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« Être à deux, c’est être plus efficaces »

Par Ondine Delaunay

La profession d’avocat d’affaires est par essence très indépendante. Même s’ils vantent bien sûr tous le travail en équipe, la plupart des professionnels exercent de manière assez solitaire. Rares sont les binômes qui parviennent à traverser les années, surtout lors des changements de cabinets. Jean-François Louit et Caroline Lan, aujourd’hui associés du cabinet Gide, forment un duo attachant, atypique pour le milieu corporate dans lequel ils évoluent, mais surtout solide. Rencontre.

Comment vous êtes-vous connus ?

Caroline Lan : J’ai débuté ma carrière comme fiscaliste chez Gide Loyrette Nouel en 2006. Un peu plus d’un an plus tard, j’ai rejoint le cabinet Wilinski Scotto (à l’époque). Jean-François est arrivé en 2008, pour animer la pratique M&A et droit boursier. Nous avons d’abord été amenés à travailler ensemble sur des dossiers corporate, dans lesquels je traitais la partie fiscale. Le premier dossier d’importance sur lequel nous avons collaboré est l’OPA de Qatar Luxury Group sur Le Tanneur en 2011 pour lequel nous avons assisté les Qataris face aux actionnaires familiaux cédants.

Jean-François Louit : Sortant frais émoulu de Davis Polk, j’avais l’idée de travailler indistinctement avec tous les collaborateurs. C’était un vœu pieu, surtout dans un cabinet dans lequel le M&A et le boursier étaient en construction. J’ai assez vite réalisé qu’il me fallait une équipe dédiée. Après l’opération Le Tanneur, je savais que j’avais trouvé mon binôme, première pierre de l’équipe. C’était, entre nous, une combinaison de savoir-faire mais aussi un duo avec des valeurs partagées. Nous venions aussi de la même région, de la même faculté de droit (Aix-en-Provence) et avions le même cursus universitaire. Bref, il était compliqué de faire passer une feuille de papier à cigarette entre nous.

Vous aviez pourtant deux expertises très différentes…

Jean-François Louit : Tout à fait. Différentes mais complémentaires, surtout pour une pratique corporate dédiée aux dirigeants et managers. En outre, le fiscal est une excellente formation pour passer ensuite au corporate. D’ailleurs, certains des meilleurs avocats corporate aujourd’hui ont suivi ce parcours. Au-delà de la technique, c’est la confiance qui compte. C’est aussi l’accord sur les valeurs et les mots-clefs de notre pratique notamment concernant une approche collective des dossiers (dans un milieu qui met parfois trop en valeur la tête de gondole au détriment du reste de l’équipe).

Caroline Lan : En private equity mais plus particulièrement dans notre pratique qui est d’abord dédiée aux personnes physiques, quelle que soit leur casquette (fondateur, dirigeant, actionnaires familiaux etc.), le fiscal est étroitement imbriqué au corporate. J’ai donc rapidement basculé et couvert les sujets M&A. J’ai apprécié l’adrénaline de la gestion du deal, du pitch jusqu’au closing, et d’être en première ligne sur tous les sujets que cela soit sur les opérations boursières ou de private equity. Je me sentais vraiment au cœur de la machine, ce qui était moins le cas lorsque j’étais fiscaliste.

Comment avez-vous décidé de partir ensemble chez Mayer Brown en 2015 ?

Jean-François Louit : J’ai un souvenir très précis de notre conversation à ce moment-là dont l’objectif était d’informer Caroline et non pas l’obliger en quoi que ce soit. Et je me souviens parfaitement de sa réaction : sans aucune hésitation, elle m’a indiqué qu’elle était partante. Cette réponse si spontanée m’a donné une confiance inébranlable dans notre duo. Être en phase quand tout va bien est une chose ; dans les moments plus difficiles, c’est un autre niveau.

Caroline Lan : Il était clair pour moi que mon avenir professionnel était avec Jean-François, au-delà des atouts de notre cabinet de l’époque. Nous avions en charge les dossiers compliqués du cabinet, boursiers ou fondateurs avec une part de M&A forte. Or sur ce type de dossiers il faut être très alignés sur la façon dont on gère le client, l’équipe, les problématiques… En tant que collaboratrice, j’ai vécu comme une preuve de confiance que mon associé partage avec moi ses doutes et ses questions. Mon avis comptait et je me suis projetée assez facilement dans la poursuite de notre pratique ailleurs avec le reste de notre équipe. Nous avons déménagé en une soirée et le lendemain nous reprenions nos dossiers en main de la même façon qu’auparavant.

Votre binôme a-t-il changé chez Mayer Brown ?

