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Retour sur les tendances mondiales en matière de fiscalité transactionnelle

Par Aurélia Granel

Le rapport M&A Taxand offre une vision comparative des principales caractéristiques fiscales concernant les entreprises dans plus de quarante pays, avec un focus sur les aspects déterminants à avoir en tête dans le cadre d’un projet d’acquisition. Décryptage de Frédéric Teper, associé d’Arsene.

En quoi le rapport M&A de Taxand est-il pertinent ?

Sans prétendre à l’exhaustivité, ce rapport constitue un guide maniable permettant aux acteurs du M&A, à l’achat comme à la vente, d’identifier les enjeux et de s’orienter en amont de toute demande de conseil spécialisé en fiscalité. Le rapport traite notamment des avantages et des inconvénients résultant d’une acquisition de titres de sociétés versus une acquisition directe d’actifs, du type de structures juridiques particulières à chaque pays, des modalités de financement et des règles de limitation des charges financières, du traitement des frais d’acquisition, des possibilités de constitution de groupes fiscaux dans chacun des pays ou des modalités de réorganisations post-acquisitions, sans oublier la constitution de joint-ventures et les situations d’échanges de titres… Il apporte également des informations sur les retenues à la source pouvant affecter les flux de type dividendes, intérêts, royalties dans un contexte international. Il propose enfin des listes de questions clés à poser dans le cadre de due diligences fiscales.

Quels sont les grands enseignements de ce guide ?

Il existe des tendances mondiales en matière de resserrement des taux d’impôt sur les sociétés nominaux, la France se situant légèrement au-dessus de la moyenne OCDE avec un taux de 25 % à compter de 2022. Cette tendance n’a pas encore été remise en cause par la crise sanitaire liée au Covid-19, les États ayant en règle générale choisi de soutenir les entreprises pendant cette période difficile. Néanmoins, la quasi-totalité des États ont mis en place des règles complexes, dans le sillage des recommandations des rapports BEPS de 2015, en matière de limitation de la déduction des charges financières, ce qui est évidemment un aspect important à considérer dans le cadre du financement d’une acquisition. Il existe en effet un consensus sur une limitation de la déduction des charges financières nettes au-delà de 30 % de l’Ebitda ou de l’Ebit fiscal, qui est commun dans les principes aux États de l’Union européenne et aux États-Unis d’Amérique. Dans le même esprit, des règles en vue d’éviter des optimisations internationales jouant sur des différences de qualification de revenus ou d’entités (règles anti-hybrides) ont été mises en place dans de nombreux États depuis quelques années. D’autres points d’attention existent : à titre d’exemple, lors de l’acquisition directe ou indirecte de sociétés à prépondérance immobilière pouvant entraîner des charges fiscales additionnelles, ou encore, lorsque la législation d’un pays considère qu’une acquisition entraîne la perte des déficits reportables de la société acquise… Pour ce qui est des réorganisations post-acquisition, certains pays, comme les États-Unis, acceptent l’absorption du véhicule d’acquisition par la société cible, ce qui permet dans le cadre d’un share deal, de rapprocher la dette d’acquisition des actifs sous-jacents. D’autres États, comme la France, s’opposent de manière générale à une fusion rapide entre le véhicule d’acquisition et la cible. Cependant, l’intégration fiscale permet, en France, au moins la compensation des charges d’acquisition déductibles avec les produits imposables de la cible, du moins lorsque cette dernière est établie dans le pays de l’entité qui réalise l’acquisition.

Existe-t-il d’autres dispositions en matière de fiscalité internationale susceptibles d’affecter le M&A ?

Dans un contexte de guerre économique, les États oscillent entre la mise en place de dispositifs incitatifs pour attirer les entreprises sur leur territoire (exemple de l’Irlande) ou, au contraire, la mise en place de mesures d’élargissement de la base imposable. Les deux méthodes peuvent avoir pour effet d’augmenter les recettes fiscales. Néanmoins, la tendance est plutôt à la multiplication des dispositions anti-abus. Les États-Unis ont montré la voie en instituant des dispositifs anti-érosion fiscale, qui visent à rapatrier de la base fiscale sur leur territoire. Parmi ceux-ci, la base erosion anti-abuse tax (BEAT), vise à limiter la déduction de paiements internationaux intra-groupe tels que des charges financières ou des licences d’incorporels payées à des sociétés non américaines faisant partie d’un même groupe. De même, le dispositif sur le global intangible low-taxed income (GILTI) vise à soumettre à l’impôt sur les sociétés américain des profits réalisées à l’étranger qui sont considérés comme insuffisamment taxés dans le pays où ils sont réalisés. Ces dispositifs sont bien entendu des sources d’inspiration pour les discussions internationales relatives au pilier 2 et à la mise en place d’un taux minimal d’imposition.

Quels sont les autres projets au niveau européen ?

Après Atad 1 et Atad 2, d’autres projets, au niveau de l’Union européenne, sont susceptibles d’affecter la structuration des acquisitions. Le premier (projet de directive Atad 3) a pour objectif de lutter contre les sociétés-écrans et porte sur les critères de substance des holdings. Devraient notamment entrer dans le champ de la directive, les sociétés qui cumulent les deux critères suivants : 75 % de leurs revenus sont passifs (dividendes, intérêts, etc.) et, pendant au moins deux ans, 60 % de leurs revenus sont de source étrangère ou 60 % de la valeur comptable de leurs actifs est située hors du pays de résidence de la société holding. Compte tenu de ces critères, un certain nombre de véhicules mis en place dans le cadre d’acquisitions de groupes multi-pays devraient entrer dans le champ d’application de la directive. Le second projet est la proposition de directive Debra (Debt Equity Bias Reduction Allowance). Son but est de favoriser les financements en fonds propres plutôt que par endettement. Pour y parvenir, la proposition suggère deux mesures. D’une part, la mise en place d’un intérêt notionnel, déductible pendant 10 ans, appliqué chaque année à la variation positive des capitaux propres. Cette première mesure s’inspire du dispositif existant déjà en Belgique ou au Portugal par exemple. La deuxième mesure consisterait d’autre part à instituer un nouveau « rabot » en plafonnant la déduction des charges financière à 85 % des charges financières nettes. Il convient donc de rester attentif à l’ensemble de ces évolutions.