LE TOP 40 des AVOCATS DU CAC 40
Pour la cinquième édition consécutive de cette enquête publiée par Forbes en partenariat avec la LJA, et après une enquête minutieuse menée auprès des directeurs juridiques et secrétaires généraux des entreprises du CAC 40, ce sont 40 avocats et avocates qui ont été sélectionnés comme ayant eu la confiance des dirigeants durant l’année.
Le comité de pilotage |
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Florence Henriet, pionnière car première directrice de la communication en France d’un cabinet d’avocats d’affaires international. Indépendante depuis dix ans, elle est connue pour ses écrits, ses interventions publiques et ses actions confidentielles auprès des décideurs juridiques. Auteur du « Guide des cabinets d’avocats d’affaires », elle est la rédactrice en chef de la « Business & Legal Review » et membre du Jury des « Toges » du magazine Le Point. |
Ondine Delaunay, rédactrice en chef des parutions de la Lettre des Juristes d’Affaires (LJA), rendez-vous des directeurs juridiques, avocats et juristes. En 1990, la LJA fut la première publication dédiée aux cabinets d’avocats d’affaires. Sa lettre hebdomadaire fait un point des tendances du marché. Bimestriel, LJA Le Magazine propose des analyses, reportages, enquêtes dédiées au secteur du droit des affaires. |
Ghislain de Lagrevol, fondateur des Business & Legal Forums, premier think tank participatif de l’entreprise et du droit. Avec plus 5 800 participants, les Business & Legal Forums rassemblent les entreprises, pouvoirs publics et conseils pour faire évoluer leurs pratiques professionnelles. Auparavant, il a été juriste à la Croix Rouge, dans un groupe bancaire et secrétaire général d’un groupe de presse professionnelle. |
Méthodologie Cette enquête a été conduite du 23 avril au 22 mai 2025 auprès de toutes les entreprises du CAC 40. 76 % d’entre elles ont répondu. |
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Les étapes L’identification des décisionnaires dans les entreprises du CAC 40. |
La conduite des interviews. Les échanges confidentiels sont soumis à la règle de Chatham House, les enquêteurs sont libres d’utiliser les informations collectées sans révéler l’identité des personnes à l’origine de ces informations. |
Le comité de pilotage chargé de l’enquête a analysé et rédigé le dossier. |
Les 10 premiers avocats sont classés en fonction du nombre de citations obtenues au cours de différents entretiens. Les 30 autres ayant recueilli un nombre similaire de citations, un classement par ordre alphabétique a été privilégié. |
Ces douze derniers mois auront été ceux du changement pour les cabinets d’avocats d’affaires. L’IA, bien sûr, est en train de rebattre à petits pas les cartes de l’exercice du droit et les directeurs juridiques du CAC 40 sont bien conscients que le gain de temps et d’efficacité pour les conseils devront être répercutés sur les clients une fois l’investissement dans les nouveaux outils amortis. Mais l’élection présidentielle américaine et les décisions sur les droits de douane de Donald Trump ont indéniablement eu des conséquences bien plus rapides et violentes sur l’activité des cabinets. Avec un coup de frein marqué et immédiat sur les méga-deals internationaux.
Dès lors, l’édition 2025 du top 40 des avocats d’affaires des entreprises du CAC 40 a été relativement bouleversée avec 133 noms présentés par les directeurs juridiques et secrétaires généraux comme ayant bénéficié de leur confiance cette année (40 femmes et 93 hommes). Parmi eux, 12 nouveaux entrants dans le classement final et une génération de quarantenaires qui s’installent durablement dans le top 10. Rodolphe Elineau, Clémence Fallet, Christophe Vinsonneau ou encore Vincent Brenot sont reconnus comme étant « fiables », « techniquement irréprochables » et doués de « créativité ». Ils suivent de près leurs aînés sur le podium : Benjamin Kanovitch présenté comme « dépourvu d’ego, stratège et grand technicien », Pierre-Yves Chabert qualifié de « travailleur acharné, un combattant doté d’une large palette d’interventions », et Bertrand Cardi vanté pour sa « finesse, sa sophistication d’analyse et son expérience incomparable ».
Si les spécialistes des fusions-acquisitions sont assez classiquement largement représentés dans cette édition, on ne manquera pas de relever cette année six experts du droit de la concurrence (Antoine Gosset Grainville de BDGS Associés, Mathilde Saltiel de Latham & Watkins, Igor Simic de Bredin Prat, Sergio Sorinas de Herbert Smith Freehills Kramer, Laura Castex de Gide et Éric Barbier de La Serre de Jones Day) trois avocats spécialisés en capital market (Thomas Le Vert et Séverin Robillard, de White & Case, mais également Olivier Thébault d’A&O Shearman), et deux techniciens de la compliance (Bernard Cazeneuve chez August Debouzy et Christian Dargham de Norton Rose Fulbright).
