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Coronavirus : comment votre cabinet s’organise-t-il ?

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Face à la crise sanitaire, les cabinets d’avocats ont dû s’organiser pour continuer à accompagner leurs clients. Mais depuis la décision de confinement de la population par le président Emmanuel Macron le 16 mars dernier, les conditions de travail sont pour le moins bouleversées. La rédaction de la LJA a donc cherché à comprendre comment les cabinets s’étaient organisés pour continuer à travailler et quel était le niveau d’activité des équipes. Vous avez été près de 200 à répondre en trois jours à notre sondage et à témoigner. Et les résultats sont inattendus, à plus d’un titre.

Janvier, février, masque, avril… L’année 2020 avait pourtant bien plutôt bien commencée pour les cabinets d’avocats après un mois de décembre compliqué et fatiguant. Et même si aujourd’hui, il y a plus d’un analyste qui affirme dans la presse quotidienne avoir anticipé depuis longtemps l’impact du Covid 19 sur l’économie mondiale, force est de constater que les cabinets d’avocats, eux, n’avaient pas prévu grand-chose. Ils ne sont que 2 % à avoir décidé de mettre en place le télétravail lors de l’apparition du virus en France, il y a un peu plus d’un mois. La quasi-majorité d’entre eux a attendu le premier discours d’Emmanuel Macron le 12 mars (50,57 %), ou même le 16 mars, jour de l’annonce du confinement total de la population (47,13 %). Et dans plus de 90 % des cas, la mise en place du travail à domicile s’est faite de manière fluide. « Il y avait déjà eu une période de test pendant les grèves du mois de décembre pendant lesquelles nous avions bien pris en main les outils informatiques, témoigne un avocat. Là, nous avons utilisé encore d’autres fonctionnalités plus utiles (notamment le partage de documents en direct). La prise en main a été un peu plus difficile mais on apprend vite avec plusieurs conférences téléphoniques par jour ».

Certaines expériences ont été plus compliquées : « Il a fallu basculer tous les dossiers du cabinet sur le cloud. Cela a pris loooongtemps », écrit un sondé.

Rappelons qu’il y a quelques jours, la rédaction de la LJA avait publié un article sur le home working des avocats1. L’enquête avait alors démontré qu’en France, le télétravail n’est pas inhérent à la culture des avocats, notamment à celles des anciennes générations qui ne sont pas familières avec le sujet. Le fait de pouvoir échanger de vive voix et de se rencontrer reste selon eux le moyen le plus efficace pour faire avancer les dossiers, les échanges entre avocats constituant un bouillon de culture productif. Sans compter que certains associés préfèrent avoir toute leur équipe sous la main, pour organiser une réunion informelle instantanément, s’ils ont une question à poser, un nouveau dossier qui arrive, ou une urgence. Mais aujourd’hui, nécessité fait loi. La généralisation du home office s’est avérée parfois totalement rocambolesque pour des associés pas totalement familiarisés avec ce type d’outils, ainsi que pour certaines assistantes. Et l’on imagine facilement les scènes inspirées du désormais fameux journaliste Robert Kelly interrompu par ses enfants lors d’une interview en direct sur la BBC, quand l’un des répondants explique avec une pointe d’ironie : « Nous découvrons les joies de la visioconférence ».

Cela pourrait être pire… on pourrait avoir une panne de wifi !

En termes d’activité, les équipes ne sont pas à l’arrêt. Celle-ci se poursuit tranquillement dans plus de 52 % des cas, notamment pour les avocats spécialisés en arbitrage international puisque les dossiers sont traités sur le long terme et qu’il est actuellement aisé d’obtenir un report d’audience. En contentieux, les cabinets sont également actifs et la majorité d’entre eux dit poursuivre son travail. Bien sûr, tout le monde attendait la promulgation du décret suspendant les délais de procédure. Mais les avocats semblent relativement confiants, ils ne sont en tout cas pas plus pessimistes que d’ordinaire. « Nous tentons d’obtenir des délais. Nous communiquons par RPVA même si nos messages ne sont pas lus. Pour les assignations, en l’absence d’huissier acceptant de délivrer, nous comptons sur les mesures du gouvernement pour une éventuelle prorogation des délais », témoigne un sondé.

En droit social et en droit fiscal, les équipes reconnaissent une baisse d’activité. Tout comme en distribution/concurrence, en IP-IT, en droit public des affaires et en immobilier. En droit bancaire et financier et en marchés de capitaux, les témoignages parlent d’une activité très ralentie. En private equity, plusieurs sondés affirment que leur activité est stoppée. Le M&A lui, semble plus partagé. Personne n’est à l’arrêt mais l’activité est à part égale ralentie ou quasiment normale. Un point commun néanmoins : l’organisation du travail est globalement souple et les réunions téléphoniques ont lieu en fonction des demandes des clients et des associés. Il est intéressant de noter que plus l’activité est ralentie, plus les associés organisent des réunions quotidiennes et à horaire fixe. Une façon de garder le lien entre les membres de l’équipe, de remotiver les collaborateurs, d’expliquer la situation et de mettre en place des plans d’actions. Avec un écueil naturel pour l’associé : celui de transmettre son stress et ses angoisses à ses équipes.

Et si les newsletters de cabinets foisonnent en ce moment pour expliquer aux clients l’impact des décrets sur leurs organisations, structures et équipes, ils ne sont pourtant que 31 % à avoir mis en place une hotline pour gérer les urgences.

Non, l’iPhone 12 ne sortira pas avant nous, c’est promis

Restons positifs, le confinement aura une fin. Malheureusement c’est sans doute à ce moment-là que les choses deviendront difficiles. Un peu plus de 35 % des sondés anticipent une reprise compliquée. Un autre tiers s’attend à un retour sur les chapeaux de roues, particulièrement en contentieux et pénal des affaires, tout comme en droit social et en restructuring. Mais près de 30 % des sondés prévoient une rentrée en douceur, notamment en corporate/droit des affaires et en fiscal. Le temps de se réorganiser pour pouvoir mieux redémarrer ?

Une chose est sûre : personne n’en sortira indemne. Une grande majorité des sondés s’attendent à un impact important sur leur cabinet. Ils sont même près de 30 % à penser que la crise actuelle pourrait engendrer des réductions de personnels. Plus de 80 % estiment qu’elle aura un impact sur les bonus et les augmentations dans le cabinet. Et plus de 90 % considèrent que certaines structures ne s’en remettront pas.

Mais cette crise pourrait aussi être l’occasion de prendre un nouveau tournant pour la profession d’avocat d’affaires, de s’organiser autrement, de plus partager, de prendre le temps pour mieux réfléchir, de faire plus attention à l’autre, à son bien-être et à sa santé. Nous sommes en route vers un monde nouveau.

Prenez soin de vous. Restez chez vous.