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RCC et PSE: le Conseil d’État affine ses positions

Il y a dix ans, le législateur a confié au juge administratif l’examen des contentieux portant sur la validation ou l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) par les Direccte, aujourd’hui les Dreets (Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités). Dans quatre arrêts rendus le 21 mars 2023, le Conseil d’État a affiné sa jurisprudence en ce domaine et posé des premiers jalons sur les ruptures conventionnelles collectives (RCC). Des décisions saluées par la doctrine. Explications de Jean-Marc Albiol et Stéphane Bloch, associés d’Ogletree Deakins, cabinet dédié au droit social.

Le Conseil d’État a rendu, le 21 mars 2023, deux arrêts sur la RCC dont celui portant sur la fermeture d’un site de production de l’imprimeur Paragon. En quoi méritet- il l’attention des entreprises ?

Stéphane Bloch : Je rappelle que la RCC a été introduite par l’une des ordonnances Macron de 2017. Ce dispositif s’inspire des plans de départ volontaire (PDV), qui n’ont pas disparu, et permet des ruptures collectives des contrats de travail sans justification d’un motif économique, contrairement au plan de sauvegarde de l’emploi. Dans les faits, la RCC a eu moins de succès que la rupture conventionnelle individuelle mais elle ne vise pas les mêmes fins. La question posée au Conseil d’État était de savoir si elle est possible pour organiser la fermeture d’un site. En l’espèce, le site dont la fermeture est décidée appartient au groupe Paragon qui en informe ses instances représentatives du personnel (IRP) sans ambiguïté. En parallèle, l’équipe de direction négocie avec les syndicats un accord de mobilité ainsi qu’un accord de rupture conventionnelle collective ayant vocation à régir la période préalable à la fermeture du site. Cet accord est validé par la Direccte. Mais le syndicat FO, non signataire, engage un recours devant la juridiction administrative, à l’encontre de la décision de validation de la Direccte. Il explique en effet qu’au moment où l’entreprise a engagé des négociations de RCC elle savait déjà que le site allait fermer et qu’elle ne laissait en réalité aux salariés que l’option entre un départ par la voie volontaire collective ou un licenciement. Le salarié n’avait donc finalement aucun choix, hormis la modalité de son départ, ce qui ne correspond pas au sens des textes mettant en oeuvre la RCC. Le juge de première instance a certes rejeté le recours en expliquant qu’un choix existe, durant la période de la RCC, car si le salarié refuse l’accord collectif il ne sera pas licencié jusqu’à la fermeture du site. Ce raisonnement est toutefois censuré par la cour administrative d’appel qui estime ce choix tronqué puisqu’à terme le salarié qui refuse toute mobilité ou la RCC sera inéluctablement licencié, étant donné que l’entreprise a déjà annoncé la fermeture du site. Le Conseil d’État rejette à son tour le recours, sur conclusions conformes du rapporteur public, car il n’était pas offert aux salariés de réelle option autre que celle du départ. Le Conseil d’État a en substance considéré qu’un tel accord de RCC ne peut être validé par l’autorité administrative lorsqu’il est conclu dans le contexte d’une cessation d’activité de l’établissement ou de l’entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l’objet, à la fin de la période d’application de cet accord, d’un licenciement pour motif économique. Il sanctionne ici, en quelque sorte, le détournement de la RCC. Lorsque l’entreprise a pris la décision de fermer, elle doit opter pour la voie du PSE. Jean-Marc Albiol : La rupture par RCC, dans le cadre de la fermeture annoncée d’un site, pourrait, à titre d’image, être assimilée dans l’ordre des licenciements à une mode de rupture contraint du salarié. Il est en effet contraint de choisir une modalité de départ présentée comme librement consentie alors que l’entreprise sait qu’il n’aura pas d’autres solutions, à terme, que celle de partir. Elle l’empêche donc de bénéficier des dispositions plus protectrices et avantageuses d’un PSE

Dans un deuxième arrêt, le Conseil d’État vient préciser sa jurisprudence quant au cas particulier du groupe Caisse des dépôts (CDC). Qu’apporte-t-il d’intéressant ?

Stéphane Bloch : La CDC est un établissement public spécial qui a la particularité d’employer des personnels relevant du code du travail et des agents publics. Elle est souvent au centre de questions sensibles de droit social en raison notamment de la diversité des statuts de ses collaborateurs. Fin 2018, la CDC réunit les organisations syndicales pour négocier un vaste accord en matière de GPEC comprenant trois volets, dont l’un portant sur la possibilité de mettre en oeuvre des ruptures conventionnelles. Cet accord a vocation à s’adresser à l’ensemble de la population, agents publics compris. Or, l’ordonnance de 2017 ne prévoit l’application de la RCC que pour les salariés de droit privé. Il est donc envisagé que la loi de transformation de la fonction publique alors en discussion étende expressément aux agents de droit public de la CDC le bénéfice de la RCC. Chacune des parties prenantes à la négociation sur la RCC est bien informée que l’accord ne sera signé qu’une fois la loi adoptée. L’accord signé après la promulgation de la loi du 6 août 2019 est validé par la Direccte. Mais la CGT, non signataire, conteste la décision de la Direccte en arguant que la négociation avait été menée sans base légale et portait donc atteinte au principe de loyauté des négociations. Le tribunal administratif et la cour administrative d’appel ont rejeté le recours, suivis par le Conseil d’État qui a écarté le pourvoi. La juridiction administrative a considéré, à juste titre, que rien n’interdit de négocier sur un acte à venir avant qu’une norme, en l’espèce la loi, ne permette sa signature, dès lors que l’ensemble des parties en ont été informées. Le décalage dans le temps entre la négociation et la signature de l’accord n’affecte en rien la validité de la négociation et ne met pas à mal le principe de loyauté des négociations.

