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L’anticorruption mis à l’honneur durant le GACS 2023

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Organisé par les Business & Legal Forums, le Global anticorruption & compliance summit (GACS) s’est tenu le 6 avril 2023 à la Maison des Arts & Métiers. Une rencontre annuelle riche en enseignements, qui a permis de faire le point sur les préoccupations des décideurs en matière de compliance et tracer les lignes pour une pratique professionnelle en phase avec les enjeux des entreprises de demain.

C’est sur fond de changement de présidence à l’Agence française anticorruption (AFA) que le GACS a eu lieu cette année. Si le successeur de Charles Duchaine n’a pas encore été désigné par le président de la République, personne dans le forum ne semblait savoir avec certitude qui sera l’heureux(se) élu(e). A juste été évoquée l’hypothèse d’une nomination en mai ou en juin. Fort heureusement l’institution était dignement représentée dans les débats du GACS, grâce à Julien Laumain, le chef du département du contrôle des acteurs économiques de l’AFA. À l’occasion d’une première table intitulée « Justice négociée, quand y recourir ? », il a encouragé les entreprises à mener des enquêtes précises et fouillées dès les premières manifestations d’un problème de corruption. Il a également rappelé de veiller à comprendre comment ont é t é découver ts les premiers signes, quel dispositif du programme d’anticorruption a été efficace et quel autre a démontré ses limites. Poursuivant, Dominique Bourrinet, directeur juridique du groupe Soc ié té Géné r al e , P a s c a l e C h a n c e l , directrice juridique de Colas et l’associé de Bredin Prat, Guillaume Pellegrin, se sont interrogés sur le moment où l’entreprise doit prendre contact avec le Parquet national financier (PNF) pour s’autodénoncer. La récente mise à jour des lignes directrices du parquet (cf. LJA 1569) laisse à penser que le PNF est disposé à négocier à tout moment, « à l’exception des cas incluant à titre connexe des atteintes graves aux personnes ». Pousser les portes du PNF permet en outre de bloquer les éventuelles poursuites des autorités étrangères. « Il vaut mieux être encadré par le parquet français plutôt que de subir un monitoring pluri juridictionnel, notamment de la SEC et du DoJ », a-t-il été lancé1. Mais attention à l’asymétrie des informations, car le parquet peut avoir déjà commencé à conduire des investigations en enquête préliminaire, qu’il n’est pas tenu de révéler durant les négociations. « L’entreprise n’a aucune visibilité sur les pièces détenues par le parquet. Elle doit donc avoir mené, de son côté, au préalable, les investigations nécessaires pour élucider les faits », a-t-il été conseillé. Cette étape est d’autant plus indispensable si la convention négociée n’est pas homologuée par le juge. Jusqu’à présent, aucune CJIP n’a eu à subir un tel revers. Mais plusieurs CRPC en ont fait les frais. Rappelons le cas Bolloré bien sûr et, plus récemment, celui de Jean-Marie Messier, dont le dossier est demeuré assez discret jusqu’ici. Le sujet a été abordé à l’occasion d’une seconde table ronde intitulée « CRPC/CJIP : comment les dirigeants s’en sortent-ils ? ». Autour d’Aurélien Létocard, premier vice-procureur financier, se sont répondus Arnaud Bergauzy, head of insurance risk management de Lafarge France, Emmanuel Dupic, directeur éthique et conformité de Dassault Aviation, Philippe Goossens et Laetitia Daage, avocats au sein du cabinet Advant Altana. Ils ont constaté que si la convention négociée n’est pas homologuée et que le dossier part au fond, « c’est la double peine » puisque les faits ont tous été reconnus et révélés par l’entreprise et ses dirigeants. Mais de s’interroger : si l’infraction est passée inaperçue, pourquoi s’autodénoncer ? La CJIP n’est pas sans conséquences pour l’entreprise, a-t-il été rappelé. Elle change l’attention des régulateurs à l’égard de la personne morale, mais aussi celle des ONG. Il semble donc important d’évaluer sa stratégie avant d’aller voir le PNF car « on ne négocie pas autour d’une tasse de thé », comme il avait été lancé lors de la conférence de présentation des lignes directrices du PNF au Panthéon en mars dernier. Si le dirigeant est innocent, il ne doit pas s’engager dans une CRPC. « La justice doit rester la justice, a lancé un avocat. Il ne faut pas craindre le combat judiciaire ». Et de rappeler que la CJIP ne garantit aucune immunité au dirigeant qui était en place au moment des faits.

