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Renforcer l’attractivité juridique de Paris

Par Anne Portmann

Le vendredi 16 décembre 2022, la CCI de Paris a accueilli la première édition du Forum « La place juridique de Paris », organisé en partenariat avec l’association Paris, place de droit. À cette occasion, 20 propositions ont été présentées pour améliorer l’attractivité de la place.

C’est une matinée riche en réflexions qui s’est déroulée dans les salons feutrés de la CCI. Après les mots d’accueil de Dominique Restino, Noëlle Lenoir a présenté son ouvrage, paru aux Éditions Larcier, qui réunit les contributions de certains intervenants à l’évènement et déroule les propositions avancées pour favoriser la place parisienne sur le plan juridique. Car si aux États-Unis, il est de longue date intériorisé que le droit est un facteur d’attractivité économique, de même qu’en Allemagne, où le poids financier des brevets ne se dément pas, tel n’est pas le cas en France. La capitale a pourtant pour elle une longue tradition de lieu privilégié de résolution des litiges, puisqu’elle abrite le siège de la chambre internationale d’arbitrage et bientôt siège de la JUB. Mais alors que la norme française a perdu de son influence, il faut redonner à la capitale les moyens de reprendre cette place de premier plan.

Un enjeu stratégique national

Jean-Denis Combrexelle, directeur de cabinet du garde des Sceaux a souligné l’importance de bâtir une stratégie de place. « Désormais, les systèmes juridiques sont en situation de concurrence ou de compétition et la force économique d’un pays est liée à la capacité d’attraction de son droit. Cette question est trop importante pour qu’on la laisse aux seuls juristes ». Il est convaincu qu’en dépit du Brexit, Paris doit continuer à se battre pour assurer sa position de place juridique et en appelle également aux entreprises et aux avocats, qui doivent oeuvrer aux côtés de l’État, car eux aussi contribuent à la complexité du droit. Lors d’une première table ronde, les intervenants ont détaillé les garanties apportées par le droit français aux entreprises. Pour Arthur Dethomas, associé de Hogan Lovells, notre système juridique est fiable en termes de compétence, mais l’est beaucoup moins au niveau de la prévisibilité, compte tenu des délais d’intervention des décisions juridictionnelles. Éric Russo, ancien magistrat au PNF et associé de Quinn Emanuel, souligne qu’un écosystème complet doit être mis en place, auquel s’ajouteront des outils de procédure qui protègent les entreprises françaises des intrusions étrangères. Gwenola Joly-Coz, présidente de la cour d’appel de Poitiers, ajoute que cet écosystème doit inclure les juridictions qui interagissent avec les avocats et les parties. Les magistrats ont à prendre conscience, selon elle, de ce que leur jurisprudence s’exporte et ils doivent employer un langage clair et lisible.

Les atouts de la France

Lors d’une seconde table ronde, le débat a été de savoir si la France pouvait reprendre l’avantage sur le droit anglo-saxon. Le professeur Dupichot a d’abord rappelé que 25 % de la population mondiale vivait dans un pays relevant de la civil law et seulement 7 % dans un pays de common law, l’essentiel du régime juridique étant constitué d’un mélange des deux. Selon lui, ce qui fait le succès d’un système juridique, ce ne sont pas ses qualités propres, mais le fait que l’État qui le diffuse soit puissant (économiquement, militairement, culturellement, etc.). Le professeur Catherine Kessedjian a ainsi rappelé qu’à la chute du mur de Berlin, ce sont les cabinets américains qui sont venus dans les pays d’Europe de l’Est, traditionnellement de civil law. Jacques Bouyssou, avocat à Paris, souligne que les questions d’attractivité du droit sont en réalité culturelles et que les valeurs portées par un pays doivent s’exprimer dans son droit. Dans la salle, un participant a d’ailleurs déploré le manque de culture juridique des dirigeants d’entreprise français, en appelant à intégrer davantage l’enseignement du droit dans leur formation. « Le juridique dans l’entreprise, ce n’est que 10 % de contentieux et 90 % de négociation, il ne faut pas croire l’image que donne le monde anglo-saxon de la matière juridique », a-t-il été lancé. Pour finir, Rémi Decout-Paolini, directeur des affaires civiles et du Sceau, a déroulé les 20 propositions faites pour renforcer l’attractivité du droit français. Certaines d’entre elles ont été prises en compte dans le cadre des mesures qui ont été annoncées, le 5 janvier 2023, par le garde des Sceaux à la suite des États généraux de la justice. « La force économique d’un pays, son emploi, sa capacité d’attirer les meilleurs et donc sa capacité d’innover sont liés à des questions d’attractivité du droit », a annoncé Eric Dupond-Moretti. ■ Anne Portmann

Les 20 propositions

1. Promouvoir la rédaction de contratscadres en droit français, sur le modèle du contrat de la FBF ou de l’Isda dans les domaines autres que financier

2. Publier les sentences arbitrales en matière commerciale

3. Sécuriser les sentences arbitrales en encadrant la recevabilité des recours en annulation

4. Faire ratifier par l’UE la convention de Singapour en matière de médiation

5. Étendre le champ de la CJIP à d’autres infractions économiques et financières que la corruption ou le trafic d’influence

6. Donner des garanties procédurales aux entreprises qui s’engagent dans une démarche de pleine coopération avec le PNF afin d’aboutir à une CJIP

7. Limiter la possibilité de poursuites pénales ou civiles à l’encontre des personnes physiques en cas de CJIP, lorsqu’il n’y a pas eu d’enrichissement personnel

8. Prévoir systématiquement un calendrier de procédures et rendre l’amende civile pour manoeuvre dilatoire dissuasive

9. Uniformiser aux niveaux de la France et de l’UE les règles relatives à l’action civile des associations

10. Encadrer le référé-liberté pour éviter le blocage abusif de l’action des pouvoirs publics

11. Renforcer l’appui aux entreprises confrontées à des demandes de discovery ou de pre-trial discovery

12. Appliquer les sanctions de la loi du 26 juillet 1968 en cas de transmission d’informations portant sur des enjeux de souveraineté

13. Permettre aux juges de subordonner la transmission des preuves à l’étranger au paiement, par le demandeur, de tout ou partie des frais exposés par la collecte et le transfert de ces preuves

14. Prévoir une possibilité de taxation des justiciables dans le cadre des contentieux commerciaux

15. Promouvoir la justice économique en valorisant notamment les chambres commerciales du TC et de la CA de Paris 16. Promouvoir la valorisation de l’expertise au contentieux

17. Reconnaître un privilège légal sur les avis des juristes d’entreprises

18. Instituer un diplôme de l’ENM pour les magistrats à titre étranger

19. Créer une direction du droit économique distincte de la direction des affaires civiles et du Sceau

20. Promouvoir l’adoption rapide d’un code européen des affaires