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Paris Place de Droit : une nouvelle gouvernance pour faire rayonner la justice française à l’international

Par Ondine Delaunay et Laura Dray

Changement de gouvernance, ambitions renouvelées, continuité dans l’action. Dix ans après sa création, l’association Paris Place de Droit entre dans une nouvelle phase de son développement. Rencontre croisée avec Patrick Sayer, président du TAE de Paris, Stéphanie Smatt Pinelli, directrice juridique France de Broadcom, et Valence Borgia, associée fondatrice du cabinet Medici, respectivement désignés président et secrétaires générales, pour décrypter les enjeux, les projets, et la vision d’avenir d’une structure au cœur de la promotion de la justice française.

Quel est l’objet de l’association Paris Place de Droit ?

Patrick Sayer : Paris Place de Droit œuvre à la promotion de la place juridique de Paris, tant en France qu’à l’international. L’association a été fondée en 2014, lorsque je débutais comme juge consulaire au tribunal de commerce de Paris. Frank Gentin était alors le président et avait reçu la visite des avocats Dominique Borde et Thomas Baudesson, qui lui ont soufflé l’idée de créer une association de promotion du tribunal et de la juridiction commerciale française à l’international. Il s’est immédiatement saisi du projet. Paris est en effet l’une des économies parmi les plus puissantes du monde, avec la présence de cabinets d’avocats français et étrangers, et surtout une place importante non seulement pour le contentieux judiciaire mais aussi pour l’arbitrage. La richesse de notre modèle civiliste est considérable et constitue une composante forte de notre compétitivité. Il est aussi une réponse stratégique face à une offensive anglosaxonne actuelle visant à imposer la common law. Cette association a donc pour rôle de défendre et de promouvoir notre spécificité juridique à l’international, qui est essentielle pour nos entreprises et nos emplois. Nous souhaitons également être le fer de lance des nombreux pays inspirés par le droit civil – qu’ils soient européens, asiatiques, africains, ou d’Amérique latine. 

Pourquoi avoir changé de gouvernance après dix ans ?

Patrick Sayer : Frank Gentin et Jacques Bouyssou ont accompli un travail exceptionnel, mais après un si beau cycle, ils ont souhaité passer la main. Étant désormais président du tribunal des activités économiques de Paris, il a semblé naturel au conseil de me confier la relève.

Mon expérience dans le privé, lorsque j’exerçais chez Lazard puis Eurazeo, m’a toujours conduit à travailler en collégialité. Je suis persuadée que le collectif favorise l’agilité et le dynamisme. Prendre des décisions ensemble permet ensuite à chacun d’assumer ses responsabilités. Ce modèle, je le transpose à l’association et c’est pourquoi nous avons opté pour une gouvernance élargie de sept personnes. Avec Valence Borgia et Stéphanie Smatt Pinelli, nous avons réuni un bureau renforcé par Philippe Métais, associé du cabinet BCLP, et Anne-Laure Paulet, déléguée générale de l’AFJE. Frank Gentin et Jacques Bouyssou poursuivront leur engagement au sein de ce nouveau bureau. Nous nous réunissons très régulièrement – toutes les deux semaines – pour garder un rythme et une vision opérationnelle.

 

Stéphanie Smatt Pinelli : Ce changement s’inscrit dans une dynamique naturelle de renouvellement et d’adaptation. Nous ne souhaitons pas bouleverser l’immense travail mené par Frank Gentin et Jacques Bouyssou, mais plutôt prolonger l’action existante avec un nouveau souffle. Dix ans après la fondation de l’association, un nouveau cycle s’ouvre dans un contexte profondément transformé. Nouveaux contentieux, polycrises, révolution technologique: nous souhaitons incarner un nouveau virage pour faire face à ces nouveaux enjeux et  continuer de rendre notre capitale de droit plus attractive grâce à une association dynamique, paritaire et fédératrice, en construisant une communauté. à titre personnel, je suis particulièrement fière d’œuvrer aux côtés du président Sayer et de Valence Borgia, et de tenter d’y porter la voix et les idées des directions juridiques d’entreprises en lien notamment avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE. 

 

Valence Borgia : Effectivement, notre engagement s’inscrit dans la continuité du travail remarquable accompli jusqu’ici, et nous ne serons pas trop de deux pour prendre le relais de Jacques Bouyssou au service du collectif. Avec Stéphanie, nous sommes très attachées à faire de Paris Place de Droit un lieu de rayonnement, de réflexion et de rencontres, au service de l’ensemble des professionnels de la place. Notre ambition est de renforcer les liens entre les différents acteurs, en favorisant des échanges interprofessionnels réguliers, qu’ils soient académiques ou plus informels.

Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de continuer à mobiliser les jeunes praticiens autour de Paris Place de Droit. Nous souhaitons rassembler jeunes avocats et juristes d’entreprise, français comme internationaux, et les encourager à collaborer, à débattre, à innover ensemble.

Dans cet esprit, plusieurs initiatives ont déjà vu le jour. Je pense notamment au concours de plaidoirie devant la chambre internationale du tribunal arbitral économique, qui permet aux jeunes juristes de l’AFJE d’incarner les clients, tandis que les élèves-avocats jouent le rôle des conseils. Ou encore au Summer Camp de Paris Place de Droit : trois jours d’immersion réunissant de jeunes professionnels venus du monde entier, pour tisser des liens, développer des réseaux, et faire émerger de véritables promotions d’ambassadeurs de notre place.