L’origine des cabinets
Le classement de cette année met en avant 20 cabinets français, 6 anglais et 13 firmes américaines. La moitié des directeurs juridiques interrogés déclarent que la nationalité du cabinet importe peu, suggérant une approche pragmatique axée sur la compétence plutôt que sur l’origine géographique. Dans les faits, quelque 42,9 % privilégient néanmoins les cabinets français, reflétant probablement une volonté de proximité culturelle et réglementaire dans un contexte d’incertitudes mondiales. Et l’impact géopolitique actuel paraît assez limité sur le choix de la structure avec seulement 7,2 % des répondants qui choisissent de marginaliser les firmes américaines. Néanmoins certaines langues se délient en off. « Je préfère ne pas donner de l’eau au moulin de trumpistes, même si je ne mets pas toutes les firmes américaines dans le même sac », explique un directeur juridique. Un autre profil interrogé reconnaît être « attentif au comportement qu’adopteront les cabinets face à l’administration américaine. C’est un test de fiabilité sur le long terme ». « J’ai constitué une liste de cabinets qui ne se sont pas soumis. Ce n’est pas forcément pour l’utiliser, mais pour garder en mémoire ceux qui auront été courageux », indique un dernier, tout en vantant les mérites de Microsoft qui a rompu ses liens avec le cabinet Simpson Thacher, qui avait capitulé face à l’administration de Trump, au profit de Jenner & Block, une firme qui la combat frontalement.
La concentration du marché
L’évolution du marché a en outre été marquée par les grandes manœuvres des cabinets internationaux qui se livrent une véritable course à la taille depuis quelques mois visant à renforcer l’axe US-UK. Le rapprochement, en mai 2024, entre Allen & Overy et Shearman & Sterling n’a eu que peu d’impact sur la place de Paris, les équipes de la firme américaine ayant pour la plupart quitté le navire avant le vote de la fusion. Mais au niveau mondial, celle-ci a donné naissance à une giga-firme réalisant un chiffre d’affaires de plus de 3 Mds€ et employant 4 000 avocats répartis dans 47 bureaux et 29 pays. En mai dernier, ce sont les firmes Herbert Smith Freehills et Kramer Levin qui ont annoncé leur rapprochement pour former Herbert Smith Freehills Kramer. Avec 2 700 avocats, dont environ 640 associés, répartis dans 25 bureaux, et un chiffre d’affaires combiné s’élevant à plus de 2 Mds$, l’opération est présentée comme étant une promesse de synergies géographiques entre les deux entités. Là encore, les répercussions françaises ont été limitées puisque le bureau parisien de Kramer Levin ne faisait pas partie de l’équation.
Cette concentration du marché a bien sûr été remarquée par les directeurs juridiques du CAC 40 notamment pour le traitement de leurs dossiers internationaux. Ils la commentent cependant avec prudence, 65 % d’entre eux préférant d’attendre de voir les impacts concrets sur la qualité de service, les tarifs et la disponibilité de leurs conseils. Seuls 13 % des répondants jugent ces fusions de façon optimiste. Et certaines inquiétudes se font jour quant à l’affaiblissement de leur position de négociation face à des entités juridiques plus grandes et potentiellement moins flexibles, ainsi que sur une approche plus standardisée qui pourrait nuire à la personnalisation du conseil juridique et à la compréhension fine de leurs enjeux sectoriels spécifiques. « La réduction de la concurrence est rarement synonyme d’économies pour l’utilisateur final mais nous verrons si ces fusions permettent de générer quelques synergies et économies d’échelle se reflétant dans les taux proposés dans les appels d’offres… », commente un directeur juridique. « Ce n’est pas un atout pour le client d’avoir des cabinets tentaculaires qui peuvent accroître les problématiques liées aux conflits d’intérêts », souligne un second.
L’enquête relève cependant que près de la moitié des directeurs juridiques du CAC 40 perçoivent nettement l’atout du réseau intégré. Un tiers ne conçoit pourtant pas de différence entre le réseau intégré et le recours à des cabinets best friends. « Avec le temps, ce qui fait la différence ce sont les relations personnelles qu’entretient l’associé principal avec les bureaux impliqués, qu’ils fassent partie de son cabinet ou pas », précise un répondant. L’important est d’abord la relation de confiance qu’ils nouent avec leurs conseils. « J’apprécie qu’ils connaissent les problématiques de mon groupe, témoigne l’un d’eux. Je m’entoure d’avocats qui prennent des risques, qui ne soient pas de simples passeurs de plats. Et j’attends d’eux de la loyauté, même si je sais bien que ce sont tous des mercenaires ».
