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« La question du statut des élèves avocats devient urgente »

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

L’assemblée générale du CNB du 13 octobre 2023 a adopté le rapport de la commission formation professionnelle, relatif au statut des élèves avocats. Les élus sortants ont émis le souhait de voir la prochaine mandature poursuivre le travail accompli et mettre en place ce statut, crucial pour l’avenir de la profession. Les explications de l’ancien bâtonnier de Seine-Saint-Denis, Amine Ghenim, et de Pierre Reine, auteurs du rapport.

Pourquoi était-il nécessaire de se pencher sur le statut des élèves avocats ? Quelle était l’urgence ?

Amine Ghenim : Depuis des années, nos élèves avocats n’ont pas de statut défini. Ils ne sont pas étudiants, ni salariés. Le travail pour donner un statut à l’élève avocat a commencé dès le début de l’actuelle mandature, mais l’urgence s’est faite plus criante encore, compte tenu de la précarité grandissante des élèves, qui ont d’ailleurs adressé une lettre ouverte au président du CNB, au printemps 2023, réclamant un véritable statut. La commission avait commencé à travailler là-dessus depuis le début de la mandature, sur la base de l’étude de faisabilité commandée par le Syndicat des avocats de France (SAF) à un enseignant de l’université de Nanterre, Cyril Wolmark, à la lumière des possibilités et opportunités ouvertes avec la promulgation de la loi « Avenir professionnel » de 2018, notamment en termes de simplification d’accès à ce dispositif des élèves avocats.

Pourquoi le cadre de l’apprentissage vous
a-t-il paru le plus adapté ?

A.G. : Sous les précédentes mandatures, des réflexions avaient déjà été menées sur la possibilité de mettre en place un contrat d’apprentissage, mais elles n’avaient pu aboutir en raison d’incompatibilités entre les dispositions régissant à l’époque le contrat d’apprentissage et celles relatives à la profession d’avocat, notamment en matière de financement.

De la même façon, la piste du contrat de professionnalisation avait été envisagée, mais très rapidement, il a été fait le constat que ce dispositif n’était pas adapté aux besoins de la profession, en premier lieu parce qu’il concerne des personnes déjà en activité, ce qui n’est pas le cas des élèves avocats. Par ailleurs, les textes sur l’élève avocat étaient incompatibles avec ce dispositif. Lorsque la commission formation a repris le dossier, elle a réexaminé cette possibilité, mais la question a été rapidement réglée, car les textes relatifs au contrat de professionnalisation n’avaient pas évolué, empêchant leur application aux élèves avocats.

Nous avons aussi examiné l’opportunité du statut d’étudiant, au regard des règles du code de l’éducation, mais en dehors de procurer des avantages aux élèves en matière de transports ou autres, il n’avait pas beaucoup d’intérêt.

La piste de l’apprentissage nous a, en revanche, paru intéressante, notamment du point de vue financier, car le dispositif est financé par des fonds publics, ce qui permet de ne pas alourdir les charges qui pèsent déjà sur la profession. Par ailleurs, le dispositif d’apprentissage s’inscrit parfaitement dans la volonté de la profession d’orienter davantage la formation des élèves avocats vers la pratique professionnelle et donc la préparation à l’exercice de la profession. En effet, l’apprentissage permet de mettre en place un système d’alternance entre l’enseignement à l’EDA et la pratique au sein d’un cabinet. Les élèves avocats passeraient alors plus de temps en cabinet, un an au lieu de six mois actuellement.

L’introduction de ce dispositif d’alternance pourrait-elle remédier à la crise du recrutement ?

Pierre Reine : À n’en pas douter, le contrat d’apprentissage est de nature à améliorer l’attractivité de la profession et des écoles d’avocats et donc, in fine, à faciliter le recrutement des collaborateurs. À la sortie d’études de plus en plus longues à l’université, des étudiants peuvent par exemple préférer travailler immédiatement en se tournant vers l’entreprise. Avec l’apprentissage, nous pourrions leur proposer une véritable entrée dans la vie active dès l’école d’avocats : ils seraient rémunérés comme apprenti salarié, y compris pendant les cours, et cotiseraient pour la retraite notamment.

En outre, nous sommes convaincus que le contrat d’apprentissage permettrait d’améliorer l’insertion vers une collaboration. À l’heure actuelle, seulement 49 % des élèves avocats sont embauchés comme collaborateurs par le cabinet auprès duquel ils effectuent leur stage final, ce qui est assez faible. Nous sommes persuadés que grâce au dispositif d’alternance sur douze mois dans le cabinet, en comparaison du stage final actuel de six mois, les élèves avocats et les cabinets d’accueil tisseraient ensemble des liens plus forts, améliorant ainsi les perspectives de recrutement à la sortie de l’école.

Quels sont les principaux arguments qui vous ont été opposés ?

P.R. : Tout d’abord, l’idée a été bien accueillie dans son principe, comme en témoignent les retours de la concertation, notamment ceux des grands barreaux. D’ailleurs, à ce jour, ce projet est celui qui a suscité le plus de retours de concertation sous cette mandature du CNB. Il existe tout de même de multiples interrogations sur les plans juridique, opérationnel et même politique, auxquelles nous nous sommes efforcés de répondre dans notre rapport final.

