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BD & marketing : pourquoi il faut savoir oser

Par Florence Henriet
Paru dans La Lettre des Juristes d'Affaires n°261 - Juillet/Août 2019

Dans les cabinets d’avocats, les fonctions liées au Business Development, au Marketing et à la Communication (BDCM) ont vu le jour en France il y a presque trente ans. La LJA propose un état des lieux et se penche sur les éléments prospectifs attachés à cette profession, objet de tous les intérêts et souvent sujette à discussion.

Près de 90 personnes représentant plus de cinquante cabinets d’avocats ont accepté de répondre à un sondage permettant de faire un point sur l’évolution de cette profession née en 1990. Pour être précis, les cabinets se sont penchés sur le sujet avant cette date. Les tâches étaient alors réparties entre des associés et/ou collaborateurs plus sensibles que d’autres à ces enjeux, des assistantes chargées d’organiser des évènements internes et externes. Alors pourquoi cette année 1990 ? Parce que pour la première fois en France, le managing partner d’un cabinet anglais basé à Paris décide de recruter une personne entièrement dédiée à la fonction. Aujourd’hui, on compte près de 200 personnes au sein des cabinets chargées de prendre soin quotidiennement de leur image, de leurs relations avec leurs clients et de veiller ce marché de plus en plus concurrentiel.

La genèse

La création de la LJA en 1989 a sans doute été un des éléments déclencheurs de cette nécessité de communiquer au-delà du bouche-à-oreille propre au secteur. Elle a été le premier titre de presse à se consacrer à l’actualité du secteur des cabinets d’avocats d’affaires. Cette presse sectorielle existait déjà dans les univers anglo-saxons. C’est sans doute la raison pour laquelle, la démarche de création de fonctions dédiées a été lancée et réservée dans un premier temps aux grands cabinets d’origine anglaise et américaine implantés en France. Mais aujourd’hui, comme en atteste notre sondage, la fonction est aujourd’hui présente presque à égalité dans les cabinets français (46 % des répondants) et les cabinets internationaux (54 % des répondants).

La photo de la famille

Les membres de la profession sont assez jeunes. Plus de 70 % affichent un âge inférieur à 40 ans dont presque 25 % de moins de 30 ans. L’enquête révèle un pourcentage de femmes (80 %) largement supérieur à celui des hommes. Cette prédominance n’est pas très surprenante et sans doute liée à la profession au-delà du secteur des cabinets. Si on constate que 59 % des hommes affichent des responsabilités managériales contre 42 % pour les femmes, on ne note pas de différence significative question salaires.

Les tailles des équipes sont très variables. D’une à 18 personnes pour la plus importante d’entre elles. 20 % des répondants affirment être seuls en charge des missions BDMC dont 70 % au sein de cabinets français contre 30 % en cabinets internationaux. Cela concerne des cabinets composés de moins de 20 associés avec des chiffres d’affaires inférieurs à 25 M€. Ces solitaires sont épaulés à hauteur de 60 % par une agence de relations presse. Toutefois, 23 % d’entre eux ne bénéficient d’aucune ressource complémentaire externe. En matière de management d’équipe, la mode de deux responsables – un pour le marketing/BD et un pour la communication – semble être passée. Quelque 80 % des cabinets affichant une direction unique. La communication doit servir les objectifs en termes de positionnement, stratégie de développement et cibles du cabinet. Ils doivent être définis en amont afin de déployer les actions de communication qui en découleront. Cela explique que la majorité des managers d’équipe affiche une orientation marketing/business development. Si l’on monte d’un cran, les lignes de reporting sont multiples. Les responsables peuvent dépendre de nombreuses personnes différentes au sein de la communauté des associés. C’est un des grands défis de ce métier, pour ne pas dire « piège » : conjuguer les intérêts personnels de chacun tout en veillant à l’intérêt général du cabinet et de sa marque. Plus de 70 % des répondants sont très satisfaits ou satisfaits de leur poste. Les embûches de ce métier trouvent bien une réelle contrepartie dans la variété des missions, les défis quotidiens, la stimulation intellectuelle de ce milieu qui en est si riche.

Encore un très fort attachement des recruteurs au secteur

On note peu de longévité dans les postes. Plus de 70 % des répondants sont présents depuis moins de cinq ans dans leur cabinet. Le mercato tourne à plein régime. Les profils bénéficiant d’une expérience en cabinet sont très recherchés et l’objet de toutes les chasses.

Les cabinets affichent une très nette préférence pour les candidats issus de leur secteur. 67 % des répondants bénéficiaient d’une expérience au sein d’un cabinet ou d’une entité dirigée par un partnership avant de rejoindre leur poste actuel.

Il est surprenant de constater que l’écart se marque nettement plus quand on s’attache à la différence entre les femmes et les hommes : 70 % de ces derniers viennent de secteurs étrangers contre seulement 33 % des femmes. Les quelques rares profils émanant du secteur B2C sont recrutés par les cabinets affichant un chiffre d’affaires supérieur à 100 M€.

On retrouve également cette affection pour le monde juridique dans les formations : plus d’un tiers des personnes en poste ont poursuivi des études dans une université de droit, 6 % ont même passé le barreau.

