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Les chantiers de la collaboration pour répondre aux malaises des jeunes avocats

Par Ondine Delauynay

Jeudi 29 septembre, l’Ordre des avocats au barreau de Paris organisait une journée de réflexion, visant à cibler les difficultés liées à la collaboration libérale et à faire émerger des propositions concrètes à mettre en oeuvre pour faire évoluer le contrat de collaboration.

C’est devant une salle du Palais des Congrès de Paris assez parsemée, grève des transports oblige, que les représentants de l’Ordre du barreau de Paris se sont livrés à la restitution des ateliers, débats et propositions formulées durant la matinée. Neuf ateliers ont été présentés, centrés autour de trois thématiques principales : le bien-être au travail, l’égalité et la lutte contre le harcèlement et les discriminations, ainsi que le recrutement, l’évolution et l’association. De cet exercice qualifié « d’inédit » par la bâtonnière, Julie Couturier, qui en avait d’ailleurs fait une promesse de campagne, la volonté a été clairement affichée de mettre de côté les tabous et les non-dits. « Nous avons placé le débat sous le signe de l’intelligence collective, toutes les opinions ont leur place pour engager le changement », a introduit la bâtonnière. S’en sont suivis des constats déjà soulevés, mais non moins alarmants : la génération d’avocats ayant moins de dix ans de barre est en recherche d’autonomie, de parcours non linéaires. Leur ambition personnelle est mise au service du collectif et s’ils ne remettent pas en cause l’autorité, celle-ci doit néanmoins s’accompagner d’une légitimité intellectuelle et professionnelle. Environ 25 % d’entre eux abandonnent la robe avant la fin de leur première décennie d’exercice. Et, de fait, les cabinets ont les plus grandes peines à attirer et recruter des jeunes avocats. « Le prestige d’exercer en cabinet s’est un peu amoindri face au monde de l’entreprise », a-t-il été noté. « L’entrepreneuriat, qui est une valeur forte de notre métier, est aujourd’hui concurrencé par d’autres filières où l’entrepreneuriat existe aussi », a-t-on entendu du représentant de l’ACE. Et surtout, la mobilité ne fait plus peur. Des passerelles ont été créées entre les différents métiers du droit – et pas uniquement avec les juristes en entreprise – que les jeunes n’hésitent plus à utiliser dans leur carrière.

Une succession de propositions

Pour faire face à ce patchwork de difficultés, l’Ordre du barreau de Paris a souhaité faire émerger des solutions concrètes, via un travail de co-construction entre l’ensemble des parties prenantes au contrat de collaboration. Des propositions d’échanges réguliers entre le cabinet et les collaborateurs ont été formulées, de formation des avocats au management dès l’EFB, et d’explication des règles du cabinet aux nouveaux entrants par le biais d’un livret d’accueil. « Il convient de donner à chacun l’opportunité de comprendre qu’il constitue un maillon d’une grande chaîne. La formation et le dialogue sont les motsclés de ce débat », a expliqué Alexandre Ippolito, associé du cabinet White & Case. Pour pallier la charge de travail inhérente à ce métier, il a été discuté d’augmenter la période de congés payés. Certains cabinets ont mis en place six ou sept semaines de congés par an, ce qui a fait réagir la salle. Un jeune collaborateur a fait remarquer que les textes ne définissent pas le temps consacré à la collaboration. « Pourquoi ne pas y réfléchir ensemble ? », a-t-il été lancé. La question d’une meilleure gestion des problèmes de harcèlement et de discrimination a bien sûr été abordée. Là encore, sans tabou, comme l’ont souhaité la bâtonnière et son vice-bâtonnier depuis le début de leur mandat. « Tout le monde peut être bourreau ou victime, a expliqué Valentine Vergnoux, psychologue clinicienne. Il y a peu de véritables pervers, mais les mécanismes de déviance perverse surviennent lorsque l’organisation interne est mauvaise ». Dès lors, une solution a été envisagée : celle de mener, à échéances régulières, une introspection de l’organisation du cabinet. Il a également été proposé de former les élèves de l’EFB sur ce qu’est une « collaboration normale », afin qu’« ils ne se laissent pas enfermer dans cette emprise de victime de harcèlement ». Il a enfin été envisagé d’organiser un événement de l’Ordre sur le sujet, un week-end, pour permettre à ceux qui ont des questions de s’y rendre sans craindre des représailles de leurs supérieurs.

Pas de tabou mais un sujet évité

Mais à l’issue de cette journée, les commentaires ont été mi-figue mi-raisin sur les réseaux sociaux. « Je ne peux m’empêcher de penser que nous sommes, à bien des égards, passés à côté du sujet », a relevé l’avocate Léna Bojko sur LinkedIn. Pourquoi ne pas tout simplement avoir répondu à la question : doit-on conserver le contrat de collaboration libérale ? « Pendant notre campagne, il nous est apparu que l’on était peutêtre arrivé au bout d’un système et l’on se posait la question de la viabilité du statut du collaborateur libéral. Cette manifestation n’a pas forcément pour objectif de répondre à cette question fondamentale par la positive ou par la négative », s’est exprimée la bâtonnière dans un interview paru chez nos confrères des Affiches parisiennes. Comme la rédaction de la LJA n’a pas bien compris pourquoi une journée de débats présentés sans tabou évitait scrupuleusement de répondre à une question essentielle, elle a lancé un sondage sur sa page LinkedIn. Les résultats sont sans appel. Quelque 86 % des répondants estiment qu’il faut réformer le contrat de collaboration libérale. Peut-être que la deuxième édition des Chantiers de la collaboration pourrait enfin avancer sur ce débat ? ■ Ondine Delaunay