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La concurrence en temps de crise

Par ANNE PORTMANN

Le Global Anticorruption & Compliance Summit (GACS) s’est tenu le 8 avril 2022 à l’Hôtel des Arts et Métiers à Paris et a réuni plus de 200 participants. Il y a beaucoup été question des crises et de leurs conséquences. Lors de la dernière plénière, c’est l’évolution de la conformité antitrust qui a été abordée, lors d’un dialogue entre Marta Giner Asins, associée de Norton Rose Fulbright, et Irène Luc, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence (ADLC).

En guise d’introduction au débat, il a été rappelé par les deux intervenantes que l’action du nouveau président de l’ADLC, Benoît Coeuré, se place dans la continuité de celle de sa prédécesseur, Isabelle De Silva, avec au premier chef de ses priorités, le secteur du numérique. Il s’agissait du thème privilégié de l’institution l’an passé et celle-ci a déployé d’importants efforts en matière contentieuse dans ce secteur, notamment en ce qui concerne les problèmes de concurrence posés par le Cloud. L’Autorité française s’est attachée à travailler avec l’Autorité européenne et avec ses homologues des autres pays de l’Union, notamment concernant le Digital Market Act, destiné à encadrer le pouvoir des grandes plateformes multinationales.

En 2022, l’ADLC a également dans le viseur la question du développement durable. Les équipes, qui ont bénéficié de formations à cet effet, sont prêtes à instruire les plaintes relatives à ces questions. La troisième priorité de l’Autorité concerne le pouvoir d’achat post-crise. La crise sanitaire, suivie de l’invasion de l’Ukraine, a en effet vu se multiplier les phénomènes d’entente et de coopération entre concurrents, due aux conditions économiques particulières et aux phénomènes de pénurie. La vigilance est donc de mise. L’Autorité va également poursuivre son objectif de promouvoir la culture de la concurrence afin qu’elle infuse dans la vie économique.

Elle se saisira des nouveaux outils qui ont été mis à sa disposition par l’ordonnance du 26 mai 2021, qui transpose en droit français la directive européenne du 11 décembre 2018, permettant notamment à l’Autorité de se saisir d’office afin d’ordonner des mesures conservatoires pour éviter, ou limiter, un dommage imminent en matière de concurrence. L’ordonnance confère également à l’Autorité un pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites, qui lui permettra de classer les plaintes, ou de renvoyer les parties à se pourvoir devant le tribunal de commerce lorsqu’elle est saisie d’une question qu’elle a déjà tranchée par le passé. Ces nouvelles dispositions permettent également aux entreprises de se rapprocher de manière informelle de l’Autorité pour lui signaler l’existence de comportements anticoncurrentiels sans que leur nom ne soit cité au dossier.

Évolution des pratiques

Les deux panélistes ont ensuite évoqué le nouveau document- cadre de 2022 sur les programmes de conformité aux règles de non-concurrence et la question de la disparition d’élément s incitant les entreprises à signaler des infractions à l’Autorité. L’ancien document cadre de 2012 ouvrait aux entreprises la possibilité de bénéficier d’une réduction de sanctions pouvant aller jusqu’à 10 %, si elles mettaient en place un programme de conformité, puis d’une procédure de transaction. Ce n’est désormais plus le cas, l’Autorité considérant que l’acculturation des entreprises aux règles de la concurrence, à laquelle cet avantage devait inciter, est désormais acquise. La question de la tendance de l’augmentation des visites au domicile des salariés, concomitamment à celles dans l’entreprise, a également été abordée, mais il ne s’agit pas d’une politique délibérée de l’Autorité, laquelle, consciente de l’intrusion qu’elles représentent, n’y a recours qu’en cas de très fortes présomptions.

Les intervenantes soulignent, à cet égard, l’évolution du rôle de l’officier de police judiciaire présent lors de ces opérations, lequel, de manière un peu paradoxale, a pris, au fil du temps, sa place de véritable protecteur de droits des personnes visitées par les agents de l’Autorité. Une inquiétude s’est faite jour en ce qui concerne le changement relatif aux modalités de calcul des sanctions pécuniaires qui ne sont désormais plus plafonnées. Mais il apparaît que ce déplafonnement a pour objectif de sanctionner plus sévèrement les Gafam, et de permettre à l’Autorité de s’affranchir des accusations, entendues çà et là, de sanctionner plus sévèrement les petites entreprises que les grands groupes. Ces nouvelles sanctions permettent ainsi d’adapter la sanction pécuniaire à la situation. Toujours dans ce registre, si la notion de dommage à l’économie causé par les pratiques réprimées a désormais disparu, celle de gravité subsiste et peut inclure cette notion d’effet des pratiques anticoncurrentielles.

Les deux intervenantes ont conclu la table ronde en répétant que les différentes crises génèrent, de la part des acteurs de l’économie, de nouveaux comportements, destinés à compenser les restrictions, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. Face à cette situation, dans laquelle la coopération entre entreprises peut être bénéfique, voire nécessaire, celles-ci peuvent conformément à la déclaration commune du réseau européen de la concurrence, prendre contact, de manière informelle avec l’Autorité européenne, ou avec les différentes autorités nationales compétentes, pour solliciter un avis sur d’éventuelles pratiques proportionnées et temporaires.