Le Conseil d’État valide ainsi l’absence d’atteinte à la loyauté de la négociation, sans pour autant reconnaître de principe à portée générale. Est-ce une déception ?

Stéphane Bloch : La CGT soulevait la nullité de l’accord au motif que les conditions de la négociation n’avaient pas été loyales (à défaut de base légale). Le principe de la loyauté des négociations est reconnu par la Cour de cassation avec une portée générale mais le Conseil d’État en fait un usage plus parcimonieux. Le rapporteur public appelait de ses voeux dans cette affaire une reconnaissance plus large du principe mais tel n’a pas été le cas. Il est vrai toutefois que la CGT confondait licéité de l’accord et loyauté de la négociation. Et qu’en plus il s’agit d’un arrêt de rejet moins susceptible de faire « parler » le Conseil d’État qu’un arrêt de cassation. Il faudra attendre une autre occasion.

La RCC a-t-elle été étendue à tous les agents publics depuis 2019 ?

Stéphane Bloch : Non, pas du tout. La rupture conventionnelle individuelle l’a été à l’occasion de la loi du 6 août 2019, même si le succès a été très relatif. La RCC reste réservée aux agents publics de la Caisse des dépôts, car il y avait une nécessité d’harmoniser la situation du personnel. Le sens de l’histoire n’est pas à une extension à tous les agents de la fonction publique. Jean-Marc Albiol : Il existe une porosité entre les entreprises du secteur privé qui peuvent accueillir en leur sein des fonctionnaires détachés. Dans ce cadre, les RCC s’appliqueront aux seuls salariés de droit privé avec les règles du secteur privé. Mais il n’existe pas de généralisation des dispositifs RCC au sein de la fonction publique. Le cas de la Caisse des dépôts demeure une exception.

Ce même 21 mars, le Conseil d’État s’est également penché sur la prise en compte des risques psychosociaux dans les PSE. Que consacrent ces arrêts ?

Jean-Marc Albiol : Deux arrêts ont été rendus sur ce sujet et parachèvent l’excellent travail fait depuis 10 ans et la cohérence de la position des juges administratifs sur le contrôle de l’administration dans la validation et l’homologation des PSE. L’un concerne l’Association professionnelle des adultes (AFPA) et l’autre une filiale du groupe Amaury (L’Équipe, ndlr). Ils consacrent l’importance du contrôle par l’administration de l’appréhension par l’employeur des risques psychosociaux dans les PSE. Selon l’article L 4121-2 du code du travail, au titre du principe de prévention, l’employeur a une obligation de garantir la santé et la sécurité de ses salariés. Depuis plusieurs années, et de façon même quasi archéologique ante réforme de 2013, se posait la question de la gestion des risques psychosociaux dans le cadre d’un licenciement collectif. La cour administrative d’appel de Versailles, en 2021, avait sanctionné une décision de validation d’un PSE dès lors que l’employeur n’avait pas identifié les risques psychosociaux dans son projet. Dans les deux arrêts du 21 mars 2023, le Conseil d’État vient à la suite de la cour d’appel administrative de Versailles, confirmer que ces risques doivent être pris en compte à deux niveaux : au moment de l’information consultation du CSE (l’employeur doit alors vérifier que le document unique d’évaluation des risques – Duerp- est mis à jour, il doit faire une analyse détaillée des risques psychosociaux qu’entraine la restructuration et mettre en oeuvre des mesures correctives) et, si un accord n’est pas trouvé avec les organisations syndicales, l’employeur doit reprendre cette analyse des risques dans le document unilatéral. C’est donc une obligation renforcée pour l’employeur dès qu’il passe en document unilatéral. Cette obligation s’impose également en cas de cessation d’activité.

Est-ce une surprise pour les praticiens ? J

ean-Marc Albiol : Non pas vraiment. Nous percevions la tendance depuis longtemps car les Direccte, devenues Dreets, recommandaient fortement de facto, depuis 2019, d’intégrer un livre IV dans nos négociations de procédure PSE. La Haute juridiction est donc venue confirmer une pratique préexistante et très exigeante, qui est désormais consacrée par la plus haute juridiction administrative.