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Performance des cabinets : élaboration d’un référentiel de compétences

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Facturation, relation client, gestion des ressources humaines, prise en main de nouvelles technologies… La réalité économique devient vite une préoccupation majeure des cabinets d’avocats, ayant besoin de développer des compétences qui ne sont pas forcément enseignées sur les bancs de l’EFB et évoluent sans cesse. C’est la raison pour laquelle, le groupe Septeo, en partenariat avec l’Edhec Augmented Law Institute, publie un livre blanc, destiné aux avocats qui fondent, dirigent un cabinet ou un département, ou créent une nouvelle pratique. Il recense 160 compétences réparties en trois catégories : business, digitales et comportementales.

L’

avocat qui crée un cabinet, ou y occupe des fonctions de direction, a besoin de disposer d’un panel de compétences lui permettant de combiner à la fois son rôle d’entrepreneur, de leader, de manager d’équipes et de ressources, et de développeur de business. Il est aujourd’hui confronté à une réalité complexe qui intègre divers facteurs, tels que le développement sur le marché de nouveaux business models, l’impact de la vague technologique sur l’exercice du métier et les attentes de la génération arrivant dans la profession qui se distinguent singulièrement des précédentes. Plus que jamais, être un avocat entrepreneur, leader et manager requiert de ne pas se reposer uniquement sur son savoir-faire juridique, mais de détenir des compétences comportementales, digitales et business, qui ne sont pas innées et n’ont pas été forcément acquises durant sa formation.

Réalisé par recours à l’intelligence collective, avec le soutien de 17 avocats fondateurs et dirigeants de cabinets, ce référentiel de 160 compétences doit être appréhendé comme un cadre de référence où puiser, en fonction des caractéristiques de son cabinet. Une centaine d’avocats ayant examiné ce référentiel ont déterminé les 18 compétences prioritaires. Les soft skills dominent fortement, représentant 13 compétences sur 18. Elles visent à rendre le complexe simple : savoir poser un sujet en termes simples et poser des options ; créer la confiance ; écouter et observer ; communiquer de façon non violente ; montrer des signes de reconnaissance et savoir l’exprimer ; identifier/intégrer les demandes cachées chez l’interlocuteur ; rassurer ; donner du sens ; gérer son stress lors de situation d’urgence / de crise ; montrer par l’exemple les comportements désirés ; gérer des réunions efficaces ; communiquer de façon proactive sur l’état d’avancement ; et accepter positivement ses erreurs et progresser.

Priorité aux soft skills…

Si le diplôme de droit, renforcé et complété de plus en plus par un diplôme en gestion-business pour les cabinets d’affaires, le CAPA, et parfois un diplôme étranger comme un LLM, sont les portes d’entrée dans la profession, les soft skills constituent la clé invisible pour progresser.

Les compétences comportementales qui prédominent dans le référentiel relèvent très largement de l’intelligence émotionnelle. Cela n’est pas surprenant : il existe une forte attente dans la profession d’avocat, chez les collaborateurs particulièrement, pour un management de qualité, laissant la place à l’empathie, au respect, et à l’écoute. Une approche relationnelle qui trouvera aussi à s’exprimer dans les rapports avec le client. Pour Benjamin Gras, associé du cabinet Inside, certaines de ces compétences comportementales nécessitent de vrais progrès chez les avocats dirigeants ou managers. En particulier, celle d’accepter positivement ses erreurs et progresser. Il explique : « C’est, de mon point de vue, l’une des compétences les plus dures à acquérir. J’ai entendu beaucoup d’avocats me reprendre quand je m’excusais auprès d’un client. On m’a déjà dit qu’“un avocat ne s’excuse jamais car cela revient à dire au client que l’on peut se tromper”. Accepter ses erreurs, c’est mettre son ego de côté… Mais ce n’est pas toujours évident pour certains ». Il signale également que « Gérer son stress, c’est savoir donner du sens à ses collaborateurs en toutes circonstances. Il reste encore beaucoup de progrès à faire à ce niveau pour un grand nombre d’avocats ».

Mais comment favoriser le développement de ces compétences comportementales chez les jeunes avocats, potentiellement appelés à devenir associés, à diriger un cabinet ou à créer leur propre boutique ? Le référentiel propose une réponse : « Favorisons, dans les recrutements, la diversité professionnelle – arrêtons les recrutements de clones, cherchons des profils hybrides, en valorisant les carrières circulaires où l’action aura fait son œuvre de transformation pragmatique des egos et des certitudes. Favorisons ceux qui ont eu une vie engagée, sportive, artistique, militaire, en collectif (les gamers en réseau savent souvent mieux coopérer que des avocats en équipe) ».

