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Vers un avocat aux Conseils européen ?

Par Aurélia Granel

Un décret du 16 février 2021 modifie les conditions d’accès des avocats européens à la représentation devant les juridictions suprêmes françaises. L’occasion pour François Molinié, président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, de nous expliquer son apport, mais aussi d’indiquer les actions prioritaires de cette instance représentative en 2021.

Quel est le contenu de ce décret ?

Je souhaite rappeler, tout d’abord, que l’ouverture de la profession vers l’Europe aura bientôt 30 ans puisque, depuis le décret du 28 octobre 1991, tout ressortissant d’un État membre peut devenir avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. De même, mes confrères plaident régulièrement devant la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’Homme. La dimension européenne du droit est une réalité quotidienne dans de nombreux dossiers devant le Conseil d’État et la Cour de cassation !

Le décret n° 2021-171 du 16 février 2021 marque, dans l’intérêt de nos deux juridictions suprêmes, une nouvelle étape dans la modernisation et l’ouverture européenne de la profession en modifiant certaines règles de représentation. Il permet ainsi, après autorisation du garde des Sceaux, aux avocats issus d’un pays membre de l’Union européenne et qui consacrent, à titre habituel, une part substantielle de leur activité à représenter les parties devant leur juge suprême de cassation, de venir exercer en France. Le décret s’inspire ainsi des directives du 22 mars 1977 sur la libre prestation de services des avocats et du 16 février 1998 sur la liberté d’établissement des avocats, tout en préservant le modèle de la cassation à la française.

Le décret permet ainsi aux spécialistes européens de la cassation, qui pratiquent de façon habituelle et substantielle la technique de cassation devant leurs juges suprêmes, d’exercer devant les juridictions françaises de cassation, soit sous le régime de la libre prestation de services, soit sous celui de la liberté d’établissement, en respectant l’ensemble des règles professionnelles françaises et notamment les principes déontologiques de la profession.

Le monopole des avocats aux Conseils est-il remis en cause ?

Le décret du 16 février 2021 consacre le modèle français de cassation qui repose notamment sur la spécialisation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et leur limitation en nombre. Loin de remettre en cause cette organisation, l’application raisonnée des règles européennes permet de préserver les spécificités de la profession, établies, non dans l’intérêt des avocats aux Conseils mais dans ceux du justiciable et des juridictions. Je souhaite rappeler que notre organisation a fait ses preuves puisqu’elle permet de préserver les Hautes juridictions de l’encombrement, voire de l’asphyxie qu’ont pu connaître certaines juridictions suprêmes d’autres États membres. Les justiciables ont un égal accès aux juges français de cassation. L’aide juridictionnelle est largement développée. Et nos deux Hautes juridictions disposent d’avocats spécialisés, bien formés et compétents.

La technique juridique de cassation a été inventée en France : ce décret est aussi la preuve que loin d’être un frein à l’influence de nos deux juridictions, la cassation en est, en réalité, un vecteur. Il faut aussi avoir conscience que l’exclusivité de représentation devant les juridictions de cassation n’est pas une spécificité française. Elle existe aussi en Allemagne et en Belgique. De même, plusieurs pays européens comptent en leur sein une juridiction de cassation et c’est aux professionnels qui sont spécialisés devant ces juridictions en y consacrant une part habituelle et substantielle de leur activité que ce nouveau décret s’adresse.

Le Conseil d’État, la Cour de cassation et le barreau des avocats aux Conseils s’ouvrent davantage à l’Europe. Je suis convaincu que ces nouvelles possibilités, encadrées de façon précise par les textes, vont contribuer, de façon harmonieuse et respectueuse du modèle français, au dialogue des juridictions suprêmes en Europe.

Quelle est l’évolution du rôle des juridictions suprêmes françaises ?

Je n’ai pas besoin de vous rappeler le rôle essentiel qu’ont joué le Conseil d’État et la Cour de cassation pendant la pandémie. Ce sont des juridictions de premier plan dans le monde qui ont su rester fidèle à leur ADN – le principe de légalité – tout en renforçant, de différentes manières, l’autorité normative de leurs décisions. Le contrôle de cassation, pour bien fonctionner, doit marcher sur deux jambes : contrôle disciplinaire, d’une part, qui permet d’unifier l’application du droit et de donner son plein effet au principe d’égalité devant la justice ; contrôle normatif et mission créatrice, d’autre part, qui se développent notamment avec l’essor des droits fondamentaux et de l’État de droit.

L’année 2021 est importante. À la Cour de cassation, c’est, avec le concours de l’Ordre, la mise en place de 3 circuits différenciés de traitement des pourvois qui reposent sur l’idée qu’il faut ajuster les moyens de la Cour en fonction de la difficulté des dossiers. Les questions simples seront orientées vers un circuit court. Le circuit approfondi sera réservé aux affaires complexes. Dans ce circuit, l’avocat général sera désigné en même temps que le conseiller rapporteur et ces affaires donneront lieu à une séance d’instruction qui permettra un échange entre magistrats afin d’envisager toutes les pistes de réflexion. Quant au circuit intermédiaire, il concernera les affaires qui, sans relever du circuit approfondi, pourraient conduire la Cour à rendre une décision dont la portée dépasse l’affaire en cause. Quant au Conseil d’État, il va expérimenter pendant 18 mois les échanges directs avec les parties en amont des audiences de jugement pour certaines affaires. Il ne s’agit pas de remettre en cause le caractère écrit de la procédure, mais d’offrir la faculté aux juges, dans les affaires techniques et sensibles, de poser des questions aux parties. Là encore, l’Ordre est pleinement impliqué dans l’expérimentation organisée par un décret du 18 novembre dernier.

François Molinié