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Jurisprudence de l’AFA : l’analyse d’Alexis Werl, associé chez McDermott Will & Emery

Par Aurélia Granel

La commission des sanctions de l’Agence française anti-corruption vient de rendre sa deuxième décision, qui éclaire les entreprises sur le degré de conformité aux préconisations de l’organisme. Une certaine autonomie est ainsi tolérée, les entreprises étant considérées comme les plus à même d’autoévaluer des risques de corruption encourus en leur sein. L’analyse d’Alexis Werl, associé chez McDermott Will & Emery

Comment la jurisprudence de l’AFA a-t-elle évolué depuis la décision Sonepar ?

Dans la décision Sonepar, la commission des sanctions avait décidé qu’il n’y avait lieu ni à injonction, ni à sanction pécuniaire. Dans celle d’Imerys, pour la première fois, la commission a adressé deux injonctions, l’une tendant à l’insertion, dans son code éthique, d’un chapitre structuré définissant et illustrant les comportements susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence, l’autre tendant à la mise en conformité de ses procédures de contrôle comptable. On peut relever, à cet égard, que la commission a imparti à Imerys des délais plutôt raisonnables pour se conformer à ces injonctions. La société dispose ainsi de plus d’un an pour apporter la preuve de l’adaptation de ses procédures comptables. Il est probable que plus le temps passera, moins la commission se montrera compréhensive à l’endroit des retards pris par les entreprises dans l’adoption de leurs politiques anti-corruption. J’observe, par ailleurs, deux constantes d’une décision à l’autre : d’une part, comme elle l’avait fait pour Sonepar, la commission rappelle que les recommandations de l’AFA n’ont pas valeur normative. En d’autres termes, les entreprises doivent respecter les dispositions de l’article 17 de la loi Sapin II, qui leur laissent le choix des moyens, mais pas les recommandations de l’Agence, plus contraignantes. D’autre part, dans la décision Imerys comme dans la décision Sonepar, la commission ne répond pas aux interrogations relatives à l’étendue des pouvoirs de contrôle de l’AFA. Peut-elle, par exemple, réclamer la communication de documents qui sont couverts par le secret professionnel ? Cette question reste en suspens.

Quel est l’enseignement majeur de la décision Imerys ?

Elle nous éclaire sur les exigences de la commission relatives à la structure et au contenu du code de conduite. Elle précise, d’abord, qu’il n’est pas impératif d’établir un document unique – même si cela est fortement recommandé. Dans l’hypothèse où une entreprise choisirait d’établir des documents distincts – par exemple, une charte des valeurs portant des énoncés très généraux, ainsi que, séparément, des documents plus détaillés sur la corruption, les politiques cadeaux ou les conflits d’intérêts -,ces documents devraient former un ensemble cohérent. Ainsi, la charte des valeurs devrait-elle renvoyer expressément au document spécifique à la prévention du risque de corruption. Ce document spécifique devrait être accessible à tous les salariés, et traduit dans toutes les langues parlées par ces derniers. Ensuite, la commission des sanctions de l’AFA rappelle une obligation qui ressort du texte même de l’article 17 de la loi Sapin II : les notions de corruption et de trafic d’influence doivent non seulement être définies, mais surtout illustrées par des exemples concrets, adaptés aux activités de l’entreprise. Enfin, il se déduit de la décision Imerys que les exemples concrets qui figurent dans le code de conduite doivent illustrer les principaux risques identifiés dans le cadre de la cartographie des risques. Cette dernière doit être la matrice de l’ensemble des politiques de prévention du risque de corruption mises en place par les entreprises pour se conformer aux exigences de la loi Sapin II.

Quels nouveaux éléments sont apportés sur la charge de la preuve ?

On l’a vu, il n’existe pas d’obligation de suivre les recommandations de l’AFA pour établir sa cartographie des risques. En revanche, ces recommandations ont une incidence sur la charge de la preuve. Si une société a suivi les recommandations de l’AFA, ce n’est pas à elle qu’incombe la charge de prouver que sa cartographie des risques est conforme à la loi Sapin II, mais à l’AFA qu’incombe la charge de démontrer qu’elle l’a fait de manière insuffisante ou incorrecte. En revanche, si une société a préféré, comme elle en a le droit, ignorer les recommandations de l’AFA, ce sera à elle de prouver qu’elle a établi une cartographie identifiant et hiérarchisant de façon pertinente les risques de corruption et de trafic d’influence auxquels ses collaborateurs sont susceptibles d’être exposés, en France et à l’étranger.

Qu’apporte cette décision d’un point de vue procédural ?

Alors que l’AFA est une institution jeune, dont les pouvoirs, notamment de coercition, sont encore flous, la commission des sanctions me paraît vouloir s’ériger en garante du respect des principes fondamentaux applicables aux sanctions administratives. Ainsi, a-t-elle refusé, au nom du principe de légalité des délits et des peines, de suivre l’avis du directeur de l’AFA, qui tendait à voir prononcer simultanément, à l’encontre d’Imerys, une injonction et une sanction pécuniaire, parce que cette « injonction-sanction » n’était pas prévue par le texte de la loi Sapin II. De même, elle a considéré qu’une injonction, même si elle n’était pas assimilable à une sanction pécuniaire, relevait du même régime, plus protecteur, applicable aux mesures répressives – et, par conséquent, qu’aucune injonction ne pouvait être prononcée à l’égard du nouveau PDG de la société, qui, entré en fonctions récemment, n’avait pas été personnellement destinataire d’une notification des griefs retenus à son encontre, comme il se doit en matière répressive.

Notes : 

Réf. : AFA, commission des sanctions, décision n° 19-02 du 7 février 2020

Pour le récit de l’audience, voir notre article sur le site internet de la LJA https://www.lja.fr/l-oeil-sur/decryptage/cartographie-des-risques-code-de-conduite-et-controle-comptable-faut-il-se-conformer-a-la-methodologie-preconisee-par-lafa-546693.php

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