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La CJUE renforce le contrôle des écoutes téléphoniques

Par LA LETTRE DES JURISTES D'AFFAIRES

Par un arrêt du 16 février 2231, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé qu’une décision autorisant une mise sur écoute téléphonique peut ne pas contenir de motifs individualisés. Richard Milchior, associé du cabinet Herald, en explique les tenants et aboutissants.

Quels étaient les faits de ce dossier ?

À l’occasion d’une procédure pénale bulgare, la CJUE a été interrogée afin de savoir si les écoutes téléphoniques effectuées selon la loi de ce pays respectaient l’article 15 §1 de la directive 2002/58 (directive vie privée et communication électronique). Chacune des demandes d’écoute décrivait de « manière circonstanciée, détaillée, motivée » l’objet de la demande, le nom et numéro de téléphone de la personne concernée, les éléments de preuves recueillis, le rôle supposé de la personne concernée dans les faits délictueux et justifiait l’impossibilité de recueillir des informations par d’autres moyens. Les autorisations furent données selon un modèle préétabli couvrant tous les cas d’autorisation sans référence aux circonstances factuelles et juridiques de l’espèce. Certaines conversations enregistrées et stockées conformément à la loi bulgare ont servi à accuser quatre des personnes écoutées, plus une cinquième de faits délictueux. La juridiction considère qu’il lui appartient de vérifier la validité de la procédure ayant conduit aux autorisations d’écoutes pour pouvoir les utiliser et se pose la question de savoir si l’utilisation d’un modèle préétabli d’autorisation dépourvu de motifs individualisés est conforme notamment aux articles 7,8,1 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Quelle a été la décision de la CJUE ? Est-elle une surprise ?

La Cour de Justice a tout d’abord rappelé que lorsque des mesures législatives dérogeant au principe de confidentialité des communications électroniques sont prises, elles ne relèvent de la directive 2002/58 que si des obligations de traitement sont imposées aux fournisseurs de services de télécommunication, tel le fait d’accorder l’accès aux communications et données et de les transmettre aux autorités compétentes. Il incombera aux juridictions nationales de vérifier si les techniques spéciales de renseignement utilisées, et notamment l’interception, pourraient en fait imposer des obligations de traitement aux fournisseurs concernés. La CJUE rappelle ensuite que les limitations au principe de confidentialité des communications doivent respecter les droits fondamentaux. Il convient dès lors que ces mesures prévoient les conditions matérielles et procédurales régissant le traitement desdites informations. Ces conditions doivent être mises en oeuvre dans le cadre du respect du procès équitable, ce qui impose que la décision autorisant les écoutes soit motivée et que l’intéressé puisse connaître les motifs de la décision prise à son égard, soit par sa lecture, soit par une communication de ses motifs, afin de lui permettre de défendre ses droits et pouvoir saisir le juge compétent pour exercer un contrôle de légalité de la décision. En droit bulgare, le juge délivre l’autorisation sur le fondement d’une demande motivée et circonstancié lui permettant de vérifier si les conditions d’octroi de l’autorisation sont remplies. Pour la CJUE, en signant l’autorisation, le juge a dès lors validé les motifs de la demande tout en s’assurant du respect des exigences légales. En revanche, une fois l’intéressé informé des écoutes, l’obligation de motivation visée à l’article 47 de la Charte impose que la personne puisse comprendreles motifs pour lesquels le recours à cette technique a été autorisé afin de pouvoir contester de manière utile l’autorisation. Cette exigence s’impose à tout juge, qui doit vérifier d’office, ou à la demande de la personne, la légalité de ladite autorisation.

Que faut-il en conclure ?

La Cour a fourni des précisions pour guider le juge national dans ses décisions. Elle indique expressément que la personne concernée doit avoir accès à la décision d’autorisation mais également à la demande l’ayant sollicitée et que la lecture croisée de la demande et de l’autorisation doivent permettent de comprendre les raisons précises pour lesquelles celle-ci a été accordée dans le cas concerné ainsi que connaître sa durée de validité. S’il n’est pas possible de comprendre de « manière aisée et univoque » le motif de cette autorisation alors l’obligation de motivation n’a pas été respectée. La CJUE a finalement dit pour droit que l’article 15 § 1 de la directive 2002/58 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une pratique nationale selon laquelle les décisions judiciaires autorisant le recours à des techniques spéciales de renseignements à la suite d’une demande motivée et circonstancié des autorités pénales sont rédigées au moyen d’un texte préétabli et dépourvues de motifs individualisés. Cette acceptation est subordonnée à la condition que les raisons précises pour lesquelles le juge compétent a considéré que les exigences légales étaient respectées puissent être inférées aisément et sans ambiguïté d’une lecture croisée de la décision et de la demande d’autorisation, cette dernière devant être rendue accessible postérieurement à l’autorisation donnée à la personne contre laquelle le recours à des techniques spéciales de renseignement a été autorisé. Cette décision n’est pas une surprise au vu des conclusions de l’avocat général et de la jurisprudence antérieure. Elle crée un certain équilibre entre les nécessités de lutte contre les infractions pénales et les droits devant être respectés de la personne écoutée.

Cette décision porte sur une loi bulgare. Quelles conséquences sur les pratiques françaises ?

L’arrêt peut avoir des conséquences en dehors de la Bulgarie. Le code de procédure pénale français prévoit ainsi des procédures différentes selon les types d’écoute judiciaire, procédures ellesmêmes distinctes des écoutes administratives. Un travail d’analyse au cas par cas va s‘imposer afin d’examiner si les écoutes et usage des techniques spéciales de renseignement appliquées en France respectent bien les indications fournies par cet arrêt. Il n’est pas impossible que de nouveaux moyens de procédure soient prochainement soulevés devant les juridictions françaises y compris d’office par les juges.