Connexion

Métavers : un concept et tant d’applications à explorer et à réguler

Par Jeanne Disset

Mission exploratoire sur les métavers. C’est le titre du rapport remis au gouvernement, le 24 octobre dernier, présenté comme une clarification du concept et une ouverture des débats sur l’usage du métavers. La LJA l’a analysé.

Camille François, chercheuse à Columbia University et directrice d’une société de pointe en réalité augmentée (Niantic), Adrien Basdevant, avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies et membre du Conseil national du numérique, et Rémi Ronfard, directeur de recherche à l’Inria, sont les auteurs de ce rapport qui “pose, nous l’espérons, quelques jalons qui permettront de clarifier le débat, de saisir les opportunités émergentes, de mieux appréhender les risques du sujet et de rassembler l’écosystème français autour d’un horizon commun”. Vaste programme !

Un concept, des réalités

L’absence de consensus sur le sujet conduit la mission à consacrer un tiers du rapport à définir ce qu’est le métavers, et même sur ce qu’il devra être. L’idée de Marc Zuckerberg, limitée à une réalité virtuelle partant d’un réseau social, ne saurait épuiser l’univers des métavers. Les auteurs le constatent : il est pluriel. Le concept se concrétise dans “un espace virtuel, persistant, avec des données de synthèse tridimensionnelle, qui serait interopérable”. Ce qui permet de révéler la variété de ses applications : réalité augmentée, réalité virtuelle, avec ou sans visiocasque, incarnation dans un avatar, jeux vidéo… Les secteurs visés sont aussi nombreux : tourisme, culture, éducation, médecine, médias, travail, administration publique… Les métavers s’annoncent donc comme de nouveaux médias dans une nouvelle ère du Web : “après l’ère du texte, puis le règne des images, et désormais celui des vidéos, viendrait l’heure d’un médium plus immersif”. Pour simplifier, des réseaux sociaux augmentés, avec des technologies immersives. Les modes d’immersion sont bien multiples. La simulation est partagée par tous les utilisateurs connectés et se poursuit en leur absence. Chacun est libre de la rejoindre ou de la quitter. Ce sont bien ces technologies d’immersion qui restent la clé du métavers. Celui-ci comprend donc bien les deux écosystèmes : la réalité virtuelle, augmentée ou mixte, et l’univers de la blockchain, des technologies du Web 3 dont les NFT. Le rapport finit par englober toute ses facettes : “Un métavers est un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre des expériences immersives.”

Dix propositions

Les 10 axes stratégiques métaversiques - “l’adjectif métaversique, pour souligner les possibilités plurielles et les horizons multiples des technologies sociales immersives, et inviter imagination et créativité sur ces sujets”- s’organisent autour d’expérimentations, de formation et de recherche, d’investissements et de soutien à la valeur ajoutée, d’usages culturels, d’impact sociétal et environnemental, de souveraineté, d’organisation et de régulation. Retenons quelques points saillants : La proposition n°2 : réinvestir les instances de négociation des standards techniques, pour faire en sorte que la France et les principaux acteurs français (du secteur numérique de l’immersion, mais aussi de la recherche sur ces sujets) participent activement aux discussions sur l’interopérabilité des technologies de l’immersion ; la n°3 : amener la puissance publique à faire émerger les services communs et essentiels permettant l’avènement d’une pluralité de métavers interopérables ; la n°4 : développer une analyse rigoureuse des différentes chaînes de valeur des métavers afin de guider au mieux d’une part les domaines d’investissement stratégiques, d’autre part les risques de perte de souveraineté ou de fuite de valeur ; et la n°7 : investir dans les outils et les techniques d’analyse des métavers, et des transactions qui s’y déroulent afin de permettre aussi bien la détection des infractions pour remonter aux auteurs que de percevoir l’impôt. Les auteurs demandent donc plutôt à l’État d’accompagner le phénomène, que de bâtir lui-même ses propres univers. “Plutôt que de se concentrer à faire émerger le « Google européen du métavers », il semble stratégique de protéger, soutenir et encourager les acteurs en pointe sur des briques technologiques peut-être plus modestes mais essentielles à la constitution des métavers de demain”. En effet, la France rayonne déjà dans ce secteur, avec des industriels et des géants (Ubisoft, Dassault Systèmes, Ledger…), des start-ups dynamiques (beaucoup rachetées par la Silicon Valley) et des studios de fabrication très variés (dont les jeux vidéo). Elle doit investir, protéger et encourager ce qui existe, et non croire en quelque chose d’inédit sur le point d’apparaitre.

Une opportunité à réguler

Reste la régulation. Le rapport conseille de lancer « dès maintenant le travail d’adaptation de la régulation européenne du numérique (RGPD, DSA, DMA...) au métavers, afin d’intégrer les contraintes de transparences des plateformes et les enjeux de protection des données personnelles dans les espaces virtuels » (proposition n°6). Les métavers réinventent tant la création numérique que l’expérience utilisateur, il faut donc anticiper des cadres de régulation adaptés. Près d’un dixième du rapport s’attache à lancer des pistes. L’immersion est en effet encore plus invasive en termes de données personnelles. L’identité numérique (avec anonymat et portefeuille d’identité) et l’encadrement des traitements des données mentales doivent être particulièrement traités. Les auteurs suggèrent de travailler à la consécration d’un nouveau droit fondamental : le droit au respect de l’intégrité psychique. La modération des comportements en temps réel refait surface, en amplifiant d’ailleurs la problématique, et en la complexifiant, puisque certains comportements (comme tuer) sont possibles dans les jeux vidéo. Enfin, un point sur les infractions virtuelles (et les modes de preuves et de témoignages) et la fiscalité des métavers laisse se profiler une possible privatisation de la justice. Des chantiers pour les juristes, déjà évoqués lors de la première édition des « Ateliers de la cyberéthique », organisés le 2 juin dernier par la LJA (v. LJAH n° 1541).