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Les nouveaux profils des consultants des cabinets d’avocats

Si les consultants recrutés par les cabinets d’avocats ont été, pendant longtemps, essentiellement des professeurs émérites désireux de donner une orientation pratique à leur carrière, la tendance se modifie depuis quaelques années. Les structures se rapprochent désormais majoritairement d’anciens directeurs juridiques, d’experts financiers, d’économistes, ou encore de chefs d’entreprise, souhaitant garder une certaine indépendance dans l’exercice de leurs fonctions.

Les consultants recrutés par les cabinets d’avocats ne sont plus uniquement, comme par le passé, des professeurs, des hommes politiques (cf. LJA 1508, L’engouement des politiques pour la robe) ou des anciens membres de la Commission européenne (cf. LJA 1510, Ces avocats antitrust ayant fait un passage par la Commission européenne), mais des gens issus de la société civile. « Le recours, par un cabinet, à cette troisième catégorie de consultants, composée de chef d’entreprise, d’experts financiers ou encore de directeurs juridiques, a vocation à permettre à ses avocats de pouvoir bénéficier en interne d’une expertise pointue et d’une compréhension fine de certains sujets, afin de les aider à développer la construction juridique la plus adaptée à leurs dossiers, indique Olivier Diaz, associé de Gide. Ces consultants ne se substituent pas aux experts (financiers, économistes ou consultants en stratégie), avec qui nous travaillons régulièrement, leur vocation étant plutôt de nous aider le plus possible à parler le même langage que ces experts ». L’avocat ajoute : « Ils pourraient être comparés à des of counsels, c’està- dire des personnes ayant un profil plutôt senior, apportant une expérience et des connaissances particulières, techniques ou opérationnelles, complémentaires de celles des avocats ».

Une vision stratégique pour les avocats

Les cabinets sont nombreux à avoir franchi le cap, pour leur permettre d’adjoindre de l’expertise du terrain à de nouveaux champs du droit. Dernière en date, Joëlle Simon a rejoint à la fin du mois d’avril le bureau parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer comme consultante senior. L’ex-directrice générale adjointe juridique, éthique et gouvernance des entreprises auprès du Mouvement des entreprises de France (Medef) a la responsabilité du suivi, au sein du cabinet, des évolutions législatives et réglementaires clés auprès des avocats, notamment en matière d’entreprise responsable et de gouvernance durable des sociétés cotées. « Joëlle Simon connaît parfaitement tous les sujets de place et permettra aux avocats, dont l’activité quotidienne au plus près des clients et des dossiers ne leur permet pas toujours d’y consacrer beaucoup de temps, de bénéficier d’une veille sur les évolutions législatives et réglementaires, tant au niveau national qu’européen, dans des domaines pouvant impacter leurs clients, afin qu’ils puissent la partager d’une manière proactive et les accompagner au-delà des dossiers, c’est-à-dire dans le cadre d’une réflexion prospective et stratégique », indique Hervé Pisani, associé du cabinet du Magic Circle, qui précise que Joëlle Simon n’a pas vocation à intervenir directement sur les dossiers.

Début avril, Christian de Boissieu a rejoint Asafo & Co., en tant que senior advisor. Il présente un parcours diversifié : professeur d’économie à Paris, vice-président du Cercle des économistes, ex-président du Conseil d’analyse économique du premier ministre et ex-membre du Collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Depuis les années 1980, il est en outre conseil économique et consultant auprès de nombreux États africains et d’institutions financières africaines. Spécialiste des questions monétaires et bancaires, son expertise d’économiste constitue un atout pour les questions traitées par Asafo & Co., notamment s’agissant du cadre et des enjeux régionaux et globaux des services bancaires et financiers en Afrique. Les équipes du cabinet vont pouvoir collaborer avec lui, aussi bien sur les aspects réglementaires et de structuration des marchés financiers, que sur de nouvelles questions portées par les fintechs et l’introduction de nouveaux instruments financiers en Afrique. En mars 2021, c’est le cabinet Trinity Avocats qui a recruté l’entrepreneur André Dupon, président du groupe Vitamine T, en qualité de consultant expert, pour renforcer son offre dédiée à l’économie sociale et solidaire. « Je vais apporter au cabinet, avec mon retour d’expérience, l’accompagnement stratégique des dirigeants de l’économie sociale et solidaire qui souhaitent changer d’échelle, créer une nouvelle activité, se regrouper, explique le nouveau venu. J’apporterai également de l’assistance technique assez lourde sur l’ensemble du champ de ces entreprises, la constitution de dossier, la réponse à des appels d’offres et enfin un accompagnement d’échelle et notamment dans la recherche de moyens pour penser leur avenir ».