Quand la compliance bouscule la supply chain

Plus tard au cours de la matinée, les participants au GACS ont continué à s’interroger sur la responsabilité de l’entreprise et des dirigeants, mais cette fois-ci dans les circuits de production. Éric Lasry et Clotilde Guyot-Richard, avocats chez Baker McKenzie, Jean-Marie Gauvain, directeur des risques et de la conformité de Casino, Luis Quinonero, directeur juridique en charge du développement durable de L’Oréal et Julie de la Sablière, fondatrice de l’agence de communication Little Wing ont souligné qu’il n’était pas nécessaire d’opérer dans de lointains pays pour se retrouver confronté à des problématiques relatives aux conditions de travail ou de production. La vigilance, notamment sociale, doit être le mot d’ordre à chaque échelon de la chaîne de valeur. Et à l’heure du 10e anniversaire de la tragédie du Rana Plaza, force est de constater que depuis quelque temps, l’attention est davantage portée sur le « S » de ESG. Même en France, l’esclavage moderne n’est pas une fiction. Un opérateur s’est ainsi séparé d’un sous-traitant qui hébergeait des travailleurs saisonniers dans des conditions indignes, ou ne les déclarait pas. Les intervenants insistent sur la nécessité de vérifier dans quelles conditions exercent tous leurs prestataires… jusqu’aux avocats. Les révélations de possibles faits de harcèlement par un associé sur ses collaborateurs, telles que parues récemment dans la presse française, pourraient en effet causer des dommages à la réputation des clients. « La loi sur le devoir de vigilance pourrait trouver à s’appliquer », a-t-on entendu. L’exemple de grands groupes faisant l’objet d’une enquête pénale pour recel de crime contre l’humanité a également été donné. De concert, les intervenants ont observé que le contenu du plan de vigilance à mettre en place par les entreprises demeure imprécis et qu’à cet égard, les décisions prises dans l’affaire Total qui visent des « mesures raisonnables destinées à prévenir les atteintes graves » font appel à des notions floues, au spectre très large. Et de citer la récente assignation du groupe Yves Rocher mis en cause parce qu’un de ses sous-traitants turcs aurait fait subir à des salariés des pressions pour les dissuader d’adhérer à une organisation syndicale. Dans la salle, une participante a pointé pour sa part la précision de la loi allemande sur le sujet, dont son entreprise se sert pour élaborer son plan de vigilance. Les participants se sont inquiétés de ce que contiendra la directive européenne sur le sujet, actuellement en préparation. Selon eux, le paysage des ONG mobilisées sur ce sujet est contrasté, certaines étant des vigies indispensables et d’autres cherchant surtout à se créer une notoriété. Dans cette dernière hypothèse, toute médiation semble donc impossible. Les intervenants ont donc enjoint les entreprises françaises à auditer leurs fournisseurs et à dialoguer au maximum avec les ONG, pour banaliser leurs rapports avec celles-ci et en faire des précieuses alliées. Car en amont du risque juridique, l’atteinte à la réputation peut causer des dommages irréversibles à l’entreprise.

Quid quand le Parquet européen s’en mêle ?

Quels impacts pour les entreprises qui seraient impliquées dans des affaires relevant de la compétence du Parquet européen ? C’est sur cette question que ce sont réunis les avocats Kiril Bougartchev et Emmanuel Moyne, associés du cabinet Bougartchev Moyne Associés, la procureure européenne déléguée pour la France Cécile Soriano, Kyrill Farbmann, european compliance director de McDonald’s ainsi que Vincent Filhol, magistrat et conseiller juridique du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. La création d’un parquet supranational, indépendant des États-membres, a été qualifiée de « révolutionnaire ». Les modalités pratiques de son fonctionnement, avec l’articulation des règles de procédures de chaque État-membre auxquelles les procureurs restent soumis selon leur nationalité, ont été décrites, en renvoyant au premier rapport de l’institution pour 2022, publié au début du mois de mars 2023. En termes d’efficacité, il est relevé que le nouvel organisme, en 2022, a rapporté six fois plus qu’il n’a coûté. Les débats ont néanmoins soulevé le problème de l’absence de coopération de la Hongrie et de la Pologne, pays qui n’ont pas adhéré et qui refusent de collaborer avec les magistrats du Parquet européen. Un intervenant rappelle ainsi que dans la fameuse et répandue « escroquerie au président », les fonds partent systématiquement dans des établissements bancaires hongrois. Toutefois, la tribune a salué l’infléchissement du gouvernement fédéral suisse, qui après avoir refusé de coopérer avec le Parquet européen, a f inalement révisé sa position. Les intervenants ont ensuite détaillé les pouvoirs de l’institution, qui exerce à la fois les attributions d’un procureur et celles d’un juge d’instruction français, dans son domaine de compétences, pour le moment limité aux domaines définis par la directive dite « PIF » (protection des intérêts financiers de l’Union européenne). Une compétence certes résiduelle qui, de l’avis de certains, rend l’institution « inutile », notamment parce qu’elle est impuissante à poursuivre les entreprises qui contournent les sanctions prononcées à l’égard de la Russie. Une appréciation contredite par d’autres speakers, qui ont estimé que même si les dossiers de corruption ne représentent que 4 % du total traité par le Parquet européen, ce dernier a une compétence sur des questions qui intéressent les entreprises : marchés publics, importations, concurrence, etc. Ainsi, le Parquet européen serait un maillon de la démocratie dans l’Union européenne. À cet égard, les entreprises réclameraient l’extension de ses compétences et davantage de visibilité de l’institution, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’efficacité des poursuites pénales au regard du caractère transfrontalier des agissements qui nuisent aux intérêts européens.