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L’AMF bientôt réformée ?

Par Ondine Delaunay

Le 16 septembre 2025, le député Daniel Labaronne (Renaissance) a déposé devant l’Assemblée nationale la proposition de loi n°1818 visant à lutter contre la fraude financière et à renforcer la sécurité financière. Son objectif : donner à l’AMF les outils nécessaires pour renforcer l’efficacité de son action en réformant plusieurs articles du code monétaire et financier. Quelles conséquences sur la procédure ? Quels impacts sur les entreprises ? Louis-François Guéret, associé du cabinet Willkie Farr & Gallagher, décrypte le texte.

 

Pourquoi ce projet de réforme?

En mars dernier, la présidente de l’AMF, Marie-Anne Barbat-Layani, a publiquement exprimé le besoin de renforcer l’action répressive de son institution. C’est dans la continuité de cet appel que le 16 septembre, une proposition de loi visant à lutter contre la fraude financière et à renforcer la sécurité financière, a été déposée à l’Assemblée nationale par le député Labaronne. Ce projet de réforme a donc un double objectif : d’une part, renforcer l’arsenal juridique de l’AMF et d’autre part, rendre les sanctions plus effectives et dissuasives. 

Quels changements sont-ils prévus dans cette proposition de loi ? 

La proposition de loi modifie plusieurs articles du code monétaire et financier autour de trois axes : la lutte contre la criminalité organisée, la simplification des procédures répressives de l’AMF et le renforcement de l’efficacité de la procédure devant la commission des sanctions de l’AMF. 

 

Le projet de réforme renforce tout d’abord les moyens d’enquête en permettant : la collecte automatisée de données en ligne afin de les exploiter dans le cadre d’enquêtes portant sur des abus de marchés (art. 1 et 2), l’extension de l’usage d’identités d’emprunt par l’AMF, la participation des enquêteurs de l’AMF aux enquêtes pénales à la demande du procureur de la République et des juges d’instruction, tout en recentrant l’infraction d’entrave et en élargissant la coopération avec l’ensemble des parquets (art. 4, 5 et 6). 

 

Le texte introduit ensuite de nouveaux outils procéduraux, tels qu’un mécanisme de clémence incitant les auteurs ou complices de certains manquements à coopérer avec l’AMF (art. 7), une transaction simplifiée pour les manquements déclaratifs mineurs assortie d’une amende plafonnée (art. 8), ainsi que la possibilité d’assortir les injonctions administratives d’astreintes. L’AMF se voit également autorisée à communiquer sur certaines procédures, à mener des visites domiciliaires plus étendues incluant la saisie de données numériques, et à imposer des audits externes aux entités régulées (art. 10 à 12). 

 

Enfin, le dispositif proposé renforce l’efficacité de la procédure devant la commission des sanctions par le biais d’un accès élargi aux informations fiscales des personnes poursuivies, l’extension du pouvoir de sanction à l’encontre des professionnels non régulés (interdiction d’exercer un mandat social et de négociation d’instruments financiers), et contre les offres au public irrégulières. 

Quelles dispositions sont avantageuses pour les entreprises ?

Si elles ne sont pas légion, on note dans le dispositif proposé quelques dispositions tendant à une amélioration de la situation actuelle pour les émetteurs et autres acteurs concernés. 

 

L’article 7 de la proposition de loi crée un dispositif de clémence, offrant la possibilité d’obtenir, en coopérant avec l’AMF, une réduction voire une exemption de sanction, limitant ainsi le risque financier et juridique des entreprises. En adoptant une posture proactive de transparence, on peut espérer que l’entreprise favorise une relation de confiance avec le régulateur et renforce sa crédibilité auprès des autres autorités de supervision. Notons tout de même que pour en bénéficier il faudrait notamment « contribuer à identifier des personnes impliquées ou à établir la réalité de manquements susceptibles d’être sanctionnés ». L’écueil de la dénonciation intéressée n’étant jamais très loin, il faudra en surveiller la mise en place pratique avec la plus grande attention.  

 

L’article 8 de la proposition de loi prévoit la création d’un nouveau dispositif de transaction simplifiée, permettant de traiter rapidement certains manquements à des obligations déclaratives, pour un montant maximum de 30 000 €. Ces obligations déclaratives ne sont pas encore définies à ce stade mais l’on peut supposer que les déclarations des dirigeants et les déclarations de franchissement de seuils seront notamment visées. Ce mécanisme amiable pourrait être avantageux pour les entreprises et les acteurs concernés dans la mesure où il représenterait un gain de temps en réglant rapidement des manquements déclaratifs mineurs et, surtout, avec un plafond certain. Rappelons en effet qu’une irrégularité mineure en matière de déclaration peut aujourd’hui théoriquement être sanctionnée d’une amende allant jusqu’à un montant vertigineux de 100 M€.  

 

Enfin, le texte propose d’introduire un nouveau recours au bénéfice de la personne sanctionnée par une décision prononcée par la commission des sanctions. En cas de recours principal introduit par le président de l’AMF, la personne concernée pourra désormais former un recours incident. Cette possibilité assure le parallélisme avec le cadre juridique actuel et sera donc vecteur d’équité entre les droits des parties. Ce mécanisme permet donc aux entreprises d’assurer pleinement la défense de leurs intérêts, ce qui n’est pas le cas actuellement dans certaines situations. 

Quels risques pour les entreprises ?

