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Sursis pour les sites pornographiques

Par Anne Portmann

L’Arcom a fait assigner les opérateurs internet français devant le président du tribunal judiciaire de Paris, aux fins de mesures de blocage des services de communication au public en ligne des sites à contenu pornographique. Le 7 juillet 2023, le tribunal judiciaire a sursis à statuer, dans l’attente de la décision du Conseil d’État sur le recours en annulation formé par les exploitants de ces sites contre le décret organisant les restrictions d’accès à ces sites. Les explications de Kami Haeri, associé du cabinet Quinn Emanuel, qui intervient dans l’intérêt des exploitants.

Dans quel contexte l’Arcom a sollicité
le blocage des sites concernés ?

Depuis juillet 2020, une nouvelle loi impose aux éditeurs de ces sites la mise en place d’un dispositif de vérification d’âge pour empêcher l’accès des mineurs, ce qui est un objectif auquel nous adhérons tous. Cette loi devait être complétée par un décret permettant à l’Arcom de définir des lignes directrices pour préciser cette obligation et de solliciter en justice le blocage de ces sites. Le gouvernement a tardé à prendre ce décret, qui n’a été publié que le 7 octobre 2021. Les éditeurs n’ont toutefois pas attendu ce décret et se sont rapprochés de l’Arcom dès septembre 2020, afin de trouver une solution permettant de protéger efficacement les mineurs et de respecter la législation sur le traitement des données personnelles et la vie privée. Malheureusement aucune suite n’a été donnée à ces démarches et l’Arcom a choisi d’adresser des mises en demeure à cinq sites, en décembre 2021, alors même qu’elle n’avait (et n’a) toujours pas publié de lignes directrices. Elle a ensuite saisi le tribunal judiciaire d’une première demande de blocage en mars 2022, puis d’une seconde en juillet 2022, faute d’avoir saisi correctement le tribunal la première fois.

Pour quelles raisons le tribunal judiciaire
a prononcé un sursis à statuer ?

Nous n’avons cessé de dénoncer depuis 2020 les lacunes considérables du cadre légal et réglementaire, les difficultés techniques et juridiques pour s’y conformer sans porter atteinte aux droits des utilisateurs adultes et l’inertie de l’Arcom à s’investir dans l’indispensable dialogue sur les dispositifs envisageables, leur fiabilité et leur conformité au RGPD. Le tribunal, dans sa décision, a pris la mesure de ces difficultés, qui sont bien plus complexes que ne le prétend l’Arcom. C’est la raison pour laquelle il a ordonné que les parties rencontrent un médiateur en septembre 2022, puis a décidé de surseoir à statuer le 7 juillet dernier, en attendant l’issue de recours formés par nos clientes en février 2022 devant le Conseil d’État. C’est donc avant tout une victoire du droit.

Quelles sont les questions qui se posent
dans le cadre de la procédure pendante
devant le Conseil d’État ?

La question est celle de la légalité du décret d’octobre 2021 qui permet à l’Arcom de saisir le tribunal judiciaire d’une demande de blocage. Nous soutenons notamment que le décret est illicite faute d’apporter les indispensables précisions sur les moyens techniques qui devraient être déployés par les éditeurs, ce qui crée une situation d’insécurité juridique, place l’Arcom en position d’agir de manière arbitraire et est incompatible avec certaines libertés et principes fondamentaux. Le gouvernement nous a, de fait, donné raison puisque sans attendre l’issue des procédures en cours, il a décidé de changer entièrement le cadre législatif avec la loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et le projet de loi pour sécuriser l’espace numérique adopté par le Sénat le 5 juillet 2023. Ces textes prévoient l’élaboration par l’Arcom d’un « référentiel » qui doit préciser les caractéristiques techniques des systèmes de vérification de l’âge, tant en termes de fiabilité que de respect de la vie privée. Mais le gouvernement vient aussi au secours de l’Arcom en se débarrassant désormais du recours au juge et en donnant à l’Arcom le pouvoir de bloquer lui-même les sites. C’est évidemment très problématique compte tenu des questions de libertés, de protection de la vie privée et de proportionnalité posées par cette affaire. En résumé le gouvernement fait voter une loi, une instance est engagée sur ce fondement, puis voyant les difficultés posées par ce dispositif dans le cadre du débat judiciaire, le gouvernement décide de faire voter une nouvelle loi sans même attendre la fin de la procédure…

Comment concilier les obligations édictées
par le RGPD avec celles du contrôle d’accès
à ce type de sites ?

C’est une problématique nouvelle et complexe. Cette conciliation est indispensable car les éditeurs de sites ne souhaitent évidemment pas que les mineurs aient accès à ces contenus. Personne ne le souhaite. Mais ils ne souhaitent pas non plus violer les droits d’utilisateurs adultes. Or, la CNIL estime qu’aucun dispositif ne permet pour l’instant de concilier efficacement ces différents intérêts et a travaillé, avec l’École Polytechnique et le pôle d’expertise de la régulation numérique, à l’élaboration d’un système fonctionnant par « double anonymat », qui pourrait permettre de concilier ces différents intérêts s’il est correctement déployé.

Quelles solutions trouver pour protéger les mineurs ?

Le déploiement systématique d’un système de contrôle parental sur les appareils permettant d’accéder aux contenus pour adultes, surtout les smartphones, est par exemple envisageable, et serait à la fois plus efficace qu’un mécanisme de vérification d’âge (car plus difficilement contournable) et plus respectueux des droits des utilisateurs, puisqu’il ne suppose pas de collecter et de traiter des données personnelles. C’est d’ailleurs le sens de la loi « Studer » du 2 mars 2022, mais dont le décret d’application n’est toujours pas publié.