À la recherche de moutons à cinq pattes

Les intitulés de fonctions sont très différents les uns des autres et assez hybrides. Les mentions liées au business development et/ou au marketing apparaissent à presque 80 reprises dans ces titres, celles faisant référence à la communication s’élèvent à 45. Les priorités des cabinets s’orienteraient donc de façon significative vers un axe plus attaché au développement de leur chiffre d’affaires qu’à la pure communication sur leur image. Les notions de marque et de digital n’apparaissent encore que très peu dans les responsabilités qui incombent aux équipes. De nombreux postes cumulent différentes fonctions pourtant assez éloignées les unes des autres en termes de compétences. Ce défaut de spécialisation est sans doute dû à un manque de maturité du marché. Les cabinets n’apprécient sans doute pas les nuances entre les différentes tâches et cherchent très souvent des moutons à cinq pattes aptes à passer de la stratégie à l’opérationnel, de l’évènementiel à la rédaction d’appel d’offres…

Les budgets de fonctionnement et les outils

L’investissement financier des cabinets en matière de BDMC va au-delà du recrutement d’une personne ou d’une équipe. Une stratégie sans budget de fonctionnement va être compliquée à mener, pour ne pas dire impossible. C’est l’une des premières questions que posent les candidats quand ils briguent un poste. Juste après celle de leur rémunération ! « De combien vais-je disposer pour conduire à bien les missions ? » Nous avions proposé une douzaine d’investissements différents. Nous n’en retiendrons que cinq remportant la très grande majorité des votes. La richesse d’un cabinet reposant à la fois sur ses contacts et ses ressources humaines, on peut s’étonner de constater que le CRM (fichier client), le référencement sur le Net, la communication interne et la marque employeur arrivent en queue de ce peloton des budgets. Dans les extrêmes, 20 % des répondants n’ont pas connaissance du budget de fonctionnement de leur cabinet contre 35 % affirmant que celui-ci dépasse 300K€ par an.

Les clés du succès

Les équipes interrogées classent en très bonne position l’autonomie et la capacité d’impulsion qui leur sont laissées, la confiance et la reconnaissance que leur accordent les associés/dirigeants du cabinet. Concernant ce dernier point, 75 % des hommes estiment bénéficier de la confiance de leurs associés contre 65 % des femmes. C’est fâcheux si l’on considère que si 25 % des femmes pensent que cette confiance est utile contre 12 % de la gent masculine. Même écart concernant les bénéfices de la reconnaissance des dirigeants.

Toutefois, l’enquête révèle qu’il reste de très grands progrès à réaliser en termes de volonté/implication des associés et de compréhension de la fonction marketing/communication par les associés. Dans le trio de tête des clés non encore acquises, on relève : les tailles d’équipe sous-dimensionnées par rapport aux attentes, la connaissance et l’appétence des associés pour les nouvelles technologies et surtout, une insuffisance en termes de projet d’entreprise et de vision d’avenir. À bon entendeur… !

« Notre profession dans l’avenir ? Soit elle sera top et stratégique, soit elle disparaîtra »

Les commentaires sur l’évolution du marché du droit et son impact sur la profession BDMC sont très riches. Et finalement assez optimistes. La majorité des acteurs de la profession voit dans chaque défi des opportunités. Nous sommes en face de professionnels qui envisagent avec justesse les grands changements que va devoir affronter la profession d’avocats et son impact sur leur rôle. Les cabinets doivent apprendre à fonctionner comme une entreprise à part entière. « Notre marché est en pleine transformation, c’est passionnant. Il s’agit de réinventer un nouveau business model, repenser l’écosystème du monde du droit et insuffler la culture de l’innovation pour faire évoluer l’offre, a fortiori dans un monde complexe et compétitif. »

Au sein des principales grandes évolutions identifiées, arrivent au premier chef, sans grande surprise, les nouvelles technologies avec dans leur panier : l’intelligence artificielle, la digitalisation, la gestion de la data qu’elle concerne, le knowledge ou une meilleure connaissance des clients et de leurs attentes (seulement 50 % des répondants précisent disposer d’un outil CRM), les legaltech. Autant de bouleversements qui vont pousser les avocats à se réinventer et envisager la relation avec leurs clients de façon différente.

La différentiation revient très régulièrement dans les témoignages. Il s’agit bien d’oser. Oser de nouvelles offres, oser de nouveaux modes de facturation, oser l’inter professionnalité, oser le développement de la marque servant le recrutement des plus beaux talents et la confiance des clients.

Mais oser aussi et avant tout en interne : oser de nouvelles méthodes de gouvernance vers plus de collectif, oser de véritables stratégies RH pour attirer et retenir les talents, oser le « purpose » pour faire adhérer à la vision du cabinet, pour impliquer plus et mieux, en motivant autrement que par des avantages financiers. Avec comme effet vertueux une logique d’« employee advocacy » pour que la marque mobilise chacun et en fasse des ambassadeurs « dans leur vie professionnelle mais également sur les réseaux sociaux et dans leur vie de tous les jours ». Dans l’avenir, les équipes se voient jouant un rôle de plus en plus central pour faire le lien entre des individualités. Elles s’imaginent parfaitement bien partenaires innovants et disruptifs qui permettront à leurs cabinets de résister à la pression concurrentielle. « En passant de service supports à de véritables trusted advisors », le BDMC a une véritable carte à jouer pour permettre à chaque cabinet de rester dans la course. « Tant de choses à faire si les avocats se laissent faire ! ».

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