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Semaine du handicap : une autre façon de performer

Par Laura Dray

L’inclusion sociale dans les métiers du droit, et tout particulièrement au sein des cabinets d’avocats, occupe désormais une place centrale dans les discours institutionnels. Pourtant, le handicap demeure un sujet encore méconnu, souvent peu visible. Malgré un cadre législatif ambitieux visant à garantir l’égalité des droits et des chances, un fossé persiste entre l’intention de la loi du 11 février 2005 et la réalité du terrain. À l’occasion de la semaine du handicap, la LJA s’est penchée sur l’intégration des personnes en situation de handicap au sein des cabinets de la place parisienne.

Handicap et performance : deux notions que l’on imagine souvent incompatibles. Pourtant, la profession d’avocat tente de prouver le contraire. Les institutions professionnelles, notamment le Conseil national des barreaux (CNB) et les barreaux locaux, instaurent un cadre en multipliant plans d’action, recommandations et outils opérationnels.

Désormais, tous les employeurs, publics ou privés, de plus de 20 personnes, ont l’obligation d’employer 6 % au moins de personnes en situation de handicap. En cas de non-respect de cette obligation, des sanctions financières peuvent s’appliquer pour les employeurs. Dans les cabinets d’avocats, rares sont ceux qui dépassent la limite des 20 salariés. Pour certains, les personnes en situation de handicap répondent simplement à des quotas.

Fort heureusement, des figures inspirantes contribuent néanmoins à faire évoluer la profession et des initiatives concrètes émergent en France. Virginie Delalande, première avocate sourde de naissance, devenue coach, conférencière internationale et femme Forbes 2020, porte haut les couleurs de l’inclusion. Elle anime aujourd’hui l’émission « La santé, c’est mon droit ». Interrogée sur le sujet, elle explique : « une société se juge à son droit… et son droit se juge à sa manière d’inclure ». Autre personnalité marquante : Matthieu Juglar aveugle de naissance, ténor du barreau et ancien secrétaire de la Conférence du barreau de Paris. Sans oublier bien sûr l’athlète paralympique Gaël Rivière, avocat chez Bredin Prat.

Des modèles, mais encore une méconnaissance profonde

Stéphane Baller, fondateur de l’association Droit comme un H ! qui accompagne les étudiants en droit en situation de handicap et les aide dans leur insertion professionnelle, observe que les cabinets anglo-saxons peuvent paraître en avance sur les sujets d’inclusion. « La mentalité américaine était, jusqu’à un passé récent, plus lisse, plus politiquement correcte ». Il constate cependant un obstacle majeur : la méconnaissance du handicap. « On construit un monde meilleur… mais parfois sans les handicapés », résume-t-il pour décrire l’écart entre discours et réalité. Il rappelle que « 80 % des handicaps sont invisibles » et insiste : l’essentiel, pour lui, ne se limite pas aux aménagements matériels. « Un fauteuil roulant dans un cabinet d’affaires, ce n’est pas un problème. Le vrai sujet, c’est l’adaptation managériale ». Droit comme un H ! accompagne donc les cabinets sur les enjeux d’inclusion et d’égalité des chances : management adapté, obligations légales, sensibilisation auprès des directions juridiques, des universités, des écoles d’avocats, des barreaux ou du CNB. « On aide les cabinets et directions juridiques de bonne volonté à être plus familiers avec le handicap. En échange, on observe que souvent ils gagnent en qualité de management ».

Quelques cabinets américains témoignent de politiques volontaristes et de mesures d’accompagnement exemplaires. La managing partner, Natasha Tardif du cabinet Reed Smith, revient sur l’intégration d’Alexis, un jeune homme présentant des troubles du spectre de l’autisme : « à ses débuts, Alexis est arrivé en tant que stagiaire et venait accompagné d’une aide. Nous lui avons proposé un poste permanent en 2019 et il est depuis beaucoup plus autonome et n’a plus besoin de son aide permanente au bureau. C’est une belle preuve de réussite. Il fait intégralement partie de l’équipe », confie-t-elle. Ce recrutement a été possible par le rapprochement avec l’association Tournesol Parcours Pro. Une belle collaboration qui a d’ailleurs été reconnue par le prix Opéra 2022 dans la catégorie RSE. De même, le programme Legal à Egal chez A&O Shearman qui facilite l’intégration des handicapés dans des stages au sein de la direction juridique d’une des entreprises partenaires ou auprès de la firme.

Quelques cabinets français se démarquent également comme CMS Francis Lefebvre Avocats ou encore Bredin Prat.

Le retour d’expérience d’un avocat

L’un des avocats du bureau parisien de Willkie Farr & Gallagher témoigne de sa situation. Il explique ainsi : «Toutes les stratégies ont été mises en œuvre très rapidement par le cabinet, de manière spontanée et à l’initiative de l’équipe ». Un bureau réglable, des logiciels adaptés, une configuration centralisée évitant les reparamétrages incessants : autant d’aménagements simples, mais déterminants. Abordé de cette manière, le handicap cesse d’être perçu comme une limite et devient un levier alternatif d’excellence. Cet avocat a appris à compenser son handicap visuel par l’écoute, qui s’avère indispensable dans sa discipline. Il précise : « Sans un sens très développé de l’écoute, il est facile de passer à côté de nombreux éléments. Dans les négociations, dans les conflits familiaux des grandes entreprises, dans les enjeux psychologiques… l’oralité, pour moi, est fondamentale ». Sa capacité à percevoir les non-dits, les tensions et les signaux faibles nourrit aujourd’hui une performance différente, mais pleinement opérationnelle. Il ajoute : « Je suis extrêmement attentif aux autres, notamment dans mon domaine d’expertise. Cela fait partie intégrante de la performance, même si ce n’est pas celle qui est habituellement mesurée ».

Le métier d’avocat, exigeant, n’est en rien incompatible avec la diversité des profils. L’enjeu n’est plus de savoir si les personnes en situation de handicap peuvent être performantes, elles le sont indubitablement. L’enjeu est désormais de faire évoluer le regard de la profession, de reconnaître et de valoriser d’autres façons d’exceller.