Connexion

L’AFJE s’adresse au futur garde des Sceaux

Par Par Marc Mossé, président, et Jean-Philippe Gille, président désigné de l’AFJE

Sans doute peut-on regretter une occasion manquée, mais espérer le temps des opportunités. Occasion manquée, tant la place occupée par le droit et la justice dans cette campagne présidentielle singulière sera demeurée plus que limitée. Certes, on aura noté une forme de consensus pour proposer l’augmentation des moyens du service public de la justice. Pas de surprise à cet égard, considérant la mobilisation des magistrats et greffiers soutenus par les juristes d’entreprise via la voix de l’AFJE et les organisations représentatives des avocats.

Pour le reste, le surplus aura principalement porté sur la justice pénale. Sans surprise en période électorale… Mais rien sur la justice économique, sur la justice du quotidien et, de manière générale, sur la place du droit dans notre société, sinon ce début de prise de conscience que la remise en cause du principe de primauté du droit européen cachait mal une volonté déguisée de Frexit. Alors que notre société est en mutation profonde, en raison de la révolution industrielle, du numérique et des effets du changement climatique dans un environnement géopolitique extrêmement complexe et tendu, l’impensé politique sur le rôle du droit aura bien été une occasion manquée. Pour autant, notre conviction profonde est que s’ouvre le temps des opportunités pour remettre le droit au coeur de la République. Au-delà de la mise en oeuvre probable d’une partie des recommandations à venir des États généraux de la justice, nous suggérons au futur garde des Sceaux, ministre de la Justice, deux réformes faciles à mettre en oeuvre. La souveraineté de la France et de l’Europe, l’indépendance de notre pays, ont été mises en avant par le président de la République lors de son discours du dimanche 24 avril au soir.

Nous proposons une réforme qui pourra concrètement contribuer à cette affirmation de la souveraineté en protégeant les entreprises françaises dans la grande compétition mondiale. C’est pourquoi, il faut parfaire le mécanisme de la compliance et ne plus ergoter sur la reconnaissance de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Le futur ministre n’aura pas besoin de commander de rapport supplémentaire sur le sujet. Tout a été dit et bien dit à cet égard. L’AFJE reste attachée à dégager une solution constructive et respectueuse des parties prenantes. Il appartiendra au ministre de faire le choix politique le plus pertinent. En tout état de cause, à l’heure où le juriste d’entreprise devient une figure centrale de l’entreprise confrontée à la complexité du droit et sa mondialisation, et donc à l’anticipation des risques et à la correction des éventuels comportements déviants, il est urgent de l’armer pour agir au service du bien commun. C’est d’autant plus nécessaire qu’on assiste à de nouveaux transferts que l’État opère vers les entreprises pour la mise en oeuvre de l’intérêt général. La place prise par la conformité, l’ESG et la RSE, dans nos entreprises et, demain, dans les collectivités publiques, démontre que la règle de droit est autant un vecteur de sécurité que de performance. Il importe d’être cohérent et de finir le travail en reconnaissant cette confidentialité attendue par la communauté des juristes.

Il ne peut y avoir de conformité sans confidentialité. La chambre criminelle a fait, dans son arrêt du 26 janvier 2022, une avancée significative sur le chemin, montrant qu’il y a une forme de continuité entre les avocats et les juristes d’entreprise. Le sujet a mûri et on peut aller plus loin. Sans doute la bataille se mènera-t-elle en parallèle au niveau européen, mais les entreprises françaises ne peuvent attendre indéfiniment l’égalité des armes avec leurs compétitrices. En effet, de plus en plus d’États adoptent des dispositifs juridiques extraterritoriaux qui seront très probablement instrumentalisés à des fins de compétition géopolitique. Nous proposons ensuite de moderniser la fabrique du droit et d’en finir avec l’obésité réglementaire et législative, source d’insécurité et d’affaiblissement du trajet de la loi dans l’esprit public. Dans une société qui exige protection et innovation, souveraineté et ouverture, il faut une réforme institutionnelle qui favorise un droit agile et une forme de frugalité législative. Une piste pourrait être de renforcer la qualité des études d’impact et des évaluations ex-post dans le cadre de la procédure législative et de l’exercice du pouvoir réglementaire. Comment les améliorer ? D’une part, il conviendrait d’étendre leur champ au-delà des projets de loi : les propositions de loi, les amendements d’origine parlementaire ou gouvernementale de portée substantielle, les textes réglementaires, devraient être aussi concernés. D’autre part, il serait bienvenu que ces études soient réalisées suffisamment en amont, pour que les parties prenantes puissent être consultées, et soient soumises à consultation publique. Pourquoi ne pas prendre exemple sur le droit de l’Union européenne en la matière ? À cet égard, il serait essentiel que la société civile, dont les entreprises, soit consultée au stade de l’élaboration des études. En effet, l’une des faiblesses des études d’impact à la française tient à ce qu’elles sont préparées sans réelle interaction, voire confrontation, avec les destinataires de la norme envisagée. Une consultation préalable des professionnels compétents et en particulier des organisations représentatives des juristes d’entreprise serait évidemment une mesure bienvenue. Par ailleurs, il importerait que les études d’impact comprennent – et en particulier pour tout texte à portée économique et sociale – une appréciation précise des conséquences potentielles sur la compétitivité et l’attractivité de notre économie.

C’est le cas en Allemagne depuis 1996 et c’est, là encore, la situation au niveau de l’Union européenne, puisque l’analyse des incidences sur les PME et la compétitivité est indispensable, en sus de celles sur l’environnement et les aspects sociaux et économiques plus largement entendus. Enfin, le droit à l’expérimentation permis par l’article 37-1 de la Constitution doit être davantage utilisé de manière à établir les régulations nécessaires tout en favorisant l’innovation. Ce peut être particulièrement utile dans les secteurs liés à la transition écologique, la transformation numérique ou bien encore pour permettre aux territoires et à leurs écosystèmes de porter des projets innovants. Bien sûr, le principe d’égalité et les principes fondamentaux de notre droit devraient être respectés en toutes circonstances. Ce pourrait être un moyen de faciliter les approches multi-parties prenantes pour aborder des questions nouvelles.