… sans oublier les compétences digitales…

Parmi les 18 compétences prioritaires, trois sont du ressort du digital : l’utilisation des outils de recherche/bases de données juridiques, la pratique d’un langage juridique clair et l’utilisation des outils d’e-signature. Benjamin Gras tempère néanmoins : « Savoir utiliser des outils de recherche n’est pas une compétence, mais un prérequis. Malheureusement, on se rend compte avec la nouvelle génération qu’il s’agit bien d’une compétence dans la mesure où certains semblent avoir du mal avec les bases de données juridiques ». De manière globale, l’expression des besoins en savoir-faire numérique semble à un stade intermédiaire et une base plus large de répondants permettrait de comprendre si cette conscience face aux outils et changements technologiques dont on ne peut réfuter qu’ils 

concernent aussi les cabinets d’avocats, varie selon la taille des cabinets, le profil des fondateurs et associés, le domaine de pratique, etc.

Au regard du poids croissant de la technologie dans l’exercice du métier d’avocat et la gestion d’un cabinet, la faible présence des compétences digitales dans ce top global peut surprendre. La digitalisation est pourtant la clé de l’efficacité opérationnelle. En améliorant et fluidifiant les process, le cabinet est en capacité de mesurer le pilotage de son activité et sa performance. En automatisant certaines tâches à faible valeur ajoutée, il va rationnaliser et, partant, avoir une meilleure maîtrise des coûts. Elle constitue également un levier d’attractivité RH au regard des attentes des jeunes avocats et un avantage concurrentiel, un ressort que l’on peut activer pour attaquer et adresser des nouveaux marchés, ainsi qu’un instrument de valorisation des actifs incorporels, du patrimoine et du capital immatériel. Bien intégrée dans la vision et la stratégie de développement du cabinet, la digitalisation est un processus de renforcement de l’engagement des équipes autour d’un projet d’entreprise. Elle crée une dynamique en interne et rassure sur une vision d’avenir notamment auprès des clients existants et des prospects. Mais elle exige des compétences de pilotage de projet. Enfin, elle impulse et développe en interne une culture de l’innovation et génère des axes d’amélioration sur l’organisation du travail, le collaboratif, la cybersécurité, les process métiers, la manière de mettre le client et son dossier au centre de ses préoccupations. Elle est, aussi et surtout, l’opportunité de mener une réflexion globale sur son activité et ses enjeux.

… et business

Enfin, deux compétences business figurent dans les 18 prioritaires : se montrer force de proposition (apporter des idées, des contacts, au-delà de la mission) et savoir négocier. Elles sont d’ailleurs très complémentaires. « Il s’agit de compétences de bases du métier d’avocat, mais qui s’acquièrent avec le temps. Savoir négocier, c’est savoir poser une stratégie de négociation, rappelle Benjamin Gras. La force de proposition implique une vision holistique de la situation et là encore, c’est plus dur pour les jeunes ».

Certains avocats du comité d’experts expriment néanmoins des regrets sur ce succès relatif des compétences business. Pour Jean-Charles Simon, fondateur du cabinet Simon Associés, « savoir compter ne semble pas préoccuper, alors que la gestion et son contrôle sont devenus essentiels dans un environnement soumis aux budgets, aux cost killers, aux legal ops et autres ». Gérard Chemla, fondateur du cabinet ACG Avocats & Associés, s’interroge pour sa part sur la différence pouvant exister entre les cabinets traditionnels et ceux dotés d’une culture provenant du conseil. « Les avocats de souche n’ont pas encore accompli le pas qu’impose une projection dans le futur, considère-t-il. Il faut dire que l’organisation très artisanale de notre profession quand elle ne travaille pas qu’avec les entreprises ne permet que rarement à nos confrères d’élargir leur horizon au-delà du quotidien. À mon sens un progrès culturel est à provoquer et un tel référentiel peut y contribuer ».

C’est plutôt le manque de succès des compétences plus stratégiques que regrette Stéphane Baller, associé du cabinet De Gaulle Fleurance & Associés. « La connaissance des essentiels de gestion stratégique comme une analyse SWOT - ndlr : qui permet d’identifier les forces, faiblesses, opportunités et menaces qui entourent votre entreprise ou un projet en particulier - ou Blue Ocean, m’interroge sur la capacité, demain, à résister à la concurrence d’un marché toujours plus ouvert et dérèglementé ».

En définitive, ce référentiel de compétences de l’avocat créateur ou dirigeant de cabinet rappelle l’importance de l’hybridation des savoir-faire. Certaines sont sans nul doute indispensables à des structures de cabinet, mais moins à d’autres. Il appartient aux fondateurs, dirigeants, associés, de s’interroger pour savoir lesquelles seront nécessaires pour assurer le bon et sain fonctionnement de leur cabinet, et surtout son avenir. Mais aussi, s’ils doivent eux-mêmes les détenir et les incarner ou s’il convient plutôt de les rechercher au sein de leur équipe. Et Stéphane Baller de s’interroger : « La gouvernance de certains cabinets ne devrait-elle pas symboliser elle-même cette hybridation de compétences en intégrant des spécialistes de l’IT, des legal ops, des responsables du développement, voire les ressources humaines, dont les compétences sont aussi importantes et rares pour que le cabinet soit performant humainement et économiquement » ?