S’agissant par exemple des grandes structures, nous comprenons des retours de concertation qu’elles seraient moins concernées par certaines difficultés de la réforme. Par exemple, la rémunération minimale plus élevée d’un apprenti de plus de 26 ans ne leur poserait a priori pas de difficulté, car elles rémunèrent déjà leurs stagiaires bien au-delà de ce minimum.

Il y a, en revanche, la question du rythme de l’alternance, dont certains cabinets craignent qu’il ne les prive de leurs apprentis à un moment où ils auraient besoin d’eux. Toutefois, chaque école d’avocats aurait une marge de manœuvre importante pour organiser l’alternance de façon adaptée en fonction de l’activité des barreaux de son ressort, par exemple en regroupant les cours ou en imposant la présence en cabinet à certaines périodes de l’année. À cet égard, à l’heure actuelle, notons que les cabinets rencontrent souvent des difficultés pour recruter des stagiaires avocats pendant la période du second semestre, ce qui ne serait plus le cas avec le recrutement d’apprentis sur 12 mois.

Le statut de salarié de l’apprenti a également été soulevé, mais cette crainte nous apparaît surévaluée, car les cabinets qui accueillent des stagiaires sont déjà soumis à des obligations proches de celles applicables aux apprentis. En cas de conflit entre l’apprenti et le cabinet d’avocats, le conseil de prud’hommes (CPH) serait compétent, mais il serait possible d’obtenir des pouvoirs publics que le bâtonnier soit désigné comme médiateur obligatoire. Comme sous le régime actuel, le président de l’école d’avocats serait toujours compétent s’agissant des questions disciplinaires. On peut d’ailleurs remarquer que la saisine du CPH, déjà possible actuellement pour les demandes de requalification des conventions de stage en contrat de travail, est marginale, puisqu’au cours des dix dernières années, seulement deux conventions de stage ont été soumises aux juridictions du travail.

A.G. : Il a également été dit qu’il y aurait un risque de perte de l’indépendance de la profession, avec une part de financement public en augmentation, mais cet argument ne tient pas. Les pouvoirs publics financent déjà la formation des avocats à hauteur de 1,7 M€ et à travers une résolution adoptée le 10 mars 2023, l’assemblée générale du CNB a souhaité que cette part de financement augmente. Par ailleurs, c’est le contenu et l’orientation de la formation qui importent et nous y serons vigilants. Notre indépendance ne sera pas affectée.

L’élaboration de la décision à caractère normatif (DCN), qui définit le contenu et les modalités d’organisation de la formation, reste une prérogative exclusive de la profession.

D’aucuns estiment également qu’il existe une contradiction entre le statut d’apprenti et le caractère libéral de notre profession, mais cet argument ne tient pas non plus. Les notaires assurent déjà la formation de leurs impétrants dans le cadre de l’apprentissage. C’est à la profession qu’il appartient d’insuffler l’esprit libéral aux impétrants et ce n’est pas une année d’apprentissage qui pourrait changer cela. La Conférence des bâtonniers a par ailleurs objecté légitimement que ce statut favoriserait la désertification de certains territoires éloignés, mais nous voyons, dans les faits, qu’à l’heure actuelle, les élèves avocats font le plus souvent leur stage dans le ressort de leur EDA. Nous pensons au contraire que, grâce à l’apprentissage, les élèves avocats, qui resteront beaucoup plus longtemps en cabinet, pourront aller dans ces territoires. Ils en auront de surcroît les moyens financiers.

Pour quelles raisons n’avez-vous pas fait
adopter le principe du contrat d’apprentissage ?
Avez-vous renvoyé l’ensemble du dossier
à la prochaine mandature ?

A.G. : Nous n’avons pas voulu faire voter une résolution sur le principe de l’apprentissage qui exclurait toutes les autres solutions, au risque de la voir rejetée. En effet, certaines composantes du CNB souhaitent voir émerger un statut spécifique de l’élève avocat, mais nous pensons que cette voie est très longue et très incertaine. Voilà déjà au moins six ans que nous attendons, en vain, de simples modifications du décret existant. Nous sommes convaincus qu’aller dans cette voie prendra énormément de temps, alors même que la question du statut des élèves avocats devient urgente.

Le dispositif de l’apprentissage s’appuie sur un socle législatif déjà existant et est parfaitement compatible. Ce sera beaucoup plus rapide d’emprunter ce chemin. Il reste néanmoins des questions à régler pour que ce soit possible, comme inscrire le diplôme du CAPA au RCNP, ou régler la question de cet écart de rémunération entre les moins de 26 ans et leurs aînés, ce qui pourra se faire dans le cadre du paritarisme, en mettant à profit la fusion envisagée entre la convention collective des avocats salariés et celle du personnel des cabinets d’avocats. Par ailleurs, la question des élèves avocats devant effectuer leur stage dans les territoires ultramarins doit également être réglée avec une organisation adaptée de l’alternance à ces territoires et la mobilisation de tous les dispositifs d’aides et d’encouragement existants et que nous avons déjà commencé à recenser.

C’est la raison pour laquelle la prochaine mandature doit s’emparer de ce sujet, qui est d’une importance cruciale. Il y va de l’avenir de notre profession et de son attractivité.