position partagée par Florence Henriet qui ajoute que « l’intuitu personae n’est pas à négliger dans le milieu juridique et si la notoriété d’une personne peut porter le cabinet, il faut en profiter ». Il aurait par exemple été dommage que Lantourne & Associés opte pour un nom de fantaisie, sans profiter de la réputation et de la compétence en restructuring de son associé phare. Idem pour le cabinet Bompoint, spécialisé en corporate M&A. « Mais lorsque la structure est full services, il est désormais recommandé d’opter pour une appellation neutre, une marque ombrelle à laquelle les futurs arrivants pourront s’identifier », conseille Nathalie Rehby. Le plus important étant de faire court et surtout simple. Très simple.

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