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Repenser la justice économique

L’AFJE, Paris place de droit et le Cercle Montesquieu ont organisé, le 12 septembre dernier, à Sciences Po, un colloque qui revenait sur les recommandations du groupe de travail « Justice économique et sociale », constitué dans le cadre des États Généraux de la Justice. Devant les principaux acteurs du secteur, les intervenants ont débattu de la manière de mettre en oeuvre efficacement les recommandations formulées dans le rapport.

C’est un débat de passionnés qui a eu lieu à Sciences Po, la semaine dernière, sur la justice économique. Le professeur Christophe Jamin, membre du groupe de travail, s’est d’abord interrogé sur les conditions de production d’une justice adaptée aux besoins des entreprises. Elle comporte deux facettes : d’une part, le règlement des litiges et, d’autre part, la construction de la norme. S’agissant du premier aspect, celui du règlement des litiges, le professeur Jamin considère qu’il faudrait, en quelque sorte, renverser le système actuel. Car selon lui, « Les entreprises s’engagent devant les tribunaux consulaires en sachant qu’elles iront s’adresser aux instances supérieures ». Son explication : la production judiciaire n’est pas d’excellente qualité. Dès lors, première instance et appel sont débordés et la « thrombose » atteint aujourd’hui la Cour de cassation. Cette dernière, par la force des choses, s’est transformée en organe de « contrôle qualité » de la production judiciaire. Et si c’est au sein de la Haute juridiction que l’on trouve les magistrats les plus compétents et les plus expérimentés, il faudrait changer cette architecture et « mettre le paquet sur la première instance » explique-t-il, en donnant aux tribunaux de commerce des moyens matériels et humains. Le rapport pointe en outre le délaissement de la matière civile et commerciale, au profit du pénal, plus prestigieux. Il plaide pour la restauration de la filière civile et commerciale en première instance pour décharger les cours d’appel. « Ce renforcement du rôle du TC plaît aux entreprises », indique Carole Genneteau, membre du Cercle Montesquieu et deputy general counsel de beIN Media Group, qui a animé ce débat.

Reconnaissance, autonomie et financement

Le président du tribunal de commerce de Paris, Paul-Louis Netter approuve l’idée d’extension de la compétence des tribunaux de commerce, qui deviendraient, selon les préconisations du rapport, des tribunaux des affaires économiques, chargés des procédures collectives relatives aux professions agricoles, aux professions libérales, aux mutuelles et aux associations. Il voit dans cette extension une reconnaissance du rôle des tribunaux de commerce, qui perdraient ainsi leur qualification de juridiction d’exception, mais aussi une certaine forme de logique, celle de la prise en compte de la nature économique du litige, bien comprise par toutes les parties. Le président Netter insiste également sur le financement de cette justice économique, contrepartie de l’autonomie de la juridiction et de la responsabilisation des acteurs. « Nous ne pouvons pas penser la justice économique sans son financement », a-t-il lancé. Jean-Denis Combrexelle, président du groupe de travail, observe quant à lui que la modicité du recours à la justice commerciale française induit, vis-à-vis des acteurs étrangers, l’idée absence de sérieux. Selon lui le financement garantit la rapidité de la justice économique, qui est une condition de la sécurité juridique. Et de lancer, sous forme de boutade : « C’est comme chez le psy, si c’est gratuit, ça ne règle rien ! ». Autour de la table, les intervenants approuvent la proposition du rapport qui se prononce en faveur d’un droit de timbre modulable en fonction de la nature du litige. La question du financement pourra permettre aux juridictions économiques d’avoir un budget propre, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le président Netter souligne que les autorités de régulation, en sont, elles, dotées. L’avocat Olivier Fréget regrette d’ailleurs que la question des autorités de régulation, devenues actrices essentielles de la justice économique en France, n’ait pas pu être abordée dans le rapport, faute de temps. « Il sera nécessaire d’examiner comment la justice économique est produite par les autorités de régulation », pense-t-il.

Pas d’échevinage, mais un dialogue

Jean-Denis Combrexelle a, quant lui, souhaité dissiper un malentendu persistant. Un article du Monde, paru en août 2022, indiquait qu’une note interne de la Conférence des juges consulaires de France avait vivement critiqué le rapport, déplorant sa tonalité et une forme de manque de confiance dans les juridictions commerciales. Mais, contrairement à ce qui a été écrit, indique-t-il, il ne s’agit pas d’une insulte aux tribunaux de commerce. « C’est un acte profond de confiance visà- vis de la justice commerciale », insiste-t-il. Le rapport préconise la présence de magistrats professionnels aux côtés des juges consulaires et ce point a été contesté. Le président du groupe de travail dément toute velléité de contrôle : « Il s’agit de faciliter le dialogue entre magistrats, non du faux-nez de l’échevinage ». Une autre forme inédite de collaboration, pour permettre aux magistrats de carrière d’être au plus près de la pratique. Il s’agit d’un parcours pour faire mieux connaître le monde de l’entreprise aux magistrats, dans l’intention de la création d’une filière civile au sein de la magistrature. « Ces magistrats auront une expérience de terrain dans les chambres civiles des cours d’appel, annonce-t-il. L’idée n’est pas de fliquer les tribunaux de commerce, comme je l’ai parfois entendu ». Le rapport suggère de mener une expérimentation en ce sens auprès de six tribunaux de commerce, deux de petites tailles, deux moyens et deux plus importants. « Les tribunaux de commerce sont sans doute les juridictions les plus aptes à accueillir des réformes innovantes », a-t-il conclu.