L’article 9 du texte propose d’assortir le pouvoir d’injonction administrative de l’AMF d’une astreinte. Cette prérogative pourra représenter une pression financière immédiate pour les entreprises, en ce qu’elle représente une pénalité quotidienne ou périodique tant que l’injonction n’est pas exécutée, ce qui peut rapidement représenter un coût conséquent. 

 

Une autre proposition envisage la possibilité pour le secrétaire général de l’AMF d’imposer aux entités régulées la réalisation d’audits externes à leur coût. Le recours obligatoire à un cabinet externe spécialisé entrainera nécessairement des coûts financiers, qui peuvent être significatifs à absorber pour des petites capitalisations ou sociétés de gestion. Cette faculté soulève également des interrogations quant à la divulgation d’informations sensibles ou confidentielles. Confier l’audit juridique à un tiers implique ainsi un partage de données stratégiques, augmentant le risque de fuites ou de perte de confidentialité. Il s’agira donc de rester vigilant sur la manière dont le secrétaire de l’AMF utilisera cette prérogative.

 

De façon générale, cette proposition de loi s’inspire d’outils répressifs dont disposent d’autres autorités telles que l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de contrôle prudentiel ou encore le régulateur britannique, la Financial Conduct Authority. S’agissant de cette dernière autorité, on notera que, contrairement aux pays de common Law, le système français ne prévoit pas de legal privilege – mécanisme assurant la confidentialité absolue des communications entre un client et son conseil juridique, même en cas de poursuite. Les prérogatives du régulateur britannique sont ainsi à mettre en balance avec ce legal privilege dont bénéficie les entreprises anglaises, celui-ci ayant une portée beaucoup plus large que le secret professionnel en France. 

 

En renforçant les prérogatives de l’AMF, le texte proposé renvoie à l’équilibre très sensible entre la protection des investisseurs et l’attractivité de la place financière de Paris. On sait qu’une régulation trop lourde et coercitive peut décourager certains acteurs (notamment à cause des coûts de conformité). L’enjeu sera donc une utilisation équilibrée de l’arsenal dont bénéficierait l’AMF si cette proposition de loi était adoptée. T 

 

L’avis de l’expert forensic & compliance

L’article 12 de la proposition de loi permet au secrétaire général de l’AMF d’imposer aux entités régulées la réalisation d’audits externes afin de s’assurer du respect de la réglementation applicable. Un outil qui est présenté comme permettant d’accélérer les mesures de remédiation. Explications de Cyril Naudin, head of investigation & compliance de FTI Consulting France

Pourquoi ce nouveau pouvoir du secrétaire général de l’AMF serait intéressant pour la procédure ?

Si cet article 12 vient à être voté, l’AMF disposerait d’un nouveau levier : demander l’intervention d’un expert externe, afin d’identifier rapidement les carences réglementaires, proposer des remédiations et éviter que les éventuels manquements ne s’aggravent. Cela pourrait également accélérer les délais. Au lieu de lancer une procédure longue de contrôle, un expert indépendant serait requis. Il émettrait un rapport qui pourrait être utilisé dans les procédures et décisions ultérieures.

Quelles inspirations à cette réforme ?

Le recours à des skilled persons de la FCA est déjà une pratique bien établie en Grande Bretagne. Les exemples britanniques démontrent que l’intervention d’experts externes permet d’apporter dès le départ une vision indépendante, technique, souvent avec des compétences que les entités régulées (ou même le régulateur seul) ne peuvent pas toujours avoir en interne. L’expert externe pourrait apporter son support technique tout en garantissant une totale indépendance.

 

L’exemple UK révèle une illustration de ce que l’article 12 pourrait permettre : des examens externes spécialisés, techniques et opérationnels sur des zones de risques de non-conformité, de gouvernance, de mise en place de processus. Les expertises sollicitées vont souvent être très pointues : conformité, blanchiment d’argent, gouvernance, technologie, gestion des données….  Les résultats seront concrets pour être utiles, pragmatiques et aider le régulateur à être très précis.

Quels avantages pour les entreprises ?

Pour les acteurs régulés, cette nouvelle situation peut représenter une opportunité plus qu’une contrainte si elle est bien encadrée. Elle favorise une logique de remédiation rapide. Une revue externe peut permettre d’identifier des lacunes ou dérives avant qu’elles ne fassent l’objet de sanctions. Cela contribue à préserver la réputation, tout en renforçant la maîtrise des risques.

 

En outre, les expertises externes apportent une vraie valeur ajoutée technique. Les experts désignés (comme ceux mandatés par la FCA) interviennent avec un regard indépendant et une expérience multisectorielle. Leur diagnostic peut aider l’entreprise à faire progresser ses dispositifs de conformité, sa gouvernance ou encore ses contrôles internes.

Enfin, cette mesure peut améliorer la relation avec le régulateur. En démontrant sa capacité à collaborer et à mettre en œuvre les recommandations issues d’un audit externe, une entreprise renforce sa crédibilité vis-à-vis de l’AMF et de ses parties prenantes.

Quels risques ?

Au-delà des aspects financiers, ce dispositif nécessiterait de garantir la compétence et l’indépendance des experts pour éviter tout conflit d’intérêt. Il serait aussi crucial de bien définir le périmètre et les objectifs des audits, afin d’éviter des interventions trop larges et peu ciblées. Une coordination efficace entre expert, entreprise et régulateur sera enfin essentielle pour assurer la pertinence et la mise en œuvre rapide des recommandations. T

Ondine Delaunay