Les chiffres clés de l’enquête
133 avocats cités par le panel (101 cités en 2024), les 40 avocats sélectionnés ont obtenu le plus grand nombre de voix
Dans le classement : 29 hommes et 11 femmes (nombre de femmes en progression de 4 par rapport à la première édition du classement)
50 ans (45 ans pour les femmes, 52 ans pour les hommes) pour la moyenne d’âge du classement
20 issus de cabinets français, 13 de firmes américaines, 6 de britanniques et 1 américaine/britannique
37 avocats issus de cabinets full service, 3 issus de boutiques de niche
21 avocats spécialisés en fusions-acquisitions, 8 en contentieux/pénal, 6 en concurrence, 3 en marchés de capitaux/droit boursier, 1 en droit public/droit de l’environnement, 1 en nouvelles technologies
10 stars montantes (3 hommes et 7 femmes)
12 nouveaux entrants par rapport au classement 2024
Rapport qualité/prix : une satisfaction mesurée mais réelle Les directeurs juridiques et secrétaires généraux du CAC 40 sont globalement satisfaits du rapport qualité/prix de leurs avocats. Plus de 84 % d’entre eux se disent « plutôt satisfaits », suggérant donc un enthousiasme mesuré. Les entreprises acceptent les conditions tarifaires actuelles sans pour autant les juger exceptionnelles. Cette satisfaction « par défaut » pourrait refléter soit un manque de transparence sur les alternatives disponibles, soit une perception que les coûts juridiques sont incompressibles dans l’environnement économique actuel. La majorité des organisations (69 %) consacrent entre 20 % et 60 % de leur budget aux honoraires d’avocats, révélant une approche équilibrée entre services internes et externes. Près d’un quart des répondants (27 %) allouent plus de 60 % de leur budget juridique à des conseils externes, suggérant des besoins spécialisés complexes. Depuis l’année dernière, 41 % des budgets des directions juridiques sont restés stables, témoignant d’une bonne maîtrise et prévisibilité des coûts juridiques de manière générale. Mais 38 % reconnaissent pourtant une tendance à la hausse. Et l’expansion des activités n’ayant pas été vraiment notable ces derniers mois, avec la fin des mega-deals, cette hausse pourrait s’expliquer par une inflation des honoraires des conseils. |
« Qu’ils mouillent leur chemise » quand les clients définissent la relation avec leur avocat L’enquête menée auprès des directeurs juridiques et secrétaires généraux des entreprises du CAC 40 révèle leurs attentes profondes envers leurs avocats, bien au-delà de la simple expertise technique. « Confiance, réactivité, rigueur », résume un dirigeant interrogé. Ce triptyque revient systématiquement dans les témoignages recueillis. La confiance apparaît comme le fondement incontournable de toute collaboration réussie. Plébiscité aussi par les clients, un partenaire capable de « mouiller sa chemise » et de « prendre des risques même quand ça peut piquer au niveau personnel ». L’excellence technique demeure évidemment attendue, mais elle doit s’accompagner d’une compréhension fine de l’environnement client. « Qu’ils sachent de quoi ils parlent quand ils parlent de leur client, qu’ils connaissent les vraies problématiques », insiste un directeur juridique. Cette intimité avec l’activité du client transforme l’avocat en véritable « sparring partner », capable de proposer des solutions adaptées, synthétiques et efficaces « sans noyer leur avis dans un discours académique ». L’avocat doit dépasser son rôle consultatif pour devenir force de proposition. « Nous recherchons une véritable relation donnant-donnant de nos cabinets. Ils ne doivent pas seulement être là quand nous les appelons, mais également anticiper les sujets qui pourraient nous impacter », explique un secrétaire général. La gestion des conflits d'intérêts fait également l’objet d’attentions particulières, les clients attendant « une gestion impeccable des conflits d'intérêts » et une attribution des dossiers basée sur les compétences réelles plutôt que sur des considérations liées à des politiques internes de rémunération des associés. Les clients d’aujourd’hui ne cherchent plus simplement un prestataire juridique, mais un véritable partenaire stratégique. L’avocat moderne doit donc conjuguer excellence technique, intelligence situationnelle, réactivité et engagement personnel. Une transformation profonde du métier, où la relation humaine redevient centrale dans un monde où l’intelligence artificielle gagne du terrain. |
IA et évolution des honoraires
des cabinets d’avocats
Une révolution silencieuse est en marche sur le marché des avocats d’affaires. Alors que l’intelligence artificielle s’impose progressivement dans les cabinets pour optimiser leur productivité, une question cruciale émerge : cette transformation technologique doit-elle s’accompagner d’une évolution des honoraires ?
