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Le climat, la justice pour quoi faire ?

Par Jeanne Disset

La cour d’appel de Paris vient d’annoncer la mise en place, au sein de son pôle économique, d’une chambre dédiée aux contentieux transversaux mettant en jeu des questions environnementales, La France manifeste ainsi sa volonté d’être pionnière en matière de responsabilité écologique. « Le climat : la justice pour quoi faire ? » était d’ailleurs le thème du colloque inaugural de l’Association française des magistrats pour la justice environnementale (AFMJE), du 9 décembre 2023, qui a réuni de hauts magistrats, chercheurs et professeurs d’université de premier plan, avocats, juristes, mais aussi des étudiants, associatifs, non-juristes engagés. Décryptage.

«Jus Lex Pax Planetae Mater », c’est la devise de l’AFMJE qui existe depuis 2021. Son cofondateur et président, le magistrat Jean-Philippe Rivaud, en avait expliqué les fondements à la LJA, souhaitant fonder une société savante et non un think tank ou une association militante ou politique (cf. LJA 1495). Sa raison d’être se retrouve dans l’application et l’effectivité du droit de l’environnement. Vaste programme et nécessité, car le droit de l’environnement est un droit technique (il trouve ses sources dans environ 500 conventions internationales) ; il s’est accéléré et se retrouve jusque dans le devoir de vigilance, « la sphère climatique s’intégrant dans les droits humains », comme l’a souligné Corinne Lepage lors de ce colloque inaugural. Enfin, ce droit a une incidence non seulement sur le droit administratif, mais aussi sur le droit civil, commercial, social, le droit de la santé ou le droit pénal.

Invité lors de cette journée de conférences, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a salué la création de l’association et souligné que la multiplication des réformes était bien la preuve de l’implication des pouvoirs publics. « Un sujet essentiel… une priorité majeure du gouvernement », a-t-il lancé, marquant ainsi un intérêt réaffirmé de la Chancellerie pour la protection de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique. La justice doit être au rendez-vous pour prévenir, sanctionner et réparer les atteintes à l’environnement. Il a poursuivi : « Comme la justice est un régulateur de l’environnement, il est nécessaire d’organiser les circuits » : création des pôles régionaux spécialisés, présence d’un référent environnemental dans chaque parquet, mise en place d’une CJIP environnementale « pour appliquer le principe pollueur/payeur » et réorganisation des comités de lutte contre la délinquance environnementale (Colden). Concrètement, reste la question des moyens de toutes ces réformes, les pôles régionaux ayant été créés il y a trois ans et étant encore en train de s’organiser.

Rappelant que la délinquance environnementale constitue le quatrième plus gros trafic mondial, Sarah El Haïry, alors secrétaire d’État chargée de la biodiversité, a prôné la sévérité à l’égard des écodélinquants : « Nous voulons nous attaquer aux trafics indéfendables, qui détruisent les espèces et les milieux naturels, dont les trafics de déchets, les commerces illégaux, qui participent à la déforestation, etc. Je promeus donc la plus grande fermeté ». Une stratégie nationale de contrôle sera bientôt adressée aux préfets et aux procureurs.

Les deux ministres n’ont pas été les seuls à largement insister sur l’accélération d’une « filière » répressive. En matière d’environnement, notre système juridique et de régulation passe d’une police administrative à une police pénale. C’est ce qui est finalement le plus fondamental. Et c’est un symptôme de plus du retour de la pénalisation des affaires.

Un droit pénal climatique
approché, mais non fixé

La table ronde d’ouverture, consacrée au droit pénal du climat, était exemplaire des problématiques posées au droit répressif de l’environnement. Les critères classiques du droit pénal ne sont en effet pas simples à appliquer à l’environnement et encore plus au climat : la charge de la preuve, le lien de causalité, l’intentionnalité. Force est de constater que le droit pénal s’applique plus vite lorsque la personne humaine est en jeu. Mais quand il s’agit d’atteinte à l’environnement, une dimension éthique s’ajoute et la difficulté reste l’impact et la mesure du fait.

Le propos a débuté par le rappel des infractions créées dans ce nouveau pan du droit pénal, qu’il s’agisse des infractions de risques (le délit de risques causés à autrui ou encore l’abstention de combattre un sinistre) ou des infractions d’atteintes (destruction de biens, délit général de pollution, violation de la réglementation, etc.) à l’homme ou à l’environnement. Si les concepts préexistants comme l’applicabilité de l’homicide involontaire sont toujours pertinents, comment intégrer un raisonnement en probabilité en droit pénal ? Bien sûr la science peut venir aider le juriste malgré sa technicité, mais les expertises techniques sont onéreuses, difficiles, très complexes à faire et à comprendre. Le lien de causalité étant au cœur de ce lien sciences et environnement, il est donc particulièrement difficile d’établir la chaîne de responsabilité. L’exemple du vol Rio-Paris est de ce point de vue très intéressant : si les sondes Pitot, facteur réel, à fort impact, sont causales, elles ne sauraient être les seules raisons du crash. Et les causalités indirectes ne peuvent intervenir qu’en cas de faute grave, pour se tourner vers une personne morale.

La question de la preuve reste cruciale et implique ces questionnements relatifs à l’introduction de la science dans les procès, ainsi qu’aux moyens pour rapporter et supporter les coûts de la preuve. Comment tribunaux et enquêteurs peuvent-ils imputer l’atteinte ? Qui doit prouver ? Comment documenter la preuve ? En droit pénal, cette question ne devrait pas se poser, les règles existent. Mais les atteintes étant diffuses, indirectes et multifactorielles, il reste difficile d’en démontrer les causes et d’attribuer un rôle à chacun. Emmanuel Daoud, associé du cabinet Vigo, a suggéré que les parquets accueillent avec bienveillance l’action des ONG et des associations qui documentent beaucoup les faits, qui en matérialisent l’élément moral et les révèlent au public. Ce ne serait plus seulement le parquet qui représenterait l’intérêt général de la société. Ces acteurs, spécialistes, pourraient être mieux intégrés : « les associations et les ONG sont les mieux placés pour représenter les générations futures, premières concernées ». Un grand absent devait néanmoins être relevé lors de cette table ronde : le potentiel pollueur, le présumé pollueur : l’entreprise. Elle apparaît en fond, mais personne n’a exprimé son point de vue.