En mars, Gide a annoncé l’arrivée de Stéphanie Philippe, en tant qu’experte financière, pour renforcer sa pratique contentieux, conformité et investigations internes. Expertcomptable de formation et ancienne auditrice, elle a près de quinze ans d’expérience des investigations financières, développée au sein de la Direction des enquêtes de l’AMF, puis en matière pénale au sein du Service de l’instruction du pôle financier du tribunal judiciaire de Paris. « Dans notre pratique de contentieux de régulation financière, notamment de contentieux AMF, de nombreux sujets se trouvent à la frontière entre le droit et la comptabilité, rappelle Olivier Diaz. Travailler de concert avec des cabinets d’expertises comptables et des experts financiers est pertinent, mais intégrer un profil en interne comme celui de Stéphanie Philippe permet aux équipes de tirer profit de la combinaison intégrée des expertises du chiffre et du droit, de bénéficier de son analyse et expertise quotidiennement, mais aussi de mieux anticiper les sujets et d’en avoir une compréhension plus fluide. La qualité de nos analyses factuelles, que ce soit en matière d’enquêtes internes ou de contentieux pénaux et financiers, en est enrichie, mais il ne s’agit en aucun cas pour le cabinet de faire du conseil comptable en sus du juridique ». Le cabinet français avait d’ailleurs déjà tenté l’expérience de recruter d’anciens de l’AMF. En 2018, il a embauché Franck Guiader, pour devenir directeur de l’équipe 255 de Gide. Expert des technologies avancées, de la finance numérique et de la régulation des innovations (blockchain, NFT, ICOs, etc.), il conseille des entreprises et des institutions, publiques et privées, dans leurs projets de développement, qui nécessitent d’intégrer à leur structuration juridique des spécificités liées aux technologies. « La valeur ajoutée d’un profil comme celui de Franck Guiader est d’avoir une compréhension opérationnelle de ces nouveaux sujets, qui ne sont pas encore complètement encadrés juridiquement, ce qui est d’une grande utilité aux clients, dans le cadre de leurs décisions stratégiques et opérationnelles, et aux avocats, pour leurs conseils juridiques, souligne Olivier Diaz.

Si les avocats ne comprennent pas en profondeur les tenants et aboutissements, ainsi que les enjeux de ces nouveaux sujets, ils ne pourront pas adopter une construction juridique adaptée à leur clientèle ». Les cabinets d’affaires commencent aussi à officialiser des partenariats de longue date. Des collaborations ayant en réalité débuté quelques années au préalable. Fin avril, Fieldfisher a, par exemple, renforcé son équipe life sciences en s’associant au cabinet de conseil réglementaire MedReg Sciences. La firme a déclaré s’appuyer sur l’expertise de la présidente et pharmacienne Françoise Portefaix, notamment sur les aspects techniques et scientifiques des contentieux relatifs aux produits de santé ou de consultations réglementaires et juridiques, ainsi que dans le cadre transactionnel, en particulier sur les due diligences réglementaires et juridiques auprès d’investisseurs en santé. « Notre collaboration formalisée avec Françoise Portefaix et MedReg Sciences nous permet d’offrir, à nos clients en Europe et aux États-Unis, une expertise complète, réglementaire, juridique et scientifique, et de leur apporter des conseils stratégiques et opérationnels de haut niveau », commente Olivier Lantrès, co-head international du département life sciences de Fieldfisher, qui souhaite avoir une approche business associant les expertises réglementaire, scientifique et juridique, dans l’objectif d’apporter une réelle valeur ajoutée aux industriels de la santé.

