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Les clauses d’arbitrage conclues avec des consommateurs seraient-elles devenues abusives ?

Par Ondine Delaunay

Dans un arrêt du 30 septembre 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation approuve un arrêt d’appel qui a remis en cause l’application du principe compétence-compétence en présence d’un consommateur, avant d’écarter une clause d’arbitrage jugée abusive. La portée de cet arrêt semble toutefois plus limitée qu’il n’y paraît à la première lecture. Explications et analyse par Shaparak Saleh, associée du cabinet Teynier Pic.

Quels étaient les faits de cet arrêt du 30 septembre 2020 ?

Sur fond de succession contestée, une action en responsabilité a été initiée devant les tribunaux français contre la société d’avocats espagnols PwC. Celle-ci a contesté, à titre principal, la compétence de la juridiction étatique sur le fondement de la clause compromissoire stipulée au contrat. Dans un arrêt du 15 février 2018, la cour d’appel de Versailles s’est déclarée compétente malgré la clause compromissoire, celle-ci étant qualifiée de clause abusive. L’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi lequel est rejeté par la Cour de cassation, qui limite, ce faisant, la portée du principe compétence-compétence.

Qu’est-ce que le principe compétence-compétence ?

Il recouvre deux volets. Le premier est positif : l’arbitre a priorité pour connaître de sa compétence. Dès lors – et c’est le volet négatif – les juridictions étatiques doivent se dessaisir en présence d’une clause d’arbitrage (art. 1448 du CPC). L’article 1506 du CPC rend cette disposition applicable en matière internationale. Le but : empêcher les manœuvres dilatoires d’une partie souhaitant se soustraire à l’arbitrage. Le principe compétence-compétence n’est toutefois pas absolu. Le juge étatique peut en effet retenir sa compétence si le tribunal arbitral n’est pas encore constitué, et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou inapplicable (art. 1448 du CPC). En outre, le principe n’est pas d’ordre public en matière internationale. L’article 1506 le précise à deux reprises en (i) indiquant que les parties peuvent prévoir une solution différente de celle édictée par l’article 1448 du CPC, et (ii) en excluant du champ des alinéas applicables en matière internationale l’alinéa 3 qui prévoit que la clause contraire est réputée non-écrite en matière interne. Les contractants peuvent donc exclure tout contrôle a priori du juge français, ou bien étendre ce contrôle au-delà des cas de nullité ou d’inapplicabilité manifestes. Rappelons par ailleurs que les décisions rendues par les arbitres sur leur compétence font l’objet d’un contrôle plein par le juge de l’annulation qui veille au respect de la volonté des parties. Enfin, depuis les années quatre-vingt, l’application du principe compétence-compétence connaît des limites dans les rapports entre employeurs et employés. D’abord jugée nulle1, la clause d’arbitrage est désormais inopposable aux salariés2.

Qu’en est-il en présence d’un consommateur ?

Depuis l’arrêt Jaguar de 1997, les juridictions françaises faisaient une application stricte du principe compétence-compétence en présence d’un consommateur3. Concrètement, celui-ci devait commencer par saisir l’arbitre s’il entendait contester la validité de la clause d’arbitrage. Cette solution était critiquée par la doctrine au motif que l’arbitrage n’est pas un mode de résolution des différends adapté en présence d’une partie faible. Depuis un arrêt Claro de 20064, la position du droit français semblait en outre difficilement conciliable avec celle de la CJUE qui avait estimé qu’un consommateur attrait à l’arbitrage pouvait invoquer, pour la première fois au stade du recours contre la sentence, le caractère abusif de la clause. Nous étions donc dans l’attente de l’affaire qui donnerait l’occasion au juge français d’adapter sa jurisprudence.

Et c’est ce qu’il fait avec cet arrêt…

L’arrêt du 30 septembre 2020 est en effet un revirement. La Cour de cassation approuve la cour d’appel de Versailles pour avoir écarté le principe compétence-compétence, sur le fondement du droit communautaire, en présence d’un consommateur, avant d’examiner elle-même la validité de la clause d’arbitrage. Une nouvelle exception à l’aspect négatif du principe compétence-compétence voit donc le jour en présence d’un consommateur, dans le cadre communautaire.

On relèvera que la Cour de cassation semble écarter tout l’article 1448 du CPC et qu’elle ne se contente pas de constater que la clause d’arbitrage serait « manifestement inapplicable ou manifestement nulle ». La solution retenue trouve sa justification dans les exigences du droit communautaire. L’avenir nous dira si elle sera transposée dans les cas où le droit communautaire est inapplicable ou si, dans la lignée des arrêts Jaguar et Rado, le principe compétence-compétence continuera à être opposé aux consommateurs non-communautaires.

La solution adoptée ne va donc peut-être pas aussi loin qu’on aurait pu l’imaginer ?

Tout à fait. En résumé, cet arrêt signifie qu’il appartient au juge étatique de se prononcer sur la validité de la clause d’arbitrage opposée à un consommateur, lorsque le droit communautaire est applicable.

C’est ensuite au cas par cas que les juridictions françaises décideront si une clause d’arbitrage est abusive ou non. Cette approche est d’ailleurs conforme au Code de la consommation (art. L.212-1 et R-212-2) qui dispose que les clauses compromissoires sont simplement présumées abusives à défaut de preuve contraire rapportée par le professionnel. Certains regretteront que la Cour de cassation n’ait pas jugé, comme pour les salariés, que la clause d’arbitrage est inopposable aux consommateurs (abstraction faite du point savoir si le droit communautaire est ou non applicable). En effet, si l’arbitrage est un mode de règlement des conflits adapté dans les rapports entre professionnels, il peut sembler inadéquat dans les rapports impliquant une partie faible, en raison du coût de la procédure et de l’éloignement potentiel du lieu de l’arbitrage du domicile du consommateur ou du salarié. Il ne saurait s’agir d’autant d’obstacles insurmontables à l’accès à la justice.

Notes

1. Cass. soc., 12 février 1985, Chauzy.

2. Cass. soc., 16 février 1999, Château Tour Saint-Christophe
c. Aström. Voir aussi : Cass. soc., 30 novembre 2011.

3. Cass. civ. 1, 21 mai 1997, Jaguar ; Cass. civ. 1, Rado, 30 mars 2004.

4. CJCE, 26 octobre 2006, Claro.

Teynier Pic Shaparak Saleh