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Les notaires veulent conseiller les entreprises

Par Anne Portmann

Lors du 118e Congrès des notaires, qui s’est tenu à Marseille du 12 au 14 octobre 2022, la profession de notaire a formulé des propositions et des recommandations visant à fluidifier la vie des affaires et améliorer la compétitivité des entreprises.

C’est dans le cadre d’un Congrès innovant, à bien des égards, que les notaires, conscients de la nécessité d’investir le champ du conseil au client, dans un contexte où la bulle immobilière menace d’éclater et où l’acte authentique semble s’éroder, ont réfléchi à des solutions nouvelles pour leurs clients entrepreneurs. Le thème de cette 118è conférence était, en effet, celui de l’ingénierie notariale, revendiquée par la profession comme étant au service des citoyens. La 2e commission de droit de l’entreprise, présidée par Frédéric Aumont et composée des rapporteurs Hubert Mroz et Sophie Thibert-Belaman, a présenté quatre propositions de réforme. Les speakers ont débuté leur conférence en expliquant que, tels des Monsieur Jourdain, ils faisaient déjà tous du droit de l’entreprise sans le savoir. Ils rédigent ainsi régulièrement des baux commerciaux, des actes de cession de fonds de commerce, ou encore des statuts de société civile. Mais ils veulent aller plus loin grâce à leurs idées de réforme.

Davantage de souplesse et d’adaptabilité

Dressant le constat d’un choix limité, en France, entre les SAS et les SARL qui ont chacune leurs avantages et inconvénients, Hubert Mroz a rappelé que, selon une étude menée par la Banque mondiale, la France arrivait au 37e rang des pays dans lesquels il est facile de créer une entreprise, derrière le Kazakhstan et le Tadjikistan. La commission a donc proposé, en premier lieu, la création d’un nouveau modèle d’entreprise, baptisée « société libre », qui laisserait toute latitude à ses créateurs pour composer, à la carte, une société dont les statuts pourraient piocher dans le régime de l’une ou l’autre des structures existantes. « Elle offrira un cadre légal sécurisé, mais des règles minimalistes », pensent les promoteurs de cette nouvelle forme d’entreprise qui veulent en faire un outil évolutif. « Cette société pourra émettre des valeurs mobilières et les options sociales et fiscales seront ouvertes et modifiables à certaines échéances », a expliqué la commission. Autre proposition présentée : celle qui vise le régime juridique des droits sociaux des sociétés non cotées. L’article 1832-2 du code civil fait une différence, estimée obsolète, selon que ces droits sociaux sont négociables ou non. La commission propose d’abroger cet article, d’étendre l’article 1424 du code civil qui exige l’accord des deux époux pour la vente, à tous les titres de sociétés non-cotées et de reconnaître, pour ces derniers, une distinction entre le titre et la finance, que ces droits soient négociables ou non.

Prise en compte des enjeux RSE

Face aux enjeux grandissants des questions de conformité de responsabilité sociale et environnementale dans le monde de l’entreprise, les notaires ont estimé qu’il était de leur devoir d’agir. Car pour se développer et trouver des financements, les entreprises doivent désormais prouver qu’un certain nombre de procédures internes sont mises en place. La 2e commission propose en conséquence la création d’un certificat de conformité juridique et éthique, qui serait valable trois ans. L’établissement de ce certificat ne serait pas réservé qu’aux seuls notaires, mais à l’ensemble des professionnels du droit et du chiffre, à condition qu’ils aient suivi une formation adaptée. Toujours dans la volonté de promouvoir l’entreprise durable, les notaires suggèrent en outre de réformer le fonds de pérennité, en permettant sa création à la fois par les personnes physiques et les personnes morales, en instituant une présomption de conformité à l’intérêt social de l’entreprise en cas de donation de titres par une société et en instituant la neutralité fiscale de la transmission d’actifs à ces fonds.

Huit recommandations

Au chapitre des recommandations techniques, la 2e commission propose des ajustements pour améliorer la vie des affaires. Ses membres appellent ainsi de leurs voeux l’extension du régime d’insaisissabilité de la résidence principale à tous les mandataires sociaux d’entreprises. Ils demandent également à ce que les sociétés civiles puissent devenir des sociétés à mission. Ils formulent en outre certaines suggestions pour moderniser le droit des sociétés, comme l’introduction de la société civile unipersonnelle, ou encore la possibilité, pour une SARL, d’avoir un gérant personne morale. Concernant les transmissions, à l’unisson d’autres professionnels, ils se prononcent pour la refonte du Pacte Dutreil. En matière de difficultés des entreprises il est proposé d’avoir recours à un acte authentique pour constater l’accord de conciliation non-soumise à homologation entre le débiteur et ses créanciers - le conciliateur pouvant d’ailleurs être un notaire. L’homologation, pour le cas où celle-ci serait obligatoire, pourrait de la même façon être remplacée par un recours à l’acte authentique. Les notaires veulent aussi étendre la durée de l’usufruit détenu par une personne morale de 30 à 99 ans maximum, sans pouvoir excéder la durée de vie de la société. Ils se prononcent enfin en faveur de la réécriture de l’article 1184 du code civil, sur le démembrement des parts sociales pour assouplir et sécuriser le mécanisme.

Réformer et promouvoir la fiducie

Pour finir, c’est l’ensemble des membres du Congrès et des trois commissions (immobilier, entreprise et famille) qui ont formulé un voeu commun sur la réforme de la fiducie. « Chaque commission, au fil de ses travaux, a conclu que la fiducie était un outil extraordinaire qui pouvait être mis au service de la société », ont indiqué les notaires. La commission « entreprise » a particulièrement pointé son intérêt en tant qu’outil de restructuration, dans le contexte de la vague de retournements qui s’annonce. Selon eux, la sous-utilisation de ce mécanisme en France s’explique par trois raisons essentielles : d’abord, en l’état actuel du droit, la fiducie prend fin avec le décès du constituant, elle est en outre interdite aux fins de libéralité et, enfin, le nombre de fiduciaires demeure faible dans l’hexagone. Les notaires proposent donc de lever ces verrous, en abrogeant notamment les articles 2013 et 2030 du code civil. Enfin, revenant sur le refus qu’ils avaient opposé en 2007 lors de l’introduction de la fiducie en droit français, les notaires souhaitent désormais avoir la possibilité de devenir fiduciaires. Et pour favoriser la sécurité des montages, ils proposent tout simplement que la fiducie-libéralité soit constituée par voie notariée