Saisies pénales : un risque difficile à anticiper pour l’entreprise
Avec 7 314 biens meubles vendus en 2024 pour un montant de 17,1 M€ l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) communique volontiers sur les ventes aux enchères d’objets de luxe récupérés dans le cadre d’enquêtes liées au narcotrafic. Mais ce n’est qu’une partie des activités de l’Agence qui procède aussi à des saisies et confiscation d’immeubles et de comptes bancaires. La LJA a rencontré l’avocat parisien Matthieu Hy, spécialiste de ces questions. Interview.
Pourquoi existe-t-il une procédure propre aux saisies pénales ?
Avant la loi Warsmann, il n’existait presque aucun dispositif spécifique pour saisir certains biens en matière pénale. Pour les biens immobiliers par exemple, cela supposait de respecter les règles des procédures civiles d’exécution qui étaient, il faut bien le dire, très mal connues du juge pénal. La loi du 9 juillet 2010 a créé une procédure purement pénale, qui permet de saisir et de confisquer de manière plus simple les biens des mis en cause. Ainsi, en 2024, 1,35 Md€ ont été saisis au cours de procédures pénales. Cela a également été une révolution pour les enquêteurs qui sont désormais contraints d’inclure dans leur dossier une cote « patrimoine », avec des investigations très poussées. C’est un véritable changement de paradigme.
Les saisies pénales sont désormais entrées dans
les mœurs judiciaires, mais à quoi faut-il être vigilant ?
L’Agrasc communique beaucoup sur les ventes d’objets de prestige saisis dans le cadre d’enquêtes liées à la criminalité organisée pour indemniser les victimes ou pour des délits importants, comme les dossiers de biens mal acquis. Mais il ne faut pas oublier les délits plus ordinaires, qui peuvent donner lieu à des saisies très tôt, dès le stade de l’enquête et avant même une garde à vue ou une mise en examen. C’est le cas des saisies immobilières et des saisies de comptes bancaires, qui peuvent, même pour ces dernières, être effectuées par un OPJ, avec un juge qui rend une ordonnance de maintien après coup. C’est donc très inattendu et d’ailleurs, c’est souvent en raison d’une saisie pénale que les personnes apprennent qu’elles sont l’objet d’une enquête. Lorsque cela arrive, les personnes visées ont évidemment la possibilité de faire un recours. Mais il convient d’être attentif, car la procédure est particulière. Par exemple, certains délais démarrent à compter de la date d’envoi de l’ordonnance de saisie pénale, d’autres sont très courts. Il faut faire attention aux délais d’audiencement des appels également, car, s’ils sont de quelques mois en province, ils peuvent être de trois ans à Paris, ce qui est assez incompatible avec la vie des affaires et nécessite de réfléchir à des stratégies alternatives.
Comment doit réagir une entreprise confrontée
à une saisie pénale ?
Il ne faut surtout pas céder à la panique, qui pourrait faire courir le risque de commettre des infractions. Une entreprise qui voit ses comptes bloqués pourrait en effet être tentée de recourir à des solutions juridiquement risquées pour payer ses salariés et ses fournisseurs ou éviter de nouvelles saisies. Elle doit cependant se rassurer : les magistrats qui pratiquent ces saisies sont en général attentifs aux conséquences sur la vie de l’entreprise et son fonctionnement au quotidien et ne vont pas bloquer des comptes à la légère.
Néanmoins se posent régulièrement des questions auxquelles il n’existe pas de solutions toutes faites, et la réglementation tâtonne encore. La question du sort des intérêts des sommes saisies lors de leur restitution par l’Agrasc demeure juridiquement nébuleuse. Des incertitudes ont également vu le jour sur les crypto-monnaies, qui peuvent se déprécier fortement pendant une saisie. La solution proposée par l’Agrasc est de vendre immédiatement ces crypto-actifs pour éviter que la responsabilité de l’État ne soit engagée.
Quels conseils pouvez-vous donner
aux chefs d’entreprise ?
Ils doivent tout d’abord avoir conscience qu’une saisie pénale peut provenir de canaux multiples : un contrôle de l’Urssaf, du Fisc, de la DIRECCTE, pour soupçons de travail dissimulé, de fraude fiscale ou de pratiques commerciales trompeuses. Les plus redoutables et les plus inattendues sont sans doute celles en provenance de Tracfin, qui cible les transactions suspectes et passe le relais au Parquet au moindre doute, sans qu’il n’y ait une enquête véritablement aboutie. Cela peut avoir pour résultat de renverser la charge de la preuve et de contraindre l’entreprise à se justifier alors que l’autorité judiciaire ne sait pas précisément quelle infraction lui reprocher. Ce risque est à prendre très au sérieux et, en cas de procédure administrative, il faut donc agir très vite, en contestant ou en proposant un règlement amiable pour que le dossier ne dérive pas au pénal. Ces procédures offrent beaucoup de recours, et, paradoxalement, les chances de restitution augmentent au fur et à mesure qu’avance la procédure. Il y a d’ailleurs plus de restitutions que de confiscations, en particulier concernant les biens qui appartiennent à des entreprises. Il existe par ailleurs des stratégies pour limiter les risques de nouvelles saisies, comme procéder à des restructurations pour écarter un dirigeant qui serait problématique. L’entreprise doit donc dédramatiser. Une saisie immobilière n’empêche pas d’occuper les lieux et les collaborateurs ne vont pas trouver porte close du jour au lendemain. De même la saisie bancaire ne provoque pas automatiquement la fin des concours bancaires, la fermeture des comptes peut émaner de la banque mais pas de l’Autorité judiciaire. Par ailleurs, si l’entreprise saisie reconstitue sa trésorerie, il n’y aura pas automatiquement de nouvelle saisie.
Le problème essentiel est de concilier le temps de l’entreprise avec celui de la procédure pénale, tout en restant conscient que les restitutions totales ou partielles peuvent intervenir à n’importe quel moment de la procédure.