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Sapin 2, toujours plus loin…

Par Jeanne Disset

Les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix ont conduit la mission d’information de la commission des lois sur la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », et ils ont rendu leur rapport le 7 juillet. Revue de détails.

L’évaluation a duré cinq mois pendant lesquels les rapporteurs ont échangé avec l’ensemble des acteurs intéressés (politiques, administratifs, économiques, ONG, professionnels du droit, universitaires) à travers 49 auditions et 8 tables rondes. Ils le reconnaissent bien volontiers : « La loi Sapin 2 a permis plusieurs avancées, à travers la création de l’Agence française anticorruption (AFA) et d’une obligation générale de prévention de la corruption à l’attention des personnes morales, l’introduction dans notre droit d’un dispositif de transaction pénale ouvert aux personnes morales, l’institution d’un statut de lanceur d’alerte et l’encadrement de l’activité des représentants d’intérêts ». Satisfecit ! Rapidement mise en œuvre, et plutôt bien intégrée par les entreprises, la loi a porté ses fruits. Mais si, avec cette loi Sapin 2, la France a rattrapé son retard, elle stagne aujourd’hui. Pour y remédier, « ils formulent 50 propositions pour donner un nouveau souffle à la politique de lutte contre la corruption en France ». Parmi elles, 14 concernent le dispositif de prévention et de détection de la corruption et l’action de l’AFA, 15 portent sur la CJIP, 11 sur le lanceur d’alerte, 10 sur le registre des représentants d’intérêts. L’anticorruption reste donc au cœur du dispositif.

Nombre de propositions entrent en résonance avec l’étude récente du Conseil d’État sur les pouvoirs de contrôle et d’enquête de l’administration vis-à-vis des entreprises et des citoyens, qui préconise une meilleure transparence de l’administration sur la réalisation et les résultats des contrôles, ainsi que la nécessité d’une vision globale et d’une harmonisation des pratiques.

Clarifier l’organisation institutionnelle de la politique de lutte contre la corruption

Les propositions des rapporteurs visent à combler les lacunes du système existant et à le renforcer en l’étendant, ou en le rationnalisant. Parmi les insuffisances, le manque de dispositif spécifique pour les acteurs publics. L’AFA a bien tenté de leur adapter les règles destinées aux acteurs économiques, mais ce n’est pas suffisant : il faut « créer des obligations de conformité adaptées aux administrations » (n° 12). La portée extraterritoriale de la loi doit également être renforcée (n° 14 notamment). Le dispositif doit être étendu aux filiales des groupes étrangers, dès lors que ceux-ci atteignent les seuils (n° 1). Des propositions incitent aussi à des contrôles plus ciblés, plus restreints, plus concentrés (n° 5, 6…), ou encore prévoient une injonction de mise en conformité avant la saisine de la commission des sanctions (n° 2).

La nature institutionnelle hybride de l’AFA est également dénoncée : coordination, prévention, conseil, contrôle, trop pour un seul organisme ! Les rapporteurs proposent de séparer les missions à assurer par un service à disposition du gouvernement de celles qui sont naturellement du ressort d’une entité indépendante. L’AFA devrait ainsi se recentrer sur son rôle de conseil par la valorisation de bonnes pratiques (n° 7) et de coordination administrative et d’appui à la programmation stratégique, ce qui permettrait d’« adopter un nouveau plan national pluriannuel de lutte contre la corruption plus ambitieux, détaillé et transparent » (n° 8). En outre, un transfert à la HATVP des fonctions de conseil et de contrôle devrait être réalisé, afin de créer « une grande autorité administrative indépendante compétente en matière de probité » (n° 11).

Favoriser le recours à la convention judiciaire d’intérêt public

« La CJIP constitue un indéniable succès », est-il précisé dans l’étude. Utile et efficace, les rapporteurs souhaitent finalement non pas tant l’améliorer que l’amplifier et résoudre certains problèmes soulevés par la pratique. Ainsi, ils proposent de l’étendre au délit de favoritisme (n° 15), de prolonger la durée de monitoring et, surtout, de rendre plus lisibles les conditions où la CJIP s’applique et comment. Ou, encore mieux, d’associer la personne morale lors de la négociation de la CJIP, notamment en protégeant davantage les informations transmises lors de la négociation (n° 23) et en garantissant son accès au dossier en enquête préliminaire dès que le parquet envisage un règlement par la CJIP (n° 24). Différentes propositions se réfèrent à la nécessité d’encourager très nettement la révélation spontanée de faits de corruption (n° 20 à 25).

Par ailleurs, « la situation des personnes physiques impliquées dans les faits de corruption reste délicate ». C’est le moins que l’on puisse dire… Des situations comme celle de Frédéric Pierucci, ou la récente affaire de la CJIP Bolloré, ne sont qu’une partie visible, car médiatisée, de ce problème. Les procédures contre ces personnes physiques doivent faire l’objet d’un meilleur encadrement. Notamment avec une CRPC spécifique, mais « qui ne pourrait être proposée qu’en cas de révélation spontanée des faits et de pleine coopération de la personne physique aux investigations » avec des modalités d’homologation plus encadrées (n° 26).

Enfin, « si le recours aux enquêtes internes est encouragé par le texte, qui promeut la coopération de la personne morale, ces enquêtes devraient être mieux encadrées. » (n° 27). Mais les rapporteurs soulignent que, plus d’enquêtes internes, et leur relative privatisation, nécessitent plus de secret et d’indépendance. La confidentialité des avis juridiques est une fois de plus sur la table (n° 28), ainsi que l’indépendance de l’enquêteur interne (n° 29).

Pour le lanceur d’alerte, les propositions viennent en soutien de la transposition de la directive européenne du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d’alerte. Toutes les propositions visent à renforcer leur protection et la qualité du traitement des signalements. Enfin, les dernières recommandations portent sur le registre des représentants d’intérêts pour en faire un moyen de « restituer l’empreinte normative »

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