Caroline Lan : Je ne crois pas, c’était une sorte de continuité de ce que nous avions forgé ensemble. De mon côté, j’ai monté des échelons. Je suis passée counsel, puis j’ai été promue associée en 2018. Cela n’a eu que peu d’impact sur nos méthodes de travail et notre approche.

Jean-François Louit : L’arrivée chez Mayer Brown nous a permis de nous projeter vers d’autres développements et de monter une pratique « dirigeants » dans un cabinet « institutionnel » avec des mots-clefs différents, notamment en ce qui concerne la relation avec les fonds d’investissement. Nous étions entourés de professionnels du private equity de qualité et rodés à l’accompagnement des fonds. L’autre idée était de faire un peu plus de M&A corporate et un peu moins de « dirigeants ». C’est finalement l’inverse qui s’est produit ! Je n’ai pas été très visionnaire sur ce coup-là.

En quoi êtes-vous complémentaires ?

Caroline Lan : Nous avons des approches un peu différentes, puisque je suis plus teintée fiscalité et private equity, tandis que Jean-François a un background M&A et boursier. Notre valeur ajoutée est différente en fonction des problématiques posées par chaque dossier. Naturellement, nous aimons être en binôme sur les dossiers, notamment sur les opérations complexes. Nous pensons qu’être à deux, c’est être plus efficaces. C’est aussi notre façon d’aborder les dossiers, on aime être sur tous les fronts et avoir une vision globale du dossier sans négliger aucun de ses aspects. En outre, Jean-François et moi avons une sensibilité différente sur certains sujets et cela nous permet d’être plus pertinents.

Est-ce un atout d’être en binôme avec une femme ?

Jean-François Louit : J’ai évidemment aussi travaillé avec beaucoup d’hommes et cela a souvent bien fonctionné. Je pense par exemple à mes dossiers partagés avec Jérôme Sibille, chez Davis Polk, ou encore à mes anciens associés de Freshfields. Mais globalement, j’aime beaucoup travailler avec des femmes. Sans tomber dans trop de généralités, j’apprécie souvent leur approche du métier, très saine, et elles me complètent bien par ailleurs sur certains aspects.

Vis-à-vis de l’extérieur, notre binôme est un atout fantastique car nous sommes différents dans un paysage corporate très masculin. J’ai d’ailleurs souvenir d’un dossier assez compliqué que j’aurais eu beaucoup de difficultés à traiter aussi bien que Caroline. D’abord parce que la part de structuration fiscale était essentielle, ensuite parce que la rondeur, la technicité et le calme de Caroline ont fait merveille auprès des multiples conseils. J’aurais peut-être eu moins de patience !

Vous êtes arrivés chez Gide il y a 18 mois. Comment évolue votre binôme au milieu d’un navire qui compte 500 personnes ?

Caroline Lan : Pour moi, tout a changé dès le premier jour car les associés sont venus me parler. Gide a recruté deux associés et leur équipe, et non Jean-François et son équipe. Je n’étais plus dans les bagages, j’étais co-pilote. Mais dans notre binôme, nos relations ont peu évolué. Notre logique de partage est la même. Nous sommes au courant de ce que fait l’autre, que ce soit sur la partie technique ou le développement.

Jean-François Louit : Le pourcentage de dossiers que nous traitons totalement ensemble décroît au fil des ans. Mais très souvent, nous démarrons à deux pour comprendre quel serait le profil le plus adapté au dossier. Parfois, lorsque le dossier et son calendrier l’exigent, comme Cérélia l’année dernière, nous travaillons ensemble de A à Z et nous avons très bien fonctionné ainsi. Je pense que notre client avait d’ailleurs « acheté » un duo pour avoir un impact intense et permanent dans le dossier. Plus généralement, le cabinet est très ouvert sur la manière dont les équipes sont animées et permet à celles-ci de se développer avec beaucoup de flexibilité.

Et autour de vous ?

Caroline Lan : Toute notre équipe a validé le choix du cabinet. Nous avons ensuite recruté Paul de France, comme associé fiscaliste, afin de renforcer davantage la pratique fiscale du cabinet sur nos sujets et globalement sur les dossiers de capital-investissement, ainsi que plusieurs collaborateurs. Nous travaillons régulièrement avec des collaborateurs de l’équipe corporate…

Jean-François Louit : Notre binôme n’est que la première pierre d’une équipe nombreuse avec un esprit et un fonctionnement véritablement collectifs. Ce que nous avons réussi tous les deux, nous voulons l’étendre à tous les membres de notre pratique (Vincenzo, François, Léa et Sandrine, pour en citer certains). 

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