Une fonction qui n’est plus réservée aux professeurs

Pour autant les conseils de professeurs de droit semblent toujours aussi recherchés. Les avocats de Gide, par exemple, recourent à une demi-douzaine de professeurs de droit pour les accompagner sur les dossiers. « Présents à temps partiel, ils interviennent sur des questions complexes grâce à leur culture juridique très générale, explique Olivier Diaz. Ils permettent aux avocats de prendre du recul et de la hauteur sur leurs dossiers, dans le cadre d’un contentieux, ou vis-àvis d’une autorité de régulation, et de sécuriser leurs analyses juridiques ». Le cabinet Freshfields fait lui aussi appel à une grande variété de professeurs à titre ponctuel, comme consultants, sur les dossiers. « Ces collaborations apportent une véritable valeur ajoutée aux avocats. Néanmoins, sauf exceptions, je ne suis pas convaincue de l’utilité d’avoir un consultant rattaché au cabinet à temps plein », lance Hervé Pisani.

Soulignant l’intérêt de travailler avec des jeunes professeurs durant la phase de préparation de l’agrégation, l’avocat ajoute : « Ce sont d’excellents juristes qui sont très intéressés par le fait de confronter leur sens juridique avec la pratique. Ces collaborations sont toujours une réussite ». Quelques cabinets continuent pourtant à mettre ces recrutements en avant. En octobre 2021, l’arrivée du professeur Jean-Christophe Roda, en qualité de consultant, a été annoncée au sein du bureau lyonnais de Cornet Vincent Ségurel. Intervenant aux côtés de l’équipe de droit économique de Luc-Marie Augagneur, associé, ainsi que des avocats en contentieux, il fait part de sa vision sur les questions juridiques complexes traitées par ces avocats dans leurs dossiers. « Agir aux côtés des avocats de CVS me donne l’opportunité d’être au plus près de la pratique des entreprises et d’appliquer ma réflexion à des situations délicates demandant hauteur de vue et innovation », a déclaré le nouvel arrivant. Et Luc-Marie Augagneur de commenter : « Pouvoir nous appuyer sur l’expertise du professeur Roda dans les affaires complexes que nous traitons est d’une grande valeur pour nos clients. Il nous apporte une expertise reconnue, bien sûr, mais aussi des idées de solutions innovantes et une connaissance fine des pratiques internationales ».

Le cabinet De Pardieu Brocas Maffei a quant à lui accueilli le professeur agrégé de droit privé Louis Thibierge, fin 2019, non pas comme consultant mais en qualité d’expert, tant en matière contentieuse ou arbitrale, qu’en conseil. Un an plus tôt, c’est le cabinet SBV Avocats, qui annonçait l’arrivée du célèbre professeur agrégé de droit public Jean-Claude Ricci, en qualité de consultant. Outre son expertise mise à disposition des avocats du cabinet, le professeur tient mensuellement sur le site internet une chronique de jurisprudence des décisions du Conseil d’État. On ne manquera bien sûr pas de citer le professeur agrégé et blogueur à ses heures, Bruno Dondero, spécialisé en droit des sociétés et des fusions-acquisitions, en droit des contrats et en droit financier. Ayant d’abord collaboré avec Castaldi Mourre & Partners, en tant que consultant, il a ensuite intégré le conseil scientifique de Gide, puis le cabinet CMS Francis Lefebvre en tant qu’associé en 2018.

Être professeur n’empêche pas d’évoluer vers un métier d’avocat. L’arrivée, mi-mai, du professeur agrégé de droit économique Bruno Deffains, chez De Gaulle Fleurance et Associés, en qualité d’of counsel, en est le parfait exemple. Il apporte notamment aux clients du cabinet son expertise sur les questions d’évaluation et de réparation des préjudices concurrentiels, commerciaux, environnementaux et écologiques, les conseillant aussi sur les enjeux liés à la transformation numérique.