Le défi qui nous attend désormais est de structurer ces initiatives dans la durée, en s’appuyant notamment sur le comité Millenium que nous venons de créer. Il a vocation à accueillir les jeunes collaborateurs des cabinets partenaires de Paris Place de Droit et à les impliquer pleinement dans la dynamique de notre communauté.

 

Stéphanie Smatt Pinnelli : Le fait de fédérer l’ensemble des professions du droit pour promouvoir une justice de qualité, accessible, innovante et en ligne avec les enjeux économiques et géopolitiques contemporains est un facteur d’attractivité en soi.  

Quelles sont vos ambitions pour les prochaines années ?

Patrick Sayer : Je fais partie de ceux qui considèrent que la maîtrise du droit par les juridictions est essentielle à la compétitivité des entreprises françaises et européennes dans un monde fragmenté. Il en va de l’indépendance stratégique de notre pays. C’est pourquoi je m’efforce de promouvoir Paris Place de Droit auprès des pouvoirs publics, afin qu’ils prennent en compte la dimension juridique de notre capitale au-delà de l’arbitrage. 

Je souhaite que la France soutienne activement la tenue de grands événements juridiques internationaux à Paris, comme le SIFoCC (Standing International Forum of Commercial Courts), un forum anglosaxon majeur qui pourrait inclure un volet dédié aux échanges entre avocats. Ce type de manifestation, qui rassemble 80 pays représentés par deux délégués chacun, permettrait de recentrer l’attention mondiale sur Paris comme place de droit.

 

Stéphanie Smatt Pinelli : Les défis sont nombreux. Nous avons à cœur de renforcer le dynamisme des diverses commissions qui composent l’association et sont de véritables lieux de réflexions et de propositions. Par ailleurs, nous préparons un nouvel événement phare, la première édition du Paris Dispute Resolution Day, qui aura lieu le 2 décembre prochain. Il a vocation à réunir l’ensemble des praticiens du contentieux des affaires, autour d’une journée de débats et d’échanges. Il aura cette année pour thème : l’économie du conflit. Nous travaillons dur pour faire de cet événement un rendez-vous incontournable à l’échelle internationale.

 

Valence Borgia : à la différence de La Nuit du Droit qui est un événement ponctuel, organisé chaque année autour d’un débat d’actualité, le Paris Dispute Resolution Day aura une dimension internationale et sera centré sur le contentieux des affaires. Cet événement sera porté par des intervenants prestigieux, pour rassembler les acteurs de la place et les faire rayonner au-delà de nos frontières.

Quelles réformes seraient selon vous nécessaires pour renforcer l’attractivité de la place de Paris au plan international ?

Stéphanie Smatt Pinnelli : En tant que directrice juridique d’un groupe américain, je ne peux qu’insister sur l’indispensable réforme visant à la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, que je défends avec ferveur et qui participera à accroitre l’attractivité de notre place de droit et de notre fonction. Nous devons aussi encadrer l’intégration de l’intelligence artificielle dans nos pratiques, qu’elles soient judiciaires ou juridiques. Patrick Sayer souhaite par ailleurs redonner au tribunal des activités économiques un rôle central dans l’observation des contentieux émergents, notamment en lien avec le devoir de vigilance, dont il serait légitime qu’un pan revienne à la compétence du juge consulaire. 

En dix ans, la France s’est dotée d’un dispositif attractif pour attirer les contentieux commerciaux internationaux. Quel bilan pouvez-vous faire à ce stade ?

Patrick Sayer : J’ai longtemps cru que Londres dominait largement les litiges internationaux, mais certains travaux – notamment ceux du professeur Gilles Cuniberti - ont prouvé que Paris est en réalité très bien positionnée. En 2024, 41 % des dossiers traités par le TAE revêtaient un caractère international.

La chambre internationale du tribunal de commerce existe depuis longtemps et constitue un véritable atout qu’il convient de rappeler avec énergie. Aujourd’hui, elle est dotée d’une salle d’audience ultramoderne, financée par le ministère de la Justice, avec traduction simultanée, visioconférence, juges bilingues, etc.

Les audiences peuvent donc se tenir en plusieurs langues, et des témoins étrangers peuvent intervenir à distance. Nous avons aussi établi un protocole de procédure inspiré des meilleurs standards internationaux, qui permet, dans le respect du code de procédure civile, des contre-interrogatoires et une plus grande interaction entre les parties.

 

Valence Borgia : L’objectif est clair : faire savoir que ces juridictions offrent un environnement juridictionnel de très haute qualité et efficace, au sein d’un État de droit stable. Elles constituent une véritable alternative aux juridictions anglo-saxonnes en combinant la rigueur de l’application du droit choisi par les parties à une pratique juridictionnelle fluide et pragmatique.

Le bilan à ce stade est extrêmement encourageant : la reconnaissance internationale de ces chambres progresse, les professionnels du droit s’en emparent, et les entreprises – y compris étrangères – y trouvent une réponse adaptée à leurs besoins. L’objectif désormais est de renforcer cette dynamique et de faire savoir, partout dans le monde, que Paris est aujourd’hui l’une des places les plus attractives pour le règlement des litiges commerciaux internationaux.