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Promouvoir les enquêtes internes en France

Par Ondine Delaunay

La commission « enquêtes internes » du Club des juristes, placée sous la présidence de Dominique Perben, a passé un an à travailler sur l’enquête interne en entreprise. La pratique s’est en effet intensifiée depuis la loi Sapin 2 de 2016 relative à la lutte contre la corruption, et la loi Waserman de 2022 sur la protection des lanceurs d’alerte. S’il n’existe aucun encadrement législatif à ces investigations, la commission a choisi de formuler sept propositions pour promouvoir et renforcer l’exercice.

L’exercice de l’enquête interne a soulevé les plus grandes inquiétudes des entreprises et des avocats quand elle a émergé en France au début des années 2010. En 2013, le groupe Total avait signé avec le DoJ un defered prosecution agreement mettant fin à des allégations de corruption en Iran, après avoir mené une enquête interne. Stupeur dans les rangs français. Comment un avocat peut-il mener une enquête interne ayant pour finalité la reconnaissance des faits commis par son client ? Passés les premiers tremblements, comme toujours, business first. Au début, la conduite de l’enquête a été trustée par les avocats qui arguaient que leurs échanges seraient couverts par le secret professionnel et donc que les informations transmises aux autorités resteraient limitées. Cette considération a été bien vite balayée par la pratique anglosaxonne selon laquelle toutes les informations récoltées durant les investigations doivent être révélées aux autorités. Le secret professionnel semblait donc n’avoir qu’un poids limité dans cette acception de la procédure, dans laquelle les séparations entre enquête interne et enquête judiciaire étaient floues. Puis la pratique s’est développée pendant une dizaine d’années, sous l’influence de l’Agence française anticorruption et du Parquet national financier qui ont édicté des recommandations non contraignantes. Aujourd’hui, les entreprises ont conscience que ces investigations jouent un rôle clé dans l’efficacité de leurs programmes de conformité. Mais l’absence de cadre législatif régulant la pratique demeure; notamment sur l’articulation entre l’enquête interne et l’enquête judiciaire, sur le rôle des avocats et, surtout, sur les garanties en matière de libertés individuelles, de droits de la défense et de protection de la vie privée des salariés.

Préserver la souveraineté judiciaire et normative du pays

Pour répondre à ces enjeux, le Club des juristes a constitué une commission, baptisée « enquêtes internes », placée sous la présidence de Dominique Perben, avec Raphaël Gauvain et Stéphane de Navacelle comme co-rapporteurs. Selon eux, favoriser une culture forte de l’enquête interne est un enjeu majeur pour les entreprises. « Il est essentiel de promouvoir auprès des entreprises françaises la culture des investigations internes, pour éviter dans la mesure du possible qu’elles soient soumises à des enquêtes sous juridictions étrangères », relève le rapport. Et au regard de la réactivation du FCPA par l’administration Trump, la semaine dernière, la préservation des intérêts stratégiques des groupes français prend une tout autre dimension. « Aujourd’hui, la capacité d’une entreprise à prendre l’initiative d’enquêter influence la manière dont elle sera traitée par les autorités d’enquête », ajoute le rapport. Il en va également de sa crédibilité et de sa réputation sur le marché.

Sept propositions formulées

Pour renforcer la pratique de l’enquête interne en France, la Commission formule donc sept propositions. D’abord, elle refuse un encadrement législatif strict de l’enquête interne par une extension des dispositions du code de procédure pénale. Selon les membres de la commission : « il risquerait de freiner le développement des enquêtes internes et d’entraver leur efficacité ». Les entreprises françaises croulent déjà sous le poids réglementaire. Or une législation trop rigide ne s’adapterait pas à tous les secteurs d’activité et nuirait à l’objectif final : identifier pour évaluer et traiter rapidement les manquements.

La commission encourage néanmoins la mise en place de guides de l’enquête interne au sein des organisations dans l’objectif de garantir les principes fondamentaux, notamment en matière de protection des droits des salariés et de transparence des procédures. « L’élaboration de tels guides permettra également aux entreprises d’ajuster leurs enquêtes à leur environnement spécifique, d’évoluer face à de nouveaux risques (tels que l’IA, les cryptomonnaies et la cybersécurité) et d’assurer une mise en conformité plus efficace », expliquent les rapporteurs.

Si l’encadrement législatif n’est pas recommandé par la commission, une définition légale de l’enquête interne paraît nécessaire pour inciter les entreprises à structurer leurs dispositifs de conformité. Il est ainsi proposé d’adopter un nouvel article L. 4121-6 au sein du code du travail : « Une enquête interne désigne un processus formel mené au sein dune organisation privée ou publique, visant à vérifier si les faits allégués ou les soupçons de violations aux lois ou aux règles internes de l’organisation sont avérés. L’enquête interne doit prendre en considération les éléments probatoires relatifs aux personnes physiques, à charge comme à décharge, tout en respectant leurs droits et en mettant en œuvre des moyens proportionnels à l’objectif fixé. L’enquête interne favorise l’intégrité de l’organisation privée ou publique. Elle contribue à assurer sa conformité aux lois et règlements, et d’améliorer sa gouvernance tout en protégeant sa réputation et ses membres ».

L’articulation entre enquête interne et enquête pénale, notamment l’exploitation par les autorités judiciaires des éléments des investigations de l’entreprise, est bien le nœud des risques de déviance des pratiques. « Le principal danger est que les autorités de poursuite utilisent l’enquête interne comme un instrument auxiliaire d’investigation, au détriment des droits fondamentaux des salariés concernés » explique le rapport qui rappelle que le 29 octobre 2024, le député Marleix a déposé une proposition de loi pour encadrer les auditions réalisées dans le cadre d’une enquête interne alors qu’une enquête judiciaire est ouverte en parallèle. Plusieurs amendements sont proposés au texte par la commission qui appelle à une adoption du dispositif rapide par le Parlement.

Pour garantir la crédibilité de l’enquête et susciter la confiance des salariés auditionnés, la commission estime que l’indépendance de l’enquêteur est clé. Alors que le député Marleix avait proposé de demander au parquet la nomination d’un mandataire ad hoc à qui l’enquêteur pourrait rendre des comptes, en lieu et place des dirigeants de la personne morale, la commission propose au contraire de promouvoir la création d’un comité ad hoc d’administrateurs indépendants pour superviser toute enquête interne en cas de soupçon pesant sur des dirigeants exécutifs. Cette clause pourrait être intégrée au code Afep-Medef. Et s’agissant de l’indépendance de l’avocat enquêteur qui serait également conseil régulier de l’entreprise, sans surprise, la commission se prononce contre l’interdiction de cumul des fonctions. « Cette restriction porterait une atteinte disproportionnée au libre choix de l’avocat, principe fondamental des droits de la défense », justifie la commission qui préfère « responsabiliser les entreprises sur ce sujet ».