Les chiffres de l’enquête parlent d’eux-mêmes : 74,2 % des professionnels interrogés estiment que les cabinets utilisant l’IA doivent faire évoluer le montant de leurs honoraires. Cette majorité révèle un changement de paradigme dans la perception de la valeur ajoutée juridique.
« Le gain de temps et d’efficacité doit être répercuté au client ! » affirme sans détour l’un des répondants. Cette position reflète une attente claire : les bénéfices de l’automatisation doivent également se traduire par une optimisation des coûts pour les clients. « Leurs honoraires doivent correspondre au travail fourni, s’ils sont plus efficaces les honoraires doivent le refléter ! » souligne un autre participant.
Face à cette tendance dominante, seuls 6,5 % des professionnels ne voient pas la nécessité d’une évolution tarifaire. « Aujourd’hui je n’ai pas vu d’impact sur les honoraires, ni d’utilisation pertinente : je reste sur ma faim », confie un secrétaire général, illustrant le décalage entre promesses technologiques et réalité terrain.
Cependant, même les plus prudents anticipent une évolution à moyen terme. « À l’échelle de 4 à 5 ans, on devrait réduire la facture », nuance un répondant, suggérant que la transformation est inéluctable mais progressive.
Avec 20 % des professionnels sans avis tranché, le secteur juridique semble encore en phase d’observation. « Si l’impact reste imperceptible aujourd’hui, il devrait se concrétiser d’ici cinq ans. Les discussions tarifaires n’ont pas encore débuté », témoigne un directeur juridique, illustrant cette période de transition où les pratiques évoluent sans que les structures tarifaires aient suivi.
Outre-Atlantique, cette problématique suscite également de nombreux débats. Un article du Financial Times publié le 29 mai dernier révèle une situation paradoxale : bien que l’adoption de l’intelligence artificielle soit en cours dans les grands cabinets d’avocats à travers le monde, leurs clients ne bénéficient pas encore de réductions de coûts tangibles. Cette réalité est confirmée par un récent rapport de Brightflag, qui indique que les tarifs des conseils externes pratiqués par les 100 premiers cabinets d’avocats américains ont augmenté de 10 % en glissement annuel en 2024. Jeff Langlands, directeur juridique des divisions corporate, digital et réseaux de BT, exprime cette frustration : « Nous devons démontrer à notre directeur financier et à notre conseil d’administration que nous capitalisons sur les avantages de la technologie. L’industrie juridique est mûre pour la technologie. Alors, voyons les économies ».
Du côté des cabinets d’avocats, Kerry Westland, responsable du groupe innovation d’Addleshaw Goddard, reconnaît que « le chemin vers la création d’économies de coûts n’est pas évident ». En effet, l’accès à ces nouvelles technologies nécessite des investissements considérables. « Cela a conduit certains cabinets à discuter des façons d’incorporer les coûts dans la facturation des clients », explique-t-elle, soulignant que les économies liées aux gains d’efficacité risquent d’être neutralisées par les frais technologiques. La mesure précise des bénéfices reste également problématique. « Décomposer les économies de coûts réalisées en utilisant l’IA générative s’est avéré difficile, ajoute Kerry Westland. Jusqu’à présent, la technologie a été appliquée à des parties d’un projet, pas à l’ensemble, ce qui obscurcit où se situent les économies ».
L’intelligence artificielle redessine ainsi les contours économiques du secteur juridique. Si le consensus se dessine autour d’une nécessaire adaptation tarifaire, la temporalité de cette évolution reste floue. Entre attentes clients et investissements technologiques, les cabinets d’avocats naviguent dans une période charnière où l’intelligence artificielle pourrait bien devenir le nouveau critère de différenciation concurrentielle mais aussi l’éventuelle fin du modèle des heures facturables. « L’IA sera, sans doute également plus que toute autre technologie jusqu’à présent, celle avec le potentiel d’apporter le plus grand changement au modèle des heures facturables – très critiqué, mais apparemment indestructible » souligne Andrew Perlman, doyen de la Suffolk University Law